Le cinéaste amoureux et la légende du rock

"Peter von Kant": Von Kant (Denis Ménochet) et Amir (Khalil Gharbia).

« Peter von Kant »: Von Kant (Denis Ménochet) et Amir (Khalil Gharbia).

FASSBINDER.- On connaissait, depuis Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, l’intérêt de François Ozon pour Rainer Werner Fassbinder. En 1999, pour son troisième long-métrage, il adaptait, avec une certaine distance ironique, Tropfen aus heisse Steine, le huis clos écrit à l’âge de 19 ans pour le théâtre par Fassbinder mais qu’il ne monta jamais. Plus de vingt ans après, l’auteur de Grâce à Dieu (2018) revient donc à l’enfant terrible du cinéma allemand. Cette fois, Ozon adapte (librement) Les larmes amères de Petra von Kant, d’abord une pièce de théâtre puis un film (1972) qui compte parmi les œuvres-culte de RWF.
En 1972 à Cologne, Peter Von Kant, réalisateur à succès, habite un grand appartement avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Un jour, Sidonie, une grande actrice qu’il fit largement tourner, lui présente Amir Ben Salem, un jeune homme d’origine modeste. Peter von Kant tombe instantanément sous le charme de ce presqu’adolescent à la large chevelure sombre et bouclée. Sous le regard noir de Karl, le cinéaste lui propose de partager son appartement et lui promet de l’aider à se lancer dans le cinéma…

"Peter von Kant": Sidonie (Isabelle Adjani), Mutti (Hanna Schygulla) et Gaby (Aminthe Audiard). Photos Carole Bethuel

« Peter von Kant »: Sidonie (Isabelle Adjani), Mutti (Hanna Schygulla)
et Gaby (Aminthe Audiard).
Photos Carole Bethuel

Evoquant la genèse de ce 21e long-métrage qu’il a produit lui-même, François Ozon explique : « Fassbinder est un cinéaste dont l’œuvre, la pensée et la vision du monde me hantent depuis toujours. Quant à son incroyable énergie créatrice, elle me fascine et il reste un exemple à suivre dans ma manière de travailler. (…) Mon désir d’oser adapter un texte, devenu un classique du théâtre contemporain, a été conforté par le travail de metteurs en scène de théâtre actuels, comme Thomas Ostermeier, Krzysztof Warlykowski ou Christophe Honoré, qui ont mis en scène des textes classiques avec une grande liberté, en les réinventant, les désacralisant, leur réinjectant de la modernité et leur vision personnelle. »
Si, pour Gouttes d’eau…, le cinéaste avait adopté une distanciation ironique (le personnage incarné alors par Bernard Giraudeau porte les mêmes tenues que Karl, ici), dans Peter von Kant (France – 1h25. Dans les salles le 6 juillet), Ozon est davantage dans l’empathie… Plus en phase avec un artiste dont il comprend la manière de voir la vie, la création et l’amour jusque dans ses aspects les plus monstrueux. D’ailleurs, le personnage de Sidonie résume : « Un artiste de génie, un humain de merde »
Pas plus que Fassbinder n’était un cinéaste aimable, le cinéaste entend, ici, que le spectateur soit traversé par une diversité de sentiments à l’égard de Peter von Kant (Denis Ménochet). De fait, on ressent presque du dégoût pour cet homme ventru et implorant, en pleurs, son jeune amant de rester avec lui avant d’éprouver de la pitié pour un être soudain pathétique, à la fois grotesque et attachant. Ozon enferme cinq personnages dans un huis-clos dans lequel Peter von Kant apparaît comme un « bouddha » alcoolisé et cocaïmomane qui peine à créer. La séquence où il filme Amir, à la manière d’un casting, est moins un moment de cinéma qu’une scène d’amour…
Remarquablement porté par cinq comédiens en verve (on retrouve avec plaisir Isabelle Adjani et le retour d’Hanna Schygulla, qui était dans la distribution des Larmes amères, est émouvant) Peter von Kant est une variation-hommage à RWF. Même si le film d’Ozon a quelque chose de dérangeant, tous ceux qui aiment le cinéma de Fassbinder, y débusqueront de multiples références, qu’elles soient musicales (on entend Barbara Valentin, actrice dans Effi Briest (1974) ou Lili Marleen (1980), chanter Alle Männer Sind Teddybären), cinématographiques ou personnelles, ainsi Ben Salem est le nom de l’un des amants de Fassbinder qui lui donna le rôle principal de Tous les autres s’appellent Ali

"Elvis": Austin Butler incarne Elvis Presley. DR

« Elvis »: Austin Butler incarne Elvis Presley. DR

KING.- Si le film d’Ozon a fait l’ouverture de la Berlinale de cette année, Elvis a fait le buzz sur la Croisette où il était présenté hors compétition dans la sélection officielle. S’il n’est pas véritablement « fils de Cannes », Baz Luhrmann a déjà connu l’exposition festivalière avec Moulin rouge (2001) avant de faire l’ouverture de la sélection officielle avec Gatsby le Magnifique en 2013. Cette année, avec son Elvis, le cinéaste australien a imprimé un rythme rock à l’auditorium Lumière et a réveillé les souvenirs des plus anciens avec les déhanchements suggestifs, voire provocants du King, ceux-là même qui affolaient les adolescentes américaines des années 50 et donnaient, dans le même temps, des sueurs froides aux censeurs et aux tenants des bonnes mœurs.
Avec Elvis (USA – 2h39. Dans les salles le 22 juin), le cinéaste s’avance sur un territoire balisé car on sait tout de la carrière, de la personnalité, de l’œuvre et de la mort même du célèbre chanteur. Tout en traitant tous ces aspects, Luhrmann saute l’obstacle avec brio. Parce qu’à travers une figure mythique, il dépasse le simple biopic pour raconter un rêve américain, celui de la réussite d’une légende du rock’n roll. Ensuite, Luhrmann a trouvé, avec Austin Butler, 30 ans (connu pour son rôle de Sebastian Kydd dans la série The Carrie Diairies), l’interprète idéal pour incarner Elvis et il lui oppose un « monstre sacré » d’Hollywood en la personne de Tom Hanks. L’interprète de Forrest Gump s’est totalement métamorphosé pour incarner l’ambivalent colonel Parker, mentor et impresario exclusif du King à la silhouette alourdie, à la fois génie de la communication et… escroc.

"Elvis": Tom Hanks est le colonel Parker. DR

« Elvis »: Tom Hanks est le colonel Parker. DR

Le film repose d’ailleurs sur les rapports complexes entre le chanteur et cet homme, que le film représente à plusieurs époques de son existence : de 45 à 50 ans, à la soixantaine et à 87 ans lorsqu’il s’éteint en 1997 à Las Vegas. Elvis, lui, avait déjà rejoint le paradis des rockers vingt ans auparavant, emporté, à 42 ans, par la maladie et l’abus de médicaments…
Austin Butler (qui a, lui aussi, longuement fréquenté l’atelier des effets spéciaux maquillage pour être le King de 17 à 42 ans) mène donc le bal d’Elvis dans une allègre mise en scène d’un Luhrmann inspiré qui manie avec aisance le split screen et réussit à faire entrer le spectateur dans les affres du jeune Elvis comme dans les concerts gigantesques qu’il a donné à l’International Hotel de Las Vegas…
Les chansons de la période antérieure aux années 60 sont interprétées par Austin Butler et parfois par un mélange entre sa voix et celle d’Elvis. Pour la deuxième partie de la carrière d’Elvis, avec ses concerts gigantesques, l’équipe a utilisé les propres enregistrements de King. Et on n’en finit toujours pas de vibrer à Heartbreak Hotel !

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