Le joyeux Robin des Bois de la redevance télé
Il a une bonne tête, Kempton Bunton ! Mais il faut bien avouer quand même que c’est un sacré fruit sec. Pas capable de rester longtemps dans un emploi, plutôt menteur quand il est en famille. De fait, cet homme-là est un rebelle. Modèle très british, façon Speaker’s corner de Hyde Park, à deux pas de Marble Arch à Londres. Le genre à monter sur une cagette, à brandir un calicot et à brailler dans un mégaphone de fortune des revendications que personne n’écoute…
Le placide Kempton est contraint de faire des détours et de se cacher à l’angle des rues quand il rentre chez lui et qu’il aperçoit des fonctionnaires à sa porte. Les bougres ont repéré que, dans la famille Bunton, on regarde la télévision mais qu’on ne paye pas la redevance. C’est justement là que le bât blesse pour Kempton. Car il est profondément convaincu que les victimes de guerre et les retraités devraient être exemptés de cette fichue redevance.
Nous sommes en 1961 à Newcastle dans le nord de l’Angleterre et notre homme n’a, cette fois, pas réussi à échapper aux contrôleurs de la télévision. Il a beau dire que la chaîne ITV est payée par la publicité et qu’il ne peut pas regarder la BBC (de fait, il a retiré une pièce dans le poste…), rien n’y fait. Le voilà condamné à treize jours de détention à la prison de Durham. Mais il en faut plus pour refroidir notre Robin des Bois !
Car voilà qu’on parle… dans l’étrange lucarne d’un sujet qui fait les choix gras des gazettes, en l’occurrence l’affaire du portrait du duc de Wellington par Francisco Goya. Le tableau avait été acheté, dans une vente aux enchères, par un collectionneur américain et l’opinion publique britannique s’insurgeait contre l’idée que ce tableau puisse quitter l’Angleterre au lieu d’entrer dans les collections de la prestigieuse National Gallery. Il n’en faut pas plus pour qu’une idée rocambolesque germe dans l’esprit toujours en éveil de Kempton Bunton.
Bientôt, on apprend que le petit tableau représentant le vainqueur de Waterloo a été dérobé… C’est la toute première fois, en cet été 1961, que le célèbre musée londonien est victime d’un vol. Les autorités se perdent en conjectures. On ne sait comment le vol a été commis et Scotland Yard n’hésite pas à évoquer de redoutables trafiquants internationaux…
On l’a compris, le précieux tableau est entre les mains de notre joyeux activiste qui trouve même qu’il est mal peint ! Si le Goya est évidemment invendable, Kempton a décidé d’exiger une somme de 14.000 livres, convaincu que cela permettra de financer une redevance gratuite pour les plus modestes, la télé représentant, pour eux, un remède contre la solitude…
Connu pour Coup de foudre à Notting Hill, la comédie romantique à succès qui avait réuni Julia Roberts et Hugh Grant en 1999, le cinéaste Roger Michell s’empare, ici, de faits réels pour signer une chronique sociale (on songe souvent à l’univers de Mike Leigh ou de Ken Loach) qui s’achève en jubilatoire film de procès. On imagine bien que le réalisateur britannique a d’emblée mesuré le potentiel de sympathie qui émane de l’extravagant Kempton Bunton… Le film ne se prive pas de nous montrer ce sexagénaire débonnaire aux prises avec la vie quotidienne dans un quartier populaire. Mais Bunton a aussi la chance d’être au cœur d’une communauté soudée. Bien sûr, il y a là Dorothy, l’épouse, qui se désespère de voir son Kempton s’enferrer dans des histoires invraisemblables tout en étant toujours secrètement éprise de lui. Car l’histoire du couple Bunton a été traversée par une tragédie. Kempton tente de faire face en écrivant des pièces de théâtre qu’il adresse en vain à la BBC et Dorothy s’est murée dans le silence…
Pour porter son aventure, Michell a eu la chance (en les entourant de nombreux acteurs de qualité) de réunir deux grandes stars britanniques. Un peu en retrait avec sa Dorothy qui fait le ménage chez les riches, Dame Helen Mirren porte des vêtements tristes et des cheveux gris et raides mais elle fond intérieurement quand son Kempton lui dit : « Je ne suis rien sans toi ». Ensemble, ils parviendront à faire face à l’immense chagrin qui a ravagé leur existence.
En s’emparant d’un personnage pittoresque omniprésent à l’image, Jim Broadbent rend particulièrement attachant un homme qui est parvenu à mettre l’establishment dans l’embarras.
Couronné d’un Oscar du meilleur second rôle pour Iris (2001), le comédien de 72 ans est apparu dans Brazil, La dame de fer, Moulin rouge, Indiana Jones, Bridget Jones, Vera Drake et a incarné Horace Slughorn dans deux aventures d’Harry Potter…
Imper mastic, chapeau mou informe sur la tête et larges bretelles sur son pull-over sans manches, Kempton Bunton croit fermement dans l’idéologie de la Big Society et aux devoirs mutuels des uns envers les autres. Il estime que personne ne devrait être ou se sentir isolé… Pour cela, il met en œuvre une verve et un humour qui emporteront l’adhésion de tous –président, greffière et procureur compris- lors du procès devant la Haute cour criminelle d’Old Bailey, plaidant que « Je suis toi, tu es moi ».
Le vrai Kempton Bunton est mort en 1976. A l’orée des années 2000, les personnes âgées étaient exonérées de la redevance télé en Grande-Bretagne.
Enfin, les fans de James Bond ne manqueront pas de sourire en découvrant quelques images dans l’antre du Docteur No où se trouve le portrait du duc de Wellington !
A ce jour, le vol du Goya demeure l’unique vol commis à la National Gallery…
THE DUKE Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h35) de Roger Michell avec Jim Broadbent, Helen Mirren, Fionn Whitehead, Jack Bandeira, Anna Maxwell Martin, Matthew Goode, Heather Craney, James Wilby, John Heffernan. Dans les salles le 11 mai.