La folle course de la promeneuse de chien
Voilà une aventure qui commence dans une pharmacie parisienne… A voix basse, une jeune femme demande un test de grossesse. « Vous avez du retard ? » interroge, d’une voix forte, la blouse blanche. 12 euros, le test. « Vous n’avez pas moins cher ? ». 7,40 euros pour un autre modèle. Las, la pharmacienne ne prend pas la carte bancaire pour moins de 10 euros. Alors, Julie prend deux tests, soit 14,80 euros. Plus cher que le premier, note l’employée. La carte ne passe pas. Julie finit par s’emporter : « C’est interdit d’acheter deux tests ? » Avant de filer en barbotant, au passage, un biberon…
C’est la même Julie que l’on revoit dans un bistrot. « C’est combien un café ? » 2,50 euros. « Vous prenez les chèques ? » Pas pour une si petite somme. Elle choisit donc un verre de champagne et un club-sandwich avec supplément de mayonnaise. Là, sur la banquette du café, Julie avise une pochette égarée. Elle contient des copies d’un contrôle de maths. Curieuse, elle lit les remarques du prof : « En nette progression… vers le zéro absolu ». Au milieu des copies, une lettre d’amour d’une certaine Océane. Qui déclare sa flamme et annonce qu’à l’aube, elle mettra fin à ses jours. Embarquant la pochette, Julie décide alors de rendre les copies au prof de maths et surtout de retrouver Océane pour empêcher le pire. Alors que le soleil se couche, commence une drôle de journée qui s’achèvera lorsque le soleil se lèvera à nouveau…. « Une nouvelle journée de merde ?» soupire Julie.
« L’idée m’est venue, explique la réalisatrice Eve Deboise, alors que j’étais moi-même perdue ! Dans les grandes villes, la solitude et l’anonymat font que des gens craquent parfois en public, s’écroulent en larmes… Et dans ces cas-là, on ne sait pas trop quoi faire. Est-ce qu’on doit s’en mêler ou pas ? D’une façon comique, aussi, la déprime peut mettre dans des états paranoïaques, faire faire des scandales pour des choses tout à fait anodines. L’idée était que deux personnes dans cet état limite se percutent. Mais il y a quelqu’un d’encore plus vulnérable qu’eux qu’il va falloir sauver… et ça va leur faire remonter la pente. »
Pour son second long-métrage après Paradis perdu (2012) sur le drame d’une famille dysfonctionnelle, la cinéaste parisienne se lance, cette fois, dans une comédie tendrement loufoque…
Dans les pas de Julie et de Mathieu, le prof de maths de la Seconde SE qu’elle a réussi à retrouver dans son lycée, le spectateur est entraîné dans une suite d’aventures délirantes qui n’ont, pour ambition, que de le distraire et de le faire sourire.
« Plutôt que de maudire les ténèbres, allumons une chandelle, si petite soit-elle ». Paroles de Confucius ! Une maxime (confiée dans la nuit de la banlieue par un pharmacien philosophe) qui sert de viatique à Julie et Mathieu, un homme et une femme qui n’auraient pu jamais se rencontrer mais que la magie du cinéma a réuni dans une comédie joyeusement fantaisiste dont le 7e art français a parfois la bonne idée de nous gratifier…
Comme Julie est montée sans demander son reste dans la petite voiture pourrie de Mathieu, la déambulation de ce couple improbable sur la trace d’une lycéenne de 15 ans apparemment suicidaire va devenir un road-trip burlesque dans Paris et du côté d’Evry, Ivry, Roissy, Choisy, Bobigny, Chantilly. On ne sait plus vraiment. Mais c’est un enchaînement de péripéties qui les attend. Julie se fait passer par une mère d’élève pour obtenir les coordonnées d’Océane et voilà Mathieu s’introduisant, de nuit, dans une maison tandis que Julie bourre un gros rotweiler de hamburgers pour l’empêcher de bouffer le prof. Qui aura quand même un bout de fesse arraché… Plus tard, ils se retrouveront déguisés dans une teuf lycéenne où ils croiseront –peut-être- Océane. En tout cas, dans une autre belle demeure qu’il prend pour le domicile de Julie, Mathieu aura encore le temps de constater que Wiki, la tortue de Sumo, le gamin surdoué au sweet siglé No Life, est une pointure capable de trouver la racine de 289…
Ce qui fait essentiellement le charme de Petite leçon d’amour, c’est, au milieu de multiples silhouettes de laissés-pour-compte, le double portrait de deux personnages qui vont tomber amoureux (presque) à leur insu. Incarné par un Pierre Deladonchamps qui trimballe la mine frippée (autant que son imper) d’un type hystérique et en crise, Mathieu est un prof de maths intègre mais chahuté, pris dans le désastre de son divorce et se « soutenant » en picolant. S’il tente d’éjecter Julie de son existence comme de sa voiture, il se rendra vite compte qu’elle peut l’aider à se sortir de son marasme…
Laetitia Dosch apporte sa lumière teintée d’un grain de folie douce à Julie qui, quoique dans une passe difficile, reste positive et cherche des solutions, même si les siennes sont plutôt inattendues. On avait aimé la comédienne dans le registre de la drôlerie avec Gaspard va au mariage (2018) ou Playlist (2021) et dans celui de la dépendance sexuelle dans Passion simple (2020) que Danielle Arbid avait tiré du roman éponyme d’Annie Ernaux.
Eve Deboise peaufine ce personnage de femme qui s’est reconvertie en promeneuse de chiens après avoir modèle-corps pour une marque de lingerie (« J’en avais marre qu’on me coupe la tête ») et qui fut, jeune, danseuse à l’Opéra de Paris : « Mais avec un 90C à 11 ans, je faisais hippopotame au milieu des cygnes ». Et le fait d’être enceinte (ou pas) devient une forme d’espoir qu’elle peut transporter en elle…
A la fin de Petite leçon d’amour, le jour s’est levé. Mathieu a pris le pas sur sa classe. Julie, la rêveuse à l’identité un peu vacillante, tourne sur elle-même dans un jardin public. Elle a retrouvé le plaisir de la danse qui l’animait dans sa jeunesse. L’intensité du plaisir de vivre aussi…
PETITE LECON D’AMOUR Comedie dramatique (France – 1h27) d’Eve Deboise avec Laetitia Dosch, Pierre Deladonchamps, Paul Kircher, Lorette Nyssen, Kim Truong, Aaron Kadouche, Anouar Kardellas, Alizée Caugnies, Evelyne Istria, Stéphanie Bataille, Maurice Cheng. Dans les salles le 4 mai.