Alice, Madeleine, Rakel, des vies bouleversées
PARANOIA.- Elle est parfaite, Alice Chambers ! Tous les matins, elle prépare le breakfast de son mari… Toasts grillés et beurrés, bacon et œufs sur le plat. Il ne reste plus alors à Jack (Harry Styles) qu’à grimper dans sa rutilante Cadillac pour filer au travail comme tous ses voisins, tous tirés à quatre épingles comme lui… Nous sommes dans les années 50, quelque part, aux confins du désert californien. Là s’élève un grand compound avec de belles villas aux façades ripolinées et aux pelouse parfaitement vertes sous un soleil permanent. Après le départ des hommes, les femmes -très dans le look Desperate Housewifes- rangent la maison, préparent les repas et surtout papotent entre elles. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Las, Alice n’arrive pas à partager totalement l’optimisme franchement béat du Victory Project. Elle a du mal à adhérer au discours de Frank, le patron-gourou (Chris Pine), qui interroge : « Ce monde est à qui ? » Question à laquelle la communauté répond, dans un même cri, « A nous ! » Pire, Alice est sujette à des hallucinations (aux allures des films de Busby Berkeley) et son existence bascule lorsqu’au cours d’un voyage en tram, elle aperçoit un avion rouge qui s’écrase dans les collines désertes. Elle s’en va en courant pour tenter de retrouver le zinc. Mal lui en prend, elle finit aux portes du mystérieux centre expérimental où travaillent tous les hommes du Victory Project…
Avec Don’t Worry Darling (USA – 2h03. Dans les salles le 21 septembre), la comédienne Olivia Wilde passe pour la seconde fois derrière la caméra (après Booksmart en 2019, sorti en France sur Netflix) pour signer un thriller psychologique qui emprunte aussi au film d’horreur comme au cinéma d’anticipation. Bien sûr, on est vite tenté de faire des références à une multitude d’oeuvres comme The Truman Show ou Shining mais la comédienne (vue dans Time Out, Rush, Her ou Le cas Richard Jewell) cite plus volontiers Rosemary’s Baby, Sueurs froides ou Black Swan…
Appelant à la rescousse Polanski, Hitchcock ou Aronofsky, Miss Wilde semble mettre la barre bien haut. Mais, en soignant notamment son imagerie fifties, elle tire néanmoins bien son épingle du jeu en embarquant le spectateur dans l’aventure intime et paranoïaque de la pauvre Alice qui voit une fausse société utopique s’effondrer sous ses yeux. Elle a beau hurler : « Ils nous mentent sur toute la ligne ! », elle passe, au mieux, pour une petite égoïste, au pire pour une névrosée qui représente un danger majeur pour le projet Victory. Car le gourou mielleux et séducteur qui tient cette petite communauté sous sa coupe, tient un inquiétant discours aussi fascisant que menaçant .
Avec une Florence Pugh parfaite dans le rôle de cette Alice bien nommée qui se heurte à des miroirs, Olivia Wilde distille un récit attrayant mais grinçant sur une société « idéale » qui n’a pas que l’amour et la réussite sociale pour but ultime, où la beauté est dans le contrôle et la grâce dans la symétrie… Lorsque Frank entend « sauver le monde de lui-même », Alice sait qu’il ne lui reste plus qu’à prendre la porte du « paradis ». Mais y arrivera-t-elle ?
VOYAGE.- Charles Hoffman est taxi à Paris et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas vraiment le moral, pris dans des soucis financiers qui l’épuisent. Madeleine Keller, elle, a décidé, malgré elle, de quitter sa maison de Brie-sur-Marne. Elle demande qu’un taxi vienne la prendre pour la déposer à Courbevoie dans la résidence où elle est promise à finir ses jours. C’est Charles qui viendra la récupérer. Mais, dans ce voyage d’est en ouest à travers la capitale, ces deux êtres qui n’ont rien de commun, vont apprendre à se connaître, à partager un peu d’intimité, à fraterniser finalement…
Réalisé par Christian Carion, Une belle course (France – 1h31. Dans les salles le 21 septembre) est une comédie dramatique agréablement enlevée (qui ne révolutionne évidemment pas l’écriture cinématographique) et surtout très généreuse. Car il est bien, ici, question d’un sujet dont le cinéma a longtemps pris soin de garder ses distances, en l’occurrence la vieillesse. Car Madeleine Keller a 92 ans et elle sait que cette course en taxi est, bien paradoxalement, sa dernière bouffée d’air pur. Bientôt, comme elle le dit, ce sera la chambre, la purée et la compote. Alors, en compagnie d’un chauffeur bougon qui va s’éclairer peu à peu, Madeleine Keller va musarder dans Paris et plus encore dans une existence dont elle fait, par bribes, le récit à Charles… Et la vie de Madeleine, entre son premier béguin fou au lendemain de la guerre pour un GI prénommé Matt et son coup de coeur pour Ray, n’a pas été une sinécure. Car Matt est rentré aux Etats-Unis en lui laissant un cadeau « genre 3 kilos cinq » et Ray, le métallo costaud, s’est révélé être une brute épaisse de la pire espèce…
Au gré des rues de Paris, là devant une plaque commémorative sur un mur, plus loin en cherchant un théâtre disparu ou un immeuble remplacé par un commissariat, la vieille dame se souvient de ses jeunes années (Alice Isaaz incarne joliment Hélène jeune) et, mieux encore, elle peut partager ce vécu longtemps tu avec Charles… Alors, cette ultime course n’est plus un chemin vers la fin mais une parenthèse enchantée.
Véritablement fait sur mesure pour Line Renaud, le personnage de cette alerte nonagénaire est porté avec grâce par une comédienne dont les yeux bleus s’embrument volontiers mais dont le petit rire illumine ce taxi dans lequel Madeleine et Charles passent l’essentiel du film. Pour le chauffeur, le réalisateur de Joyeux Noël (2005) ou L’affaire Farewell (2009) peut s’appuyer sur Dany Boon « capable, dit le cinéaste, de faire rire et d’émouvoir comme Bourvil ».
GROSSESSE.- Astronaute, garde-forestière ou dessinatrice… A 23 ans, Rakel a tous les projets du monde mais vraiment pas celui de devenir mère. Lorsqu’elle découvre qu’elle est enceinte de six mois suite à un coup d’un soir, c’est tout bonnement la catastrophe… L’avortement n’est plus une option même si Rakel crie son désir d’avorter… De plus elle n’est pas très sûre de savoir qui est le père. Il faut dire, comme le remarque sa copine, qu’elle a du mal à savoir : « Tu t’es tapé un paquet de mecs ? C’est comme Mamma Mia ! » Alors, c’est décidé : l’adoption est la seule solution ! Apparaît alors Ninjababy, un personnage animé sorti du carnet de notes de Rakel qui va s’appliquer à faire de sa vie un enfer ! Ce « putain de saleté de ninjababy pourri », selon la formule de Rakel, ne lui fait pas de cadeau. Lorsque Rakel pense enfin savoir qui est le géniteur du bébé à venir, Ninjababy grince : « Tu as laissé ce gars-là te baiser ?! »
Présenté à la Berlinale 2022 et découvert lors des Rencontres du cinéma de Gérardmer en avril dernier, Ninjababy (Norvège – 1h43. Dans les salles le 21 septembre) est une comédie dramatique spécialement caustique et même carrément rentre-dedans par son ton, dans laquelle la cinéaste norvégienne Yngvild Sve Flikke aborde, de manière plus globale, la peur de la maternité des jeunes Norvégiennes. « Nous sommes à une époque, dit la réalisatrice, où tomber enceinte avant 30 ans est inhabituel. Le film traite également de la prise de responsabilités, de la maturité et de notre capacité à surmonter toutes les situations. Je crois que beaucoup de femmes ont ressenti la peur de devenir mère, même celles qui l’avaient prévu. Et en retour il y a le sentiment de soin et d’amour qui se développe au cours d’une grossesse, de différentes manières. »
En s’appuyant sur le roman graphique Fallternikk, de l’auteure de bandes dessinées Inga Saetre (qui signe toutes les animations du film), la cinéaste mêle donc images réelles et animation pour raconter l’aventure d’une jeune femme qui ne veut pas d’entrave, qui a des choses à faire, des désirs autres que celui d’avoir un enfant. La pression sociale qui s’exerce sur elle est énorme et elle est confrontée à des sentiments ambivalents tandis que ses émotions ressemblent à des montagnes russes…
En compagnie de ce Ninjababy qui lui rappelle les différents états par lesquelles elle passe (colère, déni, rejet, doutes), Rakel (joliment incarnée par Kristine Kujath Thorp) traverse un gros moment de galère : «Je ne veux pas d’enfant. Eh ouais – c’est une chose tordue à dire, et certainement égoïste, mais… Il faut s’y attendre. Parce que c’est ce que je suis. Une égoïste de merde. »
Rakel est forte en gueule, odieuse, entourée de types zarbis, et elle n’a rien à faire de l’amour maternel mais le jubilatoire et foutraque Ninjababy la montre néanmoins en train de se demander ce qui serait le mieux pour l’enfant à venir… Alors Rakel n’est pas vraiment sympathique mais assurément attachante…