Quand un monstre sacré tire sa révérence…
Même si la météo conserve des passages encore bien chauds, l’été –au moins, celui des salles obscures- tire à sa fin. Et il est vrai qu’on a parfois pris ses distances du grand écran pour vaquer à des activités estivales. Mais le cinéma de l’été a néanmoins été riche d’excellents moments. Ce fut le cas pour Ad Bestas (dans les salles le 20 juillet), le thriller agricole et espagnol de Rodrigo Sorogoyen avec Marina Foïs et Denis Ménochet rapidement en mauvaise posture dans la campagne galicienne…
Mis en scène par le Mexicain Michel Franco, Sundown (dans les salles le 27 juillet) est un drame déroutant dans la torpeur d’Acapulco. Qui est Neil Bennett, ce type (Tim Roth, remarquable) qui décide de ne pas rentrer à Londres quand Alice (Charlotte Gainsbourg) apprend que sa mère est morte. Neil s’installe dans un hôtel miteux, se lie avec la belle Berenice et ne répond plus à Alice qui lui enjoint de rentrer en Angleterre…
Dominik Moll, dont on avait beaucoup aimé Seules les bêtes en 2019, réussit, avec La nuit du 12 (dans les salles le 13 juillet) un thriller qui suit Yohan Vivès, un flic de la Crim en poste à Grenoble. C’est là que, dans la nuit du 12 octobre 2016, Clara Royer, 21 ans, a été tuée par un homme qui l’asperge d’essence et met le feu… Le crime restera impuni et le cinéaste, à travers une galerie de solides personnages, s’attache à un enquêteur qui fait face à un crime qu’il n’arrive pas à résoudre et qui le hante…
Ce mercredi marque une manière de rentrée pour les salles… Parmi d’autres, Les volets verts est à l’affiche. Justement, il ne faut pas prêter trop d’attention à ce placard un peu trop doux et pastel qui ne rend pas justice au seizième long-métrage de Jean Becker. Car ce vétéran du cinéma national livre, du haut de ses 89 ans, une comédie dramatique pleine de verve, de tendresse, de charme mais aussi de mélancolie. Car voici l’histoire de Jules Maugin, immense figure du théâtre et du cinéma français, au sommet de sa gloire à l’orée des années soixante-dix. Maugin, qui triomphe tous les soirs sur les planches dans L’illusionniste, est ce qu’il est convenu d’appeler un monstre sacré. Un frère en théâtre de Saturnin Fabre, Jules Berry, Pierre Brasseur, Raimu ou Sacha Guitry. Un personnage tonitruant, râleur, ouvertement explosif mais aussi discrètement généreux et éperdument amoureux… Elle se nomme Jeanne Swann. Elle joue à ses côtés tous les soirs. Il lui écrit tous les jours, pas, dit-il, pour évoquer des souvenirs mais pour parler du ciel, de la lumière, d’elle qu’il a vu acheter une paire d’escarpins et lui qui a fondu de bonheur désespéré devant la vitrine… Mais Maugin a consulté son cardiologue. Il sait son cœur fragile et il sait aussi qu’il ne devrait pas boire. Mais l’artiste n’aime rien tant que son existence survoltée, allant de la scène aux plateaux de cinéma où, dit Becker, « on lui demande d’être un autre tout en essayant de garder sa personnalité, obligé d’aller chercher des émotions tout au fond de lui-même, quitte à se faire mal. Souvent, ils ont besoin de s’aider pour arriver à le supporter soit avec l’alcool soit avec la drogue : pour Maugin c’est l’alcool. »
Les volets verts, c’est un film de… vieux. Le terme, dans ma bouche, n’a rien de méchant. Au contraire, il est baigné d’émotion. Becker a 89 ans et Jean-Louis Dabadie, scénariste et dialoguiste, est parti en mai 2020, en plein covid, laissant comme un viatique, cet ultime film où l’on retrouve l’intelligence du scénario et le brio des dialogues de l’un des plus prolifiques scénaristes-dialoguistes (et académicien) du cinéma français. Un matériau de qualité que Dabadie a puisé, en l’adaptant, dans le roman éponyme de Georges Simenon, paru en 1950, et qui fait partie des 117 « romans durs » écrits par le romancier belge dans lesquels il s’affranchit du commissaire Maigret et des codes du polar. C’est Depardieu qui avait lu le livre, en avait parler aux producteurs Michèle et Laurent Pétin qui prennent une option sur les droits du roman, font appel à Dabadie et enfin, alors que Dabadie disparaît, à Jean Becker qui s’empare du projet et complexifie le personnage de Maugin…
Les volets verts est donc un film « à l’ancienne » (ce qui lui vaudra sans doute de se faire laminer par d’aucuns) qui ne cherche jamais à faire les pieds au mur et qui, évidemment, n’a pas l’ambition de bouleverser le 7e art. Jean Becker, le fils du grand Jacques (dont il fut, à quatre reprises l’assistant, la dernière fois pour Le trou en 1960) sait construire une scène, placer sa caméra, capter les bonnes vibrations, imaginer des temps forts, émouvants ou drôles, diriger des comédiens tous au diapason qui font parfois penser à ceux qui peuplent, en nombre, les films de Claude Sautet.
Bien sûr, on pourrait dire que la scène où Maugin, qui vient d’installer chez lui la douce Alice, jeune femme un peu paumée, et lui conseille, en partant, d’écouter la cassette laissée sur le lecteur, est un peu « téléphonée » car s’élève Il suffirait de presque rien, la chanson de Serge Reggiani.
Il suffirait de presque rien,
Peut-être dix années de moins,
Pour que je te dise « Je t’aime ».
Que je te prenne par la main
Pour t’emmener à Saint-Germain,
Et prendre un autre café-crème.
Mais ça « fonctionne » pourtant tellement bien. Exactement comme ce bref instant de comédie où Maugin attrape par le colbac le minus qui fit un enfant à Alice et la laissa en plan. Exactement comme le tournage pour une bière sans alcool où Maugin tord le nez. Et il y en a d’autres…
Tout cela porté par un… monstre sacré. Gérard Depardieu majuscule, majestueux, excessif, massif, monumental, éclatant, tonitruant ou muet et apeuré comme lorsque, chez lui, le soir, alors que montent les accents du Concerto pour clarinette (K.622) de Mozart, un spasme violent lui déchire la poitrine… On pourrait dire, après le récent Robuste où il était déjà un acteur célèbre en mauvaise posture, que Depardieu ne joue plus qu’un autre… lui-même. C’est évidemment oublier qu’il fut, très récemment, un Maigret immense chez Patrice Leconte et qu’on va le voir en chef étoilé dans l’encore inédit Umami de Slony Sow.
Quant aux comédiens qui entourent Depardieu, on l’a dit, ils sont justes et bons. C’est le cas de Fanny Ardant, constamment sensible et bouleversante en Jeanne Swann, de Stéfi Celma, la charmante Alice pour laquelle Maugin aurait peut-être fini par devenir raisonnable, de Fred Testot en sympathique chauffeur tout dévoué à Maugin ou d’Anouk Grinberg en habilleuse au bord du gouffre de la désespérance. Et on a une affection particulière pour Benoît Poelvoorde. L’histrion belge est, ici, dans l’exacte demi-teinte en comédien de second plan mais en ami parfaitement dévoué. Pour l’anecdote, l’Alfa-Roméo que conduit le personnage de Félix est exactement celle de Michel Piccoli dans Les choses de la vie (1970). De Sautet, forcément.
On souhaite à Jean Becker de rencontrer avec ses chaleureux Volets verts le succès qu’il a connu avec L’été meurtrier (1983) ou Les enfants du marais (1999). Cette chronique d’un monstre sacré qui tire sa révérence le mérite. Tandis que le générique de fin se déroule, la chanson de Barbara Une petite cantate ne cesse déjà de nous trotter dans la tête. Et l’entendre chanter par Depardieu (qui, en 2016, l’interpréta dans l’album Depardieu chante Barbara) est plus poignant encore…
Une petite cantate du bout des doigts
Obsédante et maladroite monte vers toi
Une petite cantate que nous jouions autrefois
Seule je la joue maladroite
Si mi la ré sol do fa
LES VOLETS VERTS Comédie dramatique (France – 1h37) de Jean Becker avec Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Benoît Poelvoorde, Stéfi Celma, Anouk Grinberg, Fred Testot, Philippe Brigaud, Marc Andréoni, Loïc Armel Colin. Dans les salles le 24 août.