Alma et le partenaire idéal

Dans un club, Alma (Maren Eggert) découvre Tom (Dan Stevens). Photo Benedict Neuenfels

Dans un club, Alma (Maren Eggert)
découvre Tom (Dan Stevens).
Photo Benedict Neuenfels

« Mais qu’est-ce que je suis venue faire dans ce bar ? » L’air septique, Alma regarde les danseurs tourner sur la piste… En fait, cette brillante scientifique est en mission. Parce que son département au prestigieux Pergamon Museum a besoin de fonds pour lui permettre de poursuivre ses recherches sur les écritures cunéiformes sumériennes, Alma a accepté de participer, pendant quelques semaines, à un essai d’évaluation, en l’occurrence tester un robot humanoïde mis au point par l’entreprise Terrareca. Dans ce dancing au look d’un autre temps, une employée de cette société lui présente Tom. Regard bleu perçant, d’une élégance un peu désuète dans son costume sombre, l’androïde a été programmé en fonction du caractère d’Alma et de ses besoins. Mais qu’importe, Tom embarque Alma dans un tour sur la piste de danse. Où Alma constate aussi, que, pour correctement garnir les lieux, Terrareca n’a pas hésité à glisser des hologrammes dans le décor…
Avec I’m Your Man, Maria Schrader signe, après Stefan Zweig, adieu l’Europe (2016), son second long-métrage comme réalisatrice et propose au spectateur, du côté de Berlin, une plaisante et surprenante comédie romantique de science-fiction.
On connaît Maria Schrader comme comédienne, notamment au côté de Dani Lévy avec lequel elle a tourné une demi-douzaine de films et notamment Robby, Kalle et Paul (1989) dans lequel elle a fait ses débuts. On l’a vu aussi dans Aimée et Jaguar (1999), Rosenstrasse (2003) ou Le club des crocodiles (2009) mais Maria Schrader s’est surtout fait remarquer, en 2020 avec l’excellente mini-série (diffusée sur Netflix) Unorthodox qui raconte l’aventure tragique d’Esty, 19 ans, issue d’une famille juive ultra-orthodoxe de Williamsburg, dans le quartier de Brooklyn, qui décide de fuir sa communauté un an après son mariage arrangé avec Yanky Shapiro. Elle part secrètement pour Berlin où vit sa mère depuis qu’elle a elle-même quitté la communauté. Mais Esty est enceinte…

Alma et un robot prêt à satisfaire tous ses souhaits... DR

Alma et un robot prêt
à satisfaire tous ses souhaits… DR

Présenté à la Berlinale, Ich bin dein Mensch, qui se déroule dans un futur proche, est une délectable fable d’anticipation (sans aucun effet spécial) qui, à travers les relations, forcément étranges, d’Alma et de Tom, questionne les rapports amoureux, la finalité du couple et aussi la possession. Car Alma, contrainte « par contrat », d’installer l’androïde dans son existence, n’est pas plus ravie que cela de cette présence. A la différence, par exemple, d’un vieux monsieur qu’Alma croise, en ville, et qui se réjouit, lui, de sa charmante androïde…
Pourtant, Tom a tout de l’homme idéal et son existence ne doit servir qu’un seul but : rendre Alma heureuse. La scientifique l’interroge sur le sens de la vie. « Rendre le monde meilleur », répond Tom. Et la chose la plus triste ? « Mourir seul » pense le robot.
Au retour d’une soirée arrosée et alors que le robot, dont l’intelligence artificielle s’est adaptée à Alma, lui refuse les rapports sexuels qu’elle exige, Alma croit devoir s’excuser. Elle glisse à Tom que « ce soir, je n’ai pas fait honneur à mon espèce ».
Dans un film dynamique où l’humour et la mélancolie cohabitent, la cinéaste montre une Alma qui défend les principes de l’amour romantique, de l’indépendance et du soi-disant libre arbitre. À ses yeux, Tom –qui lui lance pourtant « Du bist ein Schatz »- n’est rien de plus qu’une machine à satisfaire ses besoins. Loin d’être un véritable homologue, elle n’y voit qu’une illusion creuse. Cherchez la perfection chez l’être aimé, est-ce, après tout, possible ?

Tom a préparé une soirée champagne autour d'un bain... DR

Tom a préparé une soirée champagne
autour d’un bain… DR

Maria Schrader interroge : « Alma expose les paradoxes du désir humain. Est-il inhérent à l’expérience humaine de ne jamais atteindre ce que l’on désire ? Est-ce là une condition préalable au désir, en particulier lorsqu’il s’agit d’amour ? » L’androïde-partenaire qui analyse besoins, souhaits et désirs avec une telle précision qu’il pourrait les satisfaire avant même qu’ils soient formulés, est-ce de l’amour ou simplement de la programmation ?
Lorsqu’Alma finit par tomber amoureuse de Tom, elle se retrouve face à un problème insoluble. Qu’est-ce qui est « réel » dans une relation et quelle est la part d’apprentissage, d’adaptation et donc de… programmation ?
Avec malice, la cinéaste suggère que cette programmation ne fonctionne pas toujours, ainsi dans la savoureuse séquence où Tom, plus gendre idéal que jamais, a préparé un bain aux chandelles (avec champagne, fraises et musique douce) dans une salle de bain parsemée de pétales de roses. Las, Alma n’appartient pas aux 93% des femmes allemandes qui fondent statistiquement pour cette mise en scène amoureuse…

Alma et Tom ou une certaine idée du couple? Photo Christine Fenzl

Alma et Tom ou une certaine idée du couple?
Photo Christine Fenzl

La réussite de I’m Your Man repose aussi sur un attachant duo d’acteurs. Maren Eggert (couronnée à la Berlinale d’un Ours d’argent pour son interprétation) est une Alma complètement humaine, c’est-à-dire intelligente et désemparée, drôle et stricte, instable et disciplinée, insouciante et perspicace, aimable et complexe, belle et imparfaite. Devant son « Traumpartner », elle finit par se lasser : « Tu peux t’arrêter d’être irréprochable ? »
Pour Tom, la cinéaste a trouvé, avec le Britannique Dan Stevens (vu dans la série Downton Abbey) un comédien capable d’être à la fois androïde et « humain ». Maria Schrader a imaginé que les algorithmes utilisés pour programmer le robot ont été nourris de films classiques hollywoodiens. De fait, Tom a une allure de Cary Grant ou de James Stewart…
De la science-fiction romantique ! On en redemande !

I’M YOUR MAN Comédie dramatique (Allemagne – 1H45) de Maria Schrader avvec Maren Eggert, Dan Stevens, Sandra Hüller, Hans Löw, Wolfgang Hübsch, Annika Meier, Falilou Seck, Jürgen Tarrach, Henriette Richter-Röhl, Monika Oschek. Dans les salles le 22 juin.

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