Claude Lelouch : « Le cinéma est mon oxygène ! »
Tout début avril, il fait un temps de chien sur Gérardmer. Une pluie froide poussée par le vent balaye le lac… Une cinquantaine de lycéens se regroupent, en serrant les capuches de leurs anoraks, tournant le dos aux eaux grises. Une ambiance à ne pas mettre un cinéphile dehors. Mais ces cinéphiles-là sont à la fête. Ils attendent un grand du cinéma français. Claude Lelouch en personne.
Pour ses retrouvailles avec le public après deux éditions annulées pour cause de pandémie, les Rencontres du cinéma de Gérardmer présentaient, dans une programmation éclectique, Tourner pour vivre (France – 1h45. Dans les salles le 11 mai), le documentaire réalisé par Philippe Azoulay, qui embarque le spectateur dans un voyage cinématographique inédit avec le réalisateur d’Un homme et une femme…
« J’ai retrouvé Tintin, raconte le documentariste, il a plus de 77 ans, il fait du cinéma et court le monde à la recherche du sens de la vie… » Alors qu’il était parti pour trois années à suivre le cinéaste, Philippe Azoulay (« Il fallait être là sans être là ») a donc partagé, pendant sept ans, la vie d’un cinéaste convaincu de l’incroyable fertilité du chaos et qui avoue : « J’ai plus appris de mes échecs que de mes réussites… » Le documentaire fait la part belle à un Lelouch toujours avide de rencontres et de coups de cœur et se concentre sur les tournages de Salaud, on t’aime (2014) et Un plus une (2015). L’occasion de voir Lelouch à l’œuvre dans un chalet alpin et aux prises, notamment, avec un Johnny Hallyday « intime » et… un aigle qui a eu la mauvaise idée de prendre son envol vers un ailleurs inconnu la veille du tournage de ses séquences. Mais, comme par miracle, le bel oiseau revint alors qu’on ne l’attendait plus. De là à dire que Lelouch a le talent d’apprivoiser la chance ou de savoir capter un message du hasard, il n’y a qu’un pas…
Pour Un plus une, le documentaire, voulu comme un voyage existentiel, détaille encore un autre chaos, celui de l’Inde dans laquelle Jean Dujardin et Elsa Zylberstein vivent une grande histoire d’amour sur fond de considérable désordre créatif…
Les lycéens géromois attendaient donc ce cinéaste qui dit que la vie a plus d’imagination que lui, pour une masterclass animée par Jean Walker, l’un des piliers de l’animation des Rencontres du cinéma. Des Rencontres qui auraient d’ailleurs pu piquer, comme slogan, une des phrases de Lelouch, celle où il affirme que « Le plus beau pays du monde, c’est une salle de cinéma où passe un bon film ».
Qu’on l’aime ou pas, Lelouch est une figure du cinéma français. Un artiste qui a raflé le Palme d’or cannoise de 1966 pour Un homme et une femme et a enchaîné, en 1967, avec un double Oscar hollywoodien : meilleur film étranger et meilleur scénario original, toujours pour Un homme…
Face à un public acquis et qui avait préparé ses questions, le cinéaste d’Itinéraire d’un enfant gâté a aimablement déroulé sa méthode, ses bonheurs et ses inquiétudes. « Il me reste, dit-il, deux films à faire. Je n’ai pas envie de faire le film de trop. Mais je vais essayer de mettre le paquet sur ces deux-là et y glisser tout ce que je n’ai encore jamais dit… »
En attendant, il raconte l’aventure, aujourd’hui parfaitement improbable, de C’était un rendez-vous, le court-métrage de 8 minutes, réalisé en un seul plan-séquence en 1976, où, au volant de sa Mercedes 450 SEL, il traverse Paris au petit matin à tombeau ouvert. « C’est le film dont je suis le plus fier et celui dont j’ai le plus honte. J’ai fait tout ce qu’on n’a pas le droit de faire en voiture… » Mais Lelouch nuance : « Ce film était une métaphore parce que le risque est à l’origine de tout ce que je fais. C’est à cause de ce risque que le joueur que je suis, a pu faire cinquante films… »
Le cinéaste parle des tricheurs (« Les emmerdes viennent des tricheurs mais ils sont plus photogéniques que les gens honnêtes. L’art de vivre, c’est de détecter les tricheurs et de slalomer entre eux »), du monde (« Je suis un observateur du monde. Mes films sont le reflet de mes observations »), des acteurs (« J’ai inventé quelques couples qui ont laissé des traces »), des yeux (« Rien n’arrête un sourire quand il est sincère. Il ouvre toutes les portes ou les ferme. Les yeux, c’est le cœur même de l’humanité. Ce qu’on dit et ce qu’on pense, c’est ce que je raconte dans tous mes films »)
Se définissant comme un cinéaste amateur qui ne fait du cinéma que par amour, Claude Lelouch affirme que chacun de ses films a inventé celui d’après : « La seule chose qui vous appartient, c’est le présent. C’est le seul moment où l’on peut toucher ou approcher le bonheur. Je suis un homme heureux quand je tourne parce que je suis dans le présent ». Et de conseiller un jeu à son auditoire : « Posez-vous la question : quel a été le meilleur moment de ma journée ? Quel a été le pire moment de ma journée ? Essayez ça pour vous endormir. Vous verrez ! »
Il raconte encore son voyage incognito à Moscou en 1957 et la chance qu’il a eu de passer une journée sur le plateau de cinéma où Nikita Mikhaïl Kalatozov tourne Quand passent les cigognes. « Je me suis dit : voilà le métier que je veux faire ! » Et d’ajouter : « J’ai rencontré le cinéma comme on rencontre le grand amour de sa vie ».
Pendant la guerre, sa mère emmenait le gamin turbulent qu’il était au cinéma : « Pendant deux heures, je ne bougeais plus. Le cinéma fut ma première nurse. Parce que ma mère me cachait dans les salles pour échapper à la Gestapo ».
Lelouch confie encore : « Je me shoote au cinéma tous les jours ! On ne meurt pas d’une overdose de rêve… » Et si on lui demande un conseil, il sourit : « Les conseils, c’est comme les cure-dents. Après vous, personne ne veut s’en servir. Mais raconter des histoires comme vous les raconteriez à vos copains ! Il faut que votre méthode corresponde à votre instinct, à votre personnalité »
Le cinéaste parle encore des Misérables, le plus beau roman du monde : « C’est plus fort que la Bible ou la Torah. Une métaphore extraordinaire du monde qu’on vit. Chaque époque a ses Misérables. Aujourd’hui, ils sont en Ukraine… »
Et puis Lelouch s’est éloigné. Pour les lycéens de Gérardmer, la pluie qui tombait toujours, pouvait désormais ressembler à une averse fabriquée de toutes pièces sur un plateau de cinéma…