La galeriste et l’homme aux diamants
« Mon dernier cache-cache avec la police, j’avais 17 ans, les cheveux verts et je militais contre le nucléaire… » Ce soir-là, dans le quartier de la gare à Francfort, Monika Albrecht est en panne de cigarettes. Devant un café, des Africains l’invitent à entrer pour boire un verre et écouter de la bonne musique. Et, par ailleurs, disent-ils, il y a un distributeur de cigarettes à l’intérieur. C’est ainsi que cette galeriste va croiser la route de Joseph. « Nice to meet you, Joseph ! » lorsque la police déboule dans le bar pour une descente. « Contrôle des passeports ! Montrez vos mains ! » Monika et Joseph ont juste le temps de se cacher, dans une arrière-cour, derrière des poubelles.
Evoquant l’origine de son premier long-métrage, la réalisatrice Lisa Bierwirth explique : « Le point de départ a été la relation entre ma mère et son mari de l’époque, originaire de Kinshasa, au Congo. Malgré toutes leurs difficultés, ils formaient un couple incroyable. Un couple lumineux, non seulement par leurs différences, mais aussi par leur résilience, leur humour et par l’énergie qu’il y avait entre eux. À partir de cette histoire intime, j’ai commencé un véritable travail de fouilles, j’ai interrogé beaucoup de gens pour découvrir ce qu’on pourrait bien raconter, et surtout comment on pourrait raconter les difficultés qu’une telle relation rencontre… »
Celui que ses amis surnomment le Prince et qui dit se nommer Joseph Badibanga, vient du Congo. Il était, dit-il, en route pour Madrid et se retrouve à Francfort par accident. Avec des problèmes de titre de séjour et en attente de régularisation. Alors même que Monika se demande quelles sont les combines plus ou moins légales de son nouvel ami, cela n’empêche pas Joseph de faire des affaires, notamment de vendre des diamants qui lui viennent d’un lopin de terre qu’il dit possèder dans sa terre natale…
Avec ce couple, on songe parfois, même si l’âge des protagonistes et leur milieu social n’est pas le même, à Fassbinder et à Tous les autres s’appellent Ali (1974). Mais, à l’époque, le rejet de cette veuve allemande éprise d’un ouvrier marocain, était beaucoup plus violente. Monika et Joseph pensent qu’ils sont différents, qu’ils ne sont pas le produit de leur environnement et qu’ils vont pouvoir surmonter les obstacles. Choisissant le camp du mélodrame pour éviter le réalisme social, le film remet en question l’idée romantique que l’amour peut abattre tous les murs et neutraliser les conventions sociales. On se demande alors si la possibilité de vivre son amour au grand jour n’est pas une forme de luxe. Par contre, l’amour que Monika et Joseph ont l’un pour l’autre semble une évidence, comme un coup de foudre.
Avec Le Prince (nommé pour le prix du meilleur scénario allemand par la Commission fédérale gouvernementale pour la Culture et les médias), la cinéaste allemande de 39 ans fait s’entrecroiser deux univers pas franchement appelés à se rencontrer. D’un côté, les « winners » de la bourgeoisie allemande, de l’autre les « losers » de la ville cosmopolite. Tandis que Joseph apparaît, disparaît, revient d’un séjour en prison, reprend son business avec des amis plus ou moins louches, Monika fait le pont entre ces mondes. Elle travaille dans sa galerie, s’occupe de commissariats d’exposition et se retrouve à un tournant de sa vie professionnelle où elle doit décider de postuler à la direction de la Kunsthalle de Francfort. Et puis, elle retourne vers les lieux de la diaspora congolaise, le restaurant et le bar où se rencontrent Joseph et ses amis. Elle s’y sent sans doute plus à l’aise que dans les dîners et réceptions mondaines entre artistes, curateurs et collectionneurs où Joseph semble, de fait, sinon exclu du moins marginalisé…
Pour incarner ces « loups solitaires » audacieux face à des environnements respectifs rigides et inflexibles, la cinéaste a trouvé deux beaux acteurs. L’Autrichienne Ursula Strauss (connue pour la série à succès Mörderrisches Tal-Pregau) incarne une Monika qui porte l’esprit de son temps, la volonté et l’humour avec force et nonchalance. Elle réussit à merveille à faire, en un regard, affleurer la vulnérabilité de la galeriste. Pour l’insaisissable et mystérieux Joseph, la réalisatrice a fait appel à Passi Balende, 49 ans, rappeur, chanteur compositeur et producteur franco-congolais, considéré, par la presse spécialisée, comme l’un des pères fondateurs du rap français, à l’instar de NTM, IAM ou MC Solaar.
L’un des atouts du film repose sur la manière dont Lisa Bierwirth filme Francfort, lieu de nombreux contraires. Siège de la Banque Centrale Européenne, de l’une des plus grandes bourses du monde et de très nombreuses entreprises internationales , Francfort est un lieu de rencontre pour ceux qui font et défont le monde. Pour Joseph, c’est un fantasme : l’argent y est à la fois très palpable et exclusif. « Le quartier des affaires, dit la cinéaste, côtoie le quartier de la gare, où se croisent chaque jour les prostituées, les artistes, les touristes, les cadres supérieurs et toute une foule de gens du monde entier. C’est une sorte de New York à toute petite échelle. »
Lisa Bierwirth achève Le Prince sur une image qui ouvre sans doute sur un monde meilleur. Monika et Joseph, après s’être perdus de vue, se retrouvent et s’embrassent. Egaux dans leur fragilité mais également dans l’affection sincère qu’ils se portent.
LE PRINCE Comédie dramatique (Allemagne – 2h05) de Lisa Bierwirth avec Ursula Strauss, Passi Balende, Nsumbo Tango Samuel, Victoria Trauttmansdorff, Denis Mpunga, Alex Brendemühl, Hanns Zischler, Agnieszka Piwowarska. Dans les salles le 15 juin.