La mémoire de Mia, le spleen de Jeanne et Mathieu dans le piège
ATTENTAT.- C’est une atmosphère de sinistre mémoire qu’évoque le nouveau film d’Alice Winocour puisqu’il y est question d’un attentat terroriste à Paris et qu’on songe, évidemment, aux événements tragiques qui ont endeuillé la capitale, en janvier 2015 puis, le 13 novembre 2015 avec l’attaque, notamment contre le Bataclan où se trouvait le frère de la cinéaste… « Pendant qu’il était caché, explique Alice Winocour, je suis restée en lien sms avec lui une partie de la nuit. Eh oui , le film s’est construit à partir des souvenirs de cet événement traumatique, puis à partir du récit de mon frère dans les jours suivant l’attaque. J’ai expérimenté sur moi- même comment la mémoire déconstruisait, et bien souvent reconstruisait les évènements… »
Dans Revoir Paris (France – 1h43. Dans les salles le 7 septembre), on suit Mia qui a été prise dans un attentat dans une brasserie. Trois mois plus tard, alors qu’elle n’a toujours pas réussi à reprendre le cours de sa vie et qu’elle ne se rappelle de l’événement que par bribes, cette femme de la quarantaine décide d’enquêter dans sa mémoire pour retrouver le chemin d’un bonheur possible. Le chemin vers la résilience sera long et douloureux.
Alice Winocour a construit son récit à la manière d’un puzzle dont les morceaux qui doivent finir par s’emboîter sont ceux d’une mémoire à reconstituer. Mia y parvient difficilement avec son compagnon (Grégoire Colin), peut-être parce qu’elle lui reproche inconsciemment de ne pas avoir été là à l’instant du drame. C’est pour cela aussi qu’elle se tourne vers Thomas, un rescapé qui croisa son regard dans la brasserie. Claustrophobe et grièvement blessé à une jambe, Thomas (Benoît Magimel) cultive cependant une légèreté presque séduisante. Mais, surtout, pour comprendre, cette survivante cherche dans Paris (véritable personnage du film que la cinéaste entend filmer autrement, avec quelque chose de brut et d’hynotique) la main qui l’a sauvée et l’a maintenue dans le monde des vivants. Cette main qui représente le lien émotionnel pur, c’est celle d’Assane (Amadou Mbow), un cuisinier noir et sans papiers… On a beaucoup vu Virginie Efira au cinéma ces temps derniers (Benedetta, Madeleine Collins, Lui, En attendant Bojangles, Don Juan) mais elle s’impose, ici, toute en retenue et en souffrance secrète…
DEPRESSIVE.- Elle a tout pour être au top ! Jeanne Mayer est à deux doigts d’être considérée comme la femme de l’année. Les médias s’enflamment et les journalistes se pâment. Quand tout s’effondre. Magnifique projet écologiste destiné à débarrasser les océans de la pollution des plastiques, Nausicaa s’enfonce tristement dans les flots. Il n’en reste, tournant en boucle sur les chaînes d’info continue, que le plongeon pathétique de Jeanne Mayer dans l’océan, tentant de rattraper sa machine… Désormais à deux doigts de la faillite personnelle, Jeanne Mayer ne sait plus que faire. Et si elle vendait l’appartement de Lisbonne que sa mère, récemment disparue, lui a légué, à elle et à son frère ?
Tout le monde aime Jeanne (France – 1h35. Dans les salles le 7 septembre) est le premier long-métrage de Céline Devaux. Remarquée dans les festivals pour ses trois premiers courts-métrages, la cinéaste et illustratrice se penche sur une jeune femme dont toute l’existence va être mise en désordre par un échec. « Je voulais aussi, dit Céline Devaux, parler de l’inquiétude individuelle qui nous concerne tous (comment je me comporte, suis-je une bonne personne, comment me libérer de toutes les réflexions toxiques qui m’habitent) dans un monde d’inquiétude universelle (comment vivrons-nous dans vingt ans, quelle capacité d’action ai-je dans ce monde en déréliction). (…) Le pire c’est qu’on s’habitue presque à ça. En fait, si on analyse la situation, c’est quasiment la définition clinique de la dépression : se lever, savoir que tout est merdique et n’avoir aucune possibilité d’agir. »
Avec Blanche Gardin, l’une des reines françaises du stand-up en tête d’affiche, cette comédie embarque le spectateur dans les pas de Jeanne dont les angoisses existentielles l’empêchent désormais de voir le beau et de sentir la joie. Dans cette Lisbonne qu’elle a connue adolescente, elle traîne son spleen… Heureusement que Jean, un ancien copain de lycée croisé dans l’avion vers le Portugal (Vincent Lafitte), vient enrayer les mécanismes dépressifs de Jeanne… Car Jean est libre et parle sans complexe de ses problèmes mentaux. Jean n’a pas peur alors que Jeanne a peur de tout.
Enfin, on croise régulièrement, dans le film, un petit fantôme animé, une créature chevelue ni homme ni femme, qui raconte ce qui se passe vraiment dans la tête de Jeanne. La trouvaille est amusante même si elle s’épuise au fil du film…
RUSSIE.- Expatrié français, Mathieu Roussel (Gilles Lellouche) travaille en Russie comme directeur de L’Alliance française à Irkoutsk. Sa vie se partage entre son travail dans cette organisation chargée de faire rayonner la langue et la culture française à l’extérieur de nos frontières et sa famille, en l’occurrence son épouse et sa petite fille Rose. Certes, son mariage bat de l’aile mais Roussel s’occupe parfaitement de sa fillette… Un jour de 2017, des hommes du FSB, le service successeur du KGB, investissent brutalement la petite maison de Roussel, le jette à terre, le menotte avant de l’embarquer. Le voilà, ébahi, devant un juge d’instruction qui le met en examen pour diffusion de matériel pédophile sur internet. Le Français a beau hurlé qu’il est innocent, le voici derrière les barreaux dans un univers carcéral surpeuplé où il ne fait pas bon être poursuivi pour pédocriminalité.
Abrégé de « dossier compromettant », Kompromat est un terme russe désignant des documents compromettants, authentiques ou, le plus souvent, fabriqués et utilisés pour nuire à une personnalité politique, un journaliste, un homme d’affaires etc. Un mot comme un procédé inventé par le KGB. Le scénario de Kompromat (France – 2h07. Dans les salles le 7 septembre) s’appuie librement sur l’affaire Yoann Barbereau, écrivain français nommé en 2011, directeur de l’Alliance française à Irkoursk et victime, en 2015, d’un Kompromat qui l’amènera à entreprendre une longue cavale pour rejoindre la France.
Après L’Odyssée (2016), biopic sur le commandant Cousteau, le réalisateur Jérôme Salle revient, ici, au thriller, un genre dans lequel il avait brillamment réussi avec Zulu (2013), puissante descente aux enfers du meurtre et du crack en Afrique du Sud. C’est dans une Russie glauque (la photographie de Matias Boucard joue sur les gris et une lumière toujours terne) que Salle transpose cette fois son aventure. Kompromat (filmé à Vilnius en Lituanie) appartient au sous-genre « film de fugitif ». Sorti de prison grâce au « meilleur avocat d’Irkoutsk » (Aleksey Gorbounov, vu dans Möbius d’Eric Rochant), Mathieu Roussel est assigné à résidence avec un bracelet électronique. Il comprend vite que ce Kompromat, dont les raisons ne seront jamais expliquées, va l’envoyer en prison pour de longues années. Il décide donc de prendre la fuite… Commence alors une rude cavale dans laquelle Roussel ne peut compter sur presque personne. La belle Svetlana (la Polonaise Joanna Kulig, héroïne des films de Pawel Pawlikowki Ida et Cold War), belle-fille du patron du FSB à Irkoutsk, va cependant lui apporter une aide précieuse…