Des détenues et des crevettes…
CHANT.- A l’une des détenues qui lui demande pourquoi il est là, Luc Jardon répond : « Je pense seulement que chanter peut faire du bien ». Chanteur lyrique, cet homme au regard doux derrière ses lunettes rondes, a accepté d’animer un atelier de chant dans une prison. Dès sa première visite en détention, Luc Jardon fait l’expérience du milieu carcéral. Pas question de faire entrer un diapason. Et une surveillante, en posant le petit outil sur sa carotide, lui explique l’usage qu’on peut en faire. Une fois par semaine, il se rend dans une salle claire mais sans âme pour rencontrer une demi-douzaine de femmes qui ont choisi de participer à cet atelier. Il y a là Jeanine, une femme d’âge mur, « oubliée » ici par les siens, Jess, somnambulique et pâteuse, Marzena, échouée là depuis sa Cracovie natale, Noor, la forte en gueule et Carole qui rêve de devenir célèbre et riche en chantant… Elles seront rejointes épisodiquement par l’énigmatique Catherine dont Luc repère immédiatement la belle voix… Pour Luc, qui trimballe un lourd mal-être, commence un exercice difficile où il faut concilier des personnalités différentes, les épanouir puis les réunir dans un projet commun et trouver enfin de la beauté dans le chant…
En 2017, Etienne Comar, scénariste de films comme Des hommes et des dieux (2011) de Xavier Beauvois, Les saveurs du palais (2012) de Christian Vincent ou Mon roi (2015) de Maïwenn, passait pour la première fois à la réalisation avec Django, évocation du guitariste de jazz Django Reinhardt découvrant, dans la France de 1943, les conditions de vie que les nazis font subir aux tziganes. Déjà la musique occupait une place significative dans le cinéma de Comar.
Avec A l’ombre des filles (France – 1h46. Dans les salles le 13 avril), il entre pleinement dans un univers intime dont le chant est le moteur permanent. Le chant qui permet à Luc (qu’on voit dès le premier plan, gravissant douloureusement une pente sombre) de dépasser un deuil terrible mais aussi aux détenues de s’ouvrir dans un univers d’enfermement. Filmé en format carré 1:33, le film multiplie les plans sur les visages de femmes pour retranscrire un état émotionnel évidemment évolutif. Avec son bagage de chanteur lyrique, Luc débarque avec un répertoire classique de Mozart à Bizet avant de s’ouvrir à des choix plus hétéroclites comme « Où sont les femmes » de Patrick Juvet. Le cinéaste met aussi en exergue la chanson mélancolique que Jeanne Moreau interprète dans India Song de Marguerite Duras. Une belle manière d’entrer en résonance avec le thème du film : qu’est-ce qu’une chanson, son rapport au corps, aux souvenirs, au féminin, à la mélancolie ?
Enfin, A l’ombre des filles évoque, avec justesse et précision, un univers carcéral moderne où les cartes magnétiques ont remplacé les lourdes clés sans pour autant que ce monde s’humanise plus que cela. Enfin, le film séduit par une belle distribution. Alex Lutz (qu’on peut également voir dans Vortex de Gaspar Noé) incarne un artiste fragile et touchant, à la fois lumineux et opaque. Autour de lui, Agnès Jaoui, Hafsia Herzi, Veerle Baetens, Marie Berto, Fatimah Berriah et Anna Najder apportent à ces femmes en prison, une belle énergie…
GAY.- Mathias, Joël, Vincent, Fred, Cédric, Xavier, Damien et Alex sont de retour… Et l’équipe de water-polo qu’ils forment depuis quelques temps déjà est en route pour les Gay Games de Tokyo. Une occasion aussi de rendre hommage, dans une grande compétition, à Jean, leur partenaire, disparu dans des circonstances tragiques. Pour compléter l’équipe, Matthias, le coach, a recruté Selim, un poloïste prometteur, venu de la banlieue parisienne. Mais l’entraîneur a « omis » de prévenir Selim qu’il rejoignait une équipe gay. De toutes manières, les choses se gâtent vite lorsque le vol pour le Japon fait escale en Russie et que les Crevettes pailletées ratent leur correspondance… Les voilà coincés dans un pays où, comme dit l’un des sportifs, « l’homophobie est un sport national ! » Il propose bien à l’équipe de se mettre en « mode furtif » mais la situation va rapidement déraper, d’autant qu’Alex entraîne Damien dans un plan présumé coquin dans la nuit russe. Evidemment les deux amis vont se retrouver en situation périlleuse face à des nervis résolus à casser du gay…
En janvier 2019, on découvrait sur les grands écrans Les crevettes pailletées, comédie fluo/flashy et largement festive écrite et réalisée par Maxime Gorave et Cédric Le Gallo, ce dernier s’inspirant de la vraie histoire d’une équipe de water-polo gay participant aux Gay Games et de son expérience au sein de cette équipe qu’il fréquente depuis 2012 dans l’association OUTsiders.
Le film (dont des séquences furent tournées aux Bains municipaux de Mulhouse) connut le succès avec quelque 600.000 entrées dans les salles. Avec La revanche des crevettes pailletées (France – 1h56. Dans les salles le 13 avril), le même duo de réalisateur/scénariste retrouve ses joyeux personnages, cette fois dans une aventure plus dramatique qui se déroule loin des bassins de natation, hormis la chorégraphie finale où l’ensemble de la team chante « We want to be Heroes, juste for one Day ». Car c’est dans le froid russe (les scènes en Russie ont été tournées en Ukraine) que les Crevettes pailletées sont confrontées à un univers aussi sinistre qu’hostile. Malmenés par des crétins homophobes, arrêtés par la police, une partie de l’équipe va connaître les affres (l’homosexualité est une maladie qu’il faut soigner, clame une directrice allumée) des thérapies de conversion dans un château digne de Dracula… Même si les situations sont plus graves, l’aventure conserve toujours son côté iconoclaste et joyeusement militant. Une jeune Russe, venue au secours de l’équipe, leur enjoint : « Soyez visibles, soyez bruyants. Le silence, c’est la mort ». Au pays d’un Poutine qui aime à montrer ses muscles et sa masculinité, cette histoire gay ne manque pas de piquant !