Une affaire de famille et de braquage
C’est un type assis à une table, qui en apostrophe un autre hors-champ… Le ténébreux Michel parle de la mort, de la manière d’assassiner une personne et puis d’en tuer deux… Lorsque la caméra prend du champ, on comprend que les deux hommes répètent une scène sous le regard attentif et complice de Sylvie, animatrice de l’atelier théâtre. Nous sommes en prison et les détenus qui jouaient la scène comme ceux qui y assistaient, vont bientôt retourner dans leurs cellules. Mais Sylvie et Michel ont néanmoins le temps d’échanger des oeillades qui ne laissent guère de doute. Ces deux-là sont amoureux !
Avec L’innocent, Louis Garrel signe sa quatrième réalisation après Les deux amis (2015), L’homme fidèle (2018) et La croisade (2021), trois films plutôt intimistes, les deux premiers autour des tourments de l’amour, le troisième autour d’un couple dépassé par le projet écologiste de leur gamin… Trois œuvres dans lesquelles Louis Garrel fait aussi l’acteur et dont les personnages portent systématiquement le prénom d’Abel. Et c’est encore le cas ici…
L’Abel de L’innocent n’est autre que le fils de Sylvie et il tremble à l’idée du mariage de Sylvie et de Michel car il sait que ce n’est pas la première fois que sa mère se prend d’amour pour un détenu…
S’éloignant du ton de ses précédents opus, Garrel orchestre, cette fois, une savoureuse comédie qui mêle, avec drôlerie, une histoire de famille et une aventure policière !
L’innocent embarque donc un spectateur vite conquis dans une charmante fantaisie autour de quatre personnages emportés dans des péripéties qui vont vite les dépasser. Abel est un quadra qui traîne sa peine depuis la disparition, dans un accident, de son épouse. Il travaille comme guide dans un aquarium où il côtoie la belle Clémence. Eternel inquiet, Abel a bien du mal à gérer sa mère, la fantasque Sylvie, nouvellement amourachée de Michel. Ce dernier va bientôt sortir de prison après cinq ans derrière les hauts murs. En acquérant un pas de porte à Lyon pour installer une boutique de fleuriste, Michel semble s’être acheté une conduite. Et Sylvie, qui le dévore de ses yeux d’amoureuse, est aux anges. Abel, lui, n’y croit pas trop et tel un (mauvais) détective amateur, il suit Michel à la trace. Dans ses filatures, il découvre que Michel continue à voir ses anciens complices et qu’il est en train de monter un nouveau coup. Auquel, bien malgré lui, Abel va être associé…
« Je voulais, dit le réalisateur, une histoire de famille et une affaire criminelle, un délit. Tout de suite, il y avait l’idée de la mère qui se marie en prison. C’est la mère qui, par l’amour, fait entrer dans une famille complètement « légaliste » un élément transgressif. »
En écrivant le scénario de L’innocent avec Tanguy Viel, écrivain de romans policiers existentiels et Naïla Guiguet avec laquelle il avait déjà travaillé sur La croisade, le cinéaste s’est appuyé sur l’histoire de sa mère, Brigitte Sy, qui a animé des ateliers de théâtre en prison et qui a réalisé un premier long métrage sur ce sujet Les mains libres où son personnage (interprété par Ronit Elkabetz) fait cela. Amoureuse d’un prisonnier, on la voit dans la première scène du film se marier avec lui… Dans son film, Louis Garrel reproduit cette séquence de mariage derrière les barreaux mais cette fois, du point de vue d’Abel. Si Louis Garrel, alors âgé de 18 ans, n’a pas assisté au mariage de sa mère derrière les barreaux, il remarque qu’il s’est bien entendu avec son beau-père qui lui a ouvert les portes d’un monde qu’il ne connaissait pas…
Dans L’innocent, ce sont ces deux mondes (qui constituent les deux volets du film) qui se frottent et Garrel, qui se régale de se confronter au cinéma de genre, en fait une description jubilatoire. Le récit familial est tendre et même émouvant et la dimension policière qui va se développer en braquage (d’une cargaison de… caviar) est plutôt tirée par les cheveux mais l’ensemble concourt à une chronique amusante et amusée qui garde le spectateur en alerte… Alors, oui, L’innocent est une réussite. On n’ira pas jusqu’à dire, comme on a pu l’entendre à la radio, que c’est le meilleur film français de l’année mais assurément c’est une véritable évasion où, sur des chansons de variétés (Pour le plaisir d’Herbert Léonard, Nuit magique de Catherine Lara ou Une autre histoire de Gérard Blanc) se répondent une aventure picaresque et une comédie romanesque. On avoue que cela fait plaisir d’entendre le public s’esclaffer de rire !
En se lançant dans un film « variété », Louis Garrel avait besoin de comédiens au meilleur de leur art. La réussite (et, on l’espère, le succès public) tient beaucoup à la toujours trop rare Anouk Grinberg. Avec sa petite voix fêlée, elle est merveilleuse d’émotion contenue lorsque sa Sylvie fond d’amour pour Michel et que les larmes lui montent aux yeux. Roschdy Zem, même s’il impressionne par son physique (Garrel joue habilement de son rapport de taille avec la petite Anouk Grinberg) campe, pour une fois, un type certes viril mais surtout plus tendre et sentimental. Noémie Merlant est l’une des jeunes comédiennes françaises les plus originales dans sa manière de conjuguer une certaine gravité avec une légèreté clownesque.
Enfin, Louis Garrel qui a pu, on le reconnaît, nous agacer parfois avec ses jeunes premiers ténébreux chez d’autres cinéastes, ajoute avec aisance la corde de la fantaisie à son répertoire avec son Abel « innocent » et effaré par les frasques de sa mère et l’inconnu inquiétant dans lequel l’entraîne la fréquentation d’un braqueur…
Il y a de jolies trouvailles dans le film comme la très hitcockienne conservation du caviar à l’aquarium mais on a un faible pour la scène où Abel et Clémence, qui ont répété une scène de ménage, la jouent au moment du casse. Ce qui n’est au début qu’un jeu malin va doucement devenir une pure déclaration d’amour… Et c’est beau.
L’INNOCENT Comédie dramatique (France – 1h40) de Louis Garrel avec Anouk Grinberg, Noémie Merland, Roschdy Zem, Louis Garrel, Jean-Claude Pautot, Yanisse Kebbab. Dans les salles le 12 octobre.