Fantasia cannoise chez les zombies
L’air vaguement hagard, Fatih l’avoue : « Je suis un peu désemparé ! » Allez, on pique la réplique à ce personnage de musicien de film et on confirme : nous aussi. Le nouveau film de Michel Hazanavicius qui vient de faire l’ouverture, hors compétition, au Festival de Cannes, est un exercice complètement loufoque sur les séries Z de zombies doublé d’une réflexion plutôt marrante sur le cinéma et les coulisses d’un tournage.
S’il se présente comme un réalisateur « rapide, pas cher et dans la moyenne », Rémi Bouillon n’a surtout pas tourné grand’chose. Quelques pubs, des documentaires bidonnés, des films institutionnels. Bref, dans son petit appartement parisien, aux côtés de sa femme, ex-actrice et de sa fille qui se rêve cinéaste « entre Scorsese et Coppola », il broie clairement du noir. Alors, lorsque Mounir, son copain producteur, lui fait rencontrer Madame Matsuda, Rémi pense que son moment est enfin venu… Car cette productrice nippone a le projet de faire réaliser en France un remake d’un film de zombies japonais.
Toutefois, le marché fait reculer Rémi Bouillon. Il s’agit de tourner un plan-séquence de trente minutes qui sera diffusé, en direct, sur les plates-formes. Le genre parfaitement casse-gueule. Mais Rémi va relever le défi.
De fait Coupez ! est bien le remake d’un film japonais passé à peu près inaperçu au moment de sa sortie en France, en 2019. Ne coupez pas ! de Shin’Ichirô Ueda, n’a en effet été vu que par un peu plus de 2000 spectateurs lors de sa (toute petite) diffusion dans les salles françaises à l’époque. Mais il a marqué ses spectateurs, dont beaucoup ont rejoint depuis la cohorte de fans à travers le monde qui considèrent qu’il s’agit là d’une œuvre culte.
Au départ, voilà un simple film d’étudiants de Tokyo, tourné en six jours et pour une bouchée de pain (l’équivalent de 24 000 euros). Alors âgé de 33 ans, Ueda n’a à son actif qu’un long et un court-métrage et il a tiré le sujet de son film d’une pièce de théâtre intitulée Ghost in the Box. Le titre japonais peut se traduire par N’arrêtez pas la caméra!. Et c’est exactement ce qui va se passer dans le film de Rémi Bouillon… au prix, évidemment, de folles et loufoques péripéties.
Michel Hazavanicus est entré dans la légende cannoise en 2011 avec The Artist, étonnant pastiche/célébration du cinéma américain non sonore des années 20 et 30. Muet, noir et blanc, le film a séduit largement les festivaliers et valut à Jean Dujardin le prix d’interprétation. Il revint ensuite sur la Croisette avec Le redoutable (2017) autour de la figure de Jean-Luc Godard.
Au pape de la Nouvelle vague, succède donc dans le cinéma du réalisateur des deux premiers OSS 117, un obscur, un sans-grade avalé par une machine « artistique » qu’il ne maîtrise très vite plus.
De fait, le réalisateur souhaitait depuis longtemps mettre en scène une comédie se déroulant sur un tournage de film. Même s’il n’est pas, dit-il, un fan de films gore, il se refuse cependant à prendre ici le genre de haut : « Les détournements ne fonctionnent que s’il y a du respect, ou de la tendresse, pour l’œuvre détournée. C’est ce qui rend le truc intéressant et en plusieurs dimensions. Sinon on risque vite de tomber dans la moquerie, voire le ricanement. La frontière est parfois ténue, mais j’ai besoin d’avoir un premier degré solide pour qu’il y ait second degré. »
Coupez ! se déroule en deux parties. La première plonge dans le tournage en temps réel (32 minutes) et en direct (ceux qui ont l’œil remarqueront peut-être un point de montage) de cette aventure de zombies aussi excessive que spécialement cheap. Et puis, lorsque l’attention (la patience ?) du spectateur pourrait venir à faiblir, Hazanavicius reprend le tout par le début et en flash-backs sur le mode « Trois mois avant », « Une semaine avant », « Une heure avant ».
Pour cette improbable mais souvent jouissive (les jets de sang sont garantis) Nuit américaine, le cinéaste fait la part belle aux portraits de comédiens et de techniciens. On imagine volontiers que le scénario, qui reprend les principaux ingrédients du film original, est nourri d’observations recueillies sur les plateaux de ses films. Voici donc le comédien qui lutte contre l’alcoolisme (Gregory Gabedois), l’ex-actrice (Bérénice Béjo) qui reprend du service (parce que le réalisateur est son… mari) mais qui est réputée ingérable sur un plateau ou encore l’acteur (Finnegan Oldfield) qui a tourné naguère avec Lars et dont la « brillante » jeune carrière lui permet de démolir le scénario et la façon de filmer de Rémi. Comme on est dans le gore, on croise Jonathan, l’assistant (Raphaël Quenard) dont les intestins lâchent régulièrement !
Outre Bérénice Béjo, sa femme à la ville, le cinéaste a aussi offert des rôles à sa fille Simone et à sa nièce Raïka. Enfin, il a repris, pour le personnage de la productrice japonaise, une comédienne du film original, Yoshiko Takehara dont la bouille ronde apporte une dinguerie réjouissante et bienvenue.
Dans cette micro-société qu’est un plateau de tournage, les caractères se révèlent souvent de manière exacerbée. Hazanavicius a gardé pour la bonne bouche le personnage de Rémi Bouillon. Romain Duris s’en donne à cœur-joie dans ce Clouzot au petit pied qui vocifère des insultes sur sa malheureuse comédienne : « Tu joues comme une merde ! T’es nulle » avant de revenir vers elle sanglotante, « Voilà ! Là, j’ai de la sincérité. Y’a de la vérité ! »
Comme le dit encore Rémi Bouillon : « On s’adapte et on accepte tout ce qui se passe ! » Allez, faisons cela.
COUPEZ ! Comédie horrifique (France – 1h50) de Michel Hazavanicius avec Romain Duris, Bérénice Béjo, Gregory Gadebois, Finnegan Oldfield, Matilda Lutz, Sébastien Chassagne, Raphaël Quenard, Lyès Salem, Simone Hazanavicius, Agnès Hurstel, Charlie Dupont, Luana Bajrami, Jean-Pascal Zadi, Yoshiko Takehara. Dans les salles le 18 mai.