Don Juan démuni et des hommes à la dérive
FEMINISTE.- Il ne va pas très bien, Don Juan ! Pire, il traîne son mal-être dans la salle des mariages d’une mairie où Julie, sa promise, ne viendra pas. On connaissait le Don Juan conquérant, le séducteur impénitent, le tombeur vorace, presque prédateur. C’en est fini… Don Juan est un acteur qui monte en scène et a bien du mal à croire au texte qu’il doit dire… Alors, il apparaît quasiment pathétique quand il chante : « J’ai encore le droit d’offrir une petite coupe, une simple petite coupe ! »
Avec Don Juan (France – 1h40. Dans les salles le 23 mai), Serge Bozon voulait raconter une histoire d’amour, ce qu’il n’avait jamais fait jusque là. Il sort donc ici du registre des films de genre (La France, en 2007, avait un rapport au film de guerre ; Madame Hyde en 2018 au fantastique et Tip Top en 2013 au film policier) pour s’inscrire davantage dans l’émotion.
Au lieu de conquérir tout le monde avec sa verve légendaire, ce Don Juan est abandonné dès le début et il sera encore abandonné à la fin, définitivement. Plutôt qu’un séducteur qui enjôle toutes les femmes, lui est obsédé par une seule femme, qu’il voit se multiplier partout. Et il n’arrête pas de se faire jeter par les femmes qu’il aborde en croyant ainsi la reconnaître. Exit, le Don Juan victorieux, cynique et manipulateur, le voilà perdant, sincère et démuni.
Serge Bozon s’empare d’un point de départ que tout le monde connaît et il a proposé à sa co-scénariste Axelle Ropert de travailler sur ce personnage. A l’époque de l’écriture, Axelle Ropert était largement investie dans ce qui se passait autour du mouvement #Metoo et il n’est donc pas vraiment surprenant de croiser, ici, un Don Juan inversé.
On l’a compris, le parti-pris du tandem Ropert/Bozon est clair : offrir une version féministe au fameux mythe de Don Juan. Ici, Don Juan est aux prises avec des femmes en révolte qui le rejettent sans ménagement quand il les harcèle. En réalité, chez Bozon, Don Juan est plus victime de lui-même que des femmes. In fine, cet homme se retrouve sans rien, ni métier, ni compagne alors que Julie, la femme de ses rêves et de ses cauchemars, triomphe en scène.
Présenté sur la Croisette dans le cadre de Cannes Première, Don Juan est conçu comme une comédie musicale où les personnages, comme autrefois chez Jacques Demy, se mettent à chanter pour exprimer leurs états d’âme, leurs souffrances, leurs blessures. Las, ces chansons, qui manquent singulièrement de qualité musicale, ne fonctionnent pas bien. Seul Alain Chamfort, dans le rôle d’un vieil homme –Commandeur spectral mais ironique- qui a perdu sa fille, amoureuse de Don Juan, tire, avec une élégance à la Henry Fonda, son épingle du jeu.
Habitué d’un cinéma grinçant, voire burlesque, Serge Bozon voulait, ici, une forme plus harmonieuse où l’émotion devait monter peu à peu… Malheureusement, il ne peut guère s’appuyer sur Tahar Rahim qui, le plus souvent, donne l’impression de se demander ce qu’il fait là. Quant à Virginie Efira, qu’on a beaucoup vu ces derniers temps, sur le grand écran, elle joue terriblement mou.
Entre Molière et Mozart, le mythe était bien trop haut à atteindre. « Tous les discours n’avancent point les choses. Il faut faire et non pas dire; et les effets décident mieux que les paroles » disait Molière…
PEURS.- Ils sont conducteur de métro, père, mari, grand-père, lycéen ou romancier (à succès) mais tous partagent le même problème : ils sont au bout du rouleau. Alors, ils se retrouvent, tous, sur le quai d’une petite gare de campagne perdue au milieu de nulle part dans une nature sauvage. Ils sont venus là pour un stage de thérapie de groupe. Un stage mystérieux, « exclusivement réservé aux hommes » et surtout censé faire des miracles. Première surprise à leur arrivée : Omega, le coach, est une femme ! Alors que le temps se gâte, voilà cette troupe, très mal assortie, partie sur les chemins creux pour rejoindre un camp pour le moins sommaire nommé Terre Happy. « Jeu de mot de merde », grommelle le vieil Hippolyte (Thierry Lhermitte). Bien sûr, il va s’agir de… positiver. Omega le précise d’emblée : « Si vous êtes là, c’est parce que vous allez mal mais surtout parce que vous avez envie d’aller mieux » et Omega enfonce encore le clou : « Je vous assure que le monde peut fonctionner sans vous ».
Pour écrire, avec Claire Barré, le scénario d’Hommes au bord de la crise de nerfs (France – 1h37. Dans les salles le 25 mai), la cinéaste Audrey Dana a réalisé plusieurs centaines d’interviews d’hommes anonymes pour faire le tour de personnalités. « Ces hommes, précise Audrey Dana, y confiaient leurs peurs, leurs doutes avec une sincérité bouleversante. Et à la question : Qu’attendez-vous d’un film qui parle des hommes ?, 98% des réponses disaient la même chose : Qu’il montre que nous aussi, nous avons peur ! »
Partant de là, l’auteure de Sous les jupes des filles (2014) et Si j’étais un homme (2017) a imaginé une comédie légère qui ne fera de mal à personne en passant à la moulinette les travers et les faiblesses des hommes. Le titre-hommage à Almodovar est une manière pour Audrey Dana d’affirmer que l’hystérie qu’on dit si féminine peut aussi être portée par des hommes…
Des hommes qu’elle s’applique à cerner, révélant les crises d’angoisse du très solitaire Michel (Laurent Stocker), observant la phobie de la castration de Romain (Ramzy Bedia), se penchant sur les affres existentielles d’Ivan (Pascal Demolon), l’écrivain à succès, complètement névrosé et tombé au bas de l’échelle sans oublier Noé (Michaël Gregorio) qui voudrait maîtriser ses pulsions ou encore Eliott (Max Baissette de Malglaive), lycéen de petite taille qui peste d’être pris pour un enfant. Antoine (François-Xavier Demaison) tente de donner le change alors même que son mari vient de le quitter… Pour coacher tout ce petit monde, toujours en mode râleurs, la très baba-cool Omega (Marina Hands) s’ingénie à distiller une harmonie sur fond de « Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. Toujours ! » et qu’importe si Ivan grogne : « Parfois, dans la gueule aussi… »
Dans le Vercors, le tournage a été labellisé « écoprod », manière de faire baisser l’empreinte carbone du film. Ainsi l’équipe mangeait sainement, avait des toilettes sèches et on ne trouvait pas de sucre sur la table régie. Aux Rencontres de Gérardmer où le film était présenté en avant-première, certains comédiens ont cependant avoué que du Coca de contrebande avait circulé sur le plateau…
Parce que « 80% de nos peurs ne servent à rien », la troupe finira par aller mieux et se jettera à l’eau. Au propre comme au figuré, en ayant l’impression de s’être tricoté de beaux souvenirs…