Scènes de la vie (extra)conjugale
J’avoue j’en ai bavé pas vous
Mon amour
Avant d’avoir eu vent de vous
Mon amour
Ne vous déplaise
En dansant la javanaise
Nous nous aimions
Le temps d’une chanson…
Ecrite un jour d’été 1962, la fameuse Javanaise de Serge Gainsbourg, chanson offerte à Juliette Gréco, son tout nouvel amour, ouvre le nouveau film d’Emmanuel Mouret. Le temps d’une chanson, c’est presque le temps de cette histoire d’amour éphémère qui a saisi Charlotte et Simon. Elle est mère célibataire, lui est un homme marié. Ils deviennent amants en s’engageant à ne se voir que pour le plaisir et à connaître une relation sans engagement où ils n’éprouveraient aucun sentiment amoureux, sans projection dans le temps. Las, au fil des rencontres que le film scande à la manière d’un journal intime, ils sont de plus en plus surpris par leur complicité… Alors cette belle femme pétulante et « open » qui lance « J’ai une envie irrésistible de faire l’amour avec vous » et cet homme « du genre pudique » qui trouve que « ça va vite, là » mais aussi que « te voir, c’est déjà sexuel » vont être entrainés dans une histoire qui pourrait ne pas être aussi éphémère que cela…
Avec Chronique d’une liaison passagère (présenté hors compétition au dernier Festival de Cannes), Emmanuel Mouret signe son onzième long-métrage et poursuit dans une veine qui n’appartient qu’à lui, mêlant avec brio des dialogues élégants et ciselés et des situations volontiers loufoques mais le plus souvent tendres et toujours traversées de mélancolie (Hugo disait que « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste »), le tout porté par des comédiens dont on ressent clairement le plaisir de jouer du Mouret.
« L’idée d’une chronique, dit le cinéaste, me séduisait parce qu’elle propose une progression dramatique par sauts, par ellipses, où à chaque nouveau rendez-vous des amants, le spectateur doit être attentif à une somme de petites choses qui évoluent au fur et à mesure, où il lui faut en quelque sorte recréer par l’imagination l’entre-deux de ces moments. » Car Chronique… ne s’intéresse qu’aux moments où les amants se retrouvent… En s’excluant d’une certaine manière du reste du monde, ils peuvent ainsi n’être qu’à eux-mêmes. Pour savourer d’autant plus pleinement des moments heureux qu’ils sont promis à une fin annoncée.
Chronique… est née d’un atelier d’écriture où Mouret -qui avoue beaucoup aimer le mot liaison- croisa Pierre Giraud avec lequel il allait écrire le scénario de ce film dont la narration procède par sauts et par ellipses tandis que le spectateur doit être attentif à une somme de petites choses qui évoluent au fur et à mesure alors même que le « suspense » est donné dès le titre…
Emmanuel Mouret ordonne son récit autour d’un élément central dans son cinéma, le langage. « J’aime, dit-il, l’idée que mes personnages aiment autant parler que faire l’amour. Parler, c’est se raconter, se chercher, se découvrir dans le regard de l’autre. Quand on s’aime, on a envie de découvrir l’autre et de se dévoiler. C’est une façon de se mettre à nu et de s’entrelacer… » Mais, comme Charlotte et Simon se retiennent de s’avouer qu’ils s’aiment, ils tournent autour de ce qu’ils essayent d’exprimer, veillant sans cesse à ne pas livrer l’essentiel que seraient les mots d’amour. Il est alors question d’une relation d’intelligence ne tombant pas dans le passionnel, de la date de péremption des préservatifs ou encore d’un aveu: « Nous étions bien ensemble car nous n’étions pas ensemble ».
Autant que le langage, la musique tient une place prépondérante dans le cinéma de Mouret. Outre Juliette Gréco chantant Gainsbourg, les accents de Ravi Shankar, on entend aussi Haendel, Chostakovich, Poulenc mais surtout Mozart. « Ce qui est beau, observe le réalisateur, dans cette légèreté mozartienne, c’est qu’elle est profonde. J’aime le fait que ces sonates sont sentimentales sans trop en dire, qu’elles sont douces sans être sirupeuses. Elles apportent une subtilité encore plus grande aux sentiments des personnages. »
Enfin Chronique… est un exercice de funambule, côté interprétation. Car Simon et Charlotte, dont Mouret réalise les portraits à la manière d’un maître ancien, sont constamment à l’image. Et cette omniprésence implique des comédiens brillants capables de porter une fantaisie à la fois fois drôle et grave, légère et sentimentale, sincère et profonde. C’est le cas de Vincent Macaigne, déjà présent, en 2020, dans Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Son Simon est un amoureux transi qui n’arrive jamais vraiment à croire à sa chance. « Pour coucher avec un type comme moi, il faut être charitable… » Quant à Sandrine Kiberlain, elle est une Charlotte vive et radieuse qui prend sa vie en main, qui profite de l’existence, qui monte aux arbres pour en cueillir les fruits… A ce beau duo, on peut ajouter Georgia Scalliet, qui fut sociétaire de la Comédie française et qu’on a vu, naguère dans Robuste de Constance Meyer. Elle apporte une émouvante intensité à Louise, tout à la fois dans la réserve et dans l’audace, qui se lance dans une aventure sexuelle.
Alors Chronique d’une liaison passagère évolue, souvent avec des plans filmés en contre-jour, une lumière printanière et un goût évident pour le hors-champ, au gré d’une relation d’entente et de légèreté dont on se demande si elle va durer. En attendant, on suit le couple de l’hôtel au musée en passant par un week-end à la campagne ou à une séance de cinéma. Simon et Charlotte vont voir Scènes de la vie conjugale et c’est le seul moment où l’on entend des cris avec le couple sans retenue filmé par Bergman et qui se dit des choses terribles. Enfin, les amants rendront visite à Louise, jeune enseignante, rencontrée sur le net, et curieuse d’un plan à trois… Pour le plaisir de faire plaisir.
Tendre et sensuel, le cinéma d’Emmanuel Mouret, entre ce qu’il dissimule et ce qu’il dévoile, semble toujours cultiver un petit côté « l’air de rien » qui joue avec l’attente du spectateur et active son imaginaire… Et c’est bien agréable de se laisser emporter.
CHRONIQUE D’UNE LIAISON PASSAGERE Comédie dramatique (France – 1h40) d’Emmanuel Mouret avec Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet, Maxence Tual, Stéphane Merciyrol. Dans les salles le 14 septembre.