Des femmes qui changent de route…
DANSE.- « C’est parce que j’étais tombée très bas que je suis montée aussi haut ». La remarque de la première alpiniste à avoir gravi l’Himalaya pourrait servir de viatique à Elise Gautier, jeune et talentueuse danseuse classique… Alors qu’elle danse le ballet La Bayadère de Marius Petipa, elle se blesse gravement à la cheville… La malléole et les ligaments sont touchés. Les médecins ne sont pas optimistes. Il n’est pas impossible que sa carrière de danseuse s’arrête là… Bouleversée face à une existence qui s’effondre, Elise reprend très lentement le dessus, notamment grâce à Yann, un kiné, secrètement amoureux d’elle… Pour s’occuper et remplir un peu sa « nouvelle » vie tout en songeant à son futur, Elise accepte un petit boulot de… cuisine aux côtés de Loïc et Sabrina… Avec leur food-truck, ils partent en Bretagne dans une belle demeure qui accueille, en résidence, des séminaires artistiques. Là, ils vont s’occuper de la cantine d’une compagnie de danse contemporaine dirigée par le chorégraphe israélien Hofesh Shechter qui joue ici son propre rôle et dont on voit des extraits de sa chorégraphie Political Mother : The Choregrapher’s Cut. La demeure où se succèdent orchestre de chambre classique ou chanteurs baroques, est tenue par Josiane qui traîne une jambe cabossée mais qui rayonne de bonté et de positivité. Elle poussera Elise à relever la tête, à choisir une nouvelle route. Et même si sa cheville se rappelle encore à son mauvais souvenir, Elise trouvera dans la danse contemporaine une nouvelle dynamique et une nouvelle raison de vivre…
Avec En corps (France – 2h. Dans les salles 30 mars), Cédric Klapisch tourne son quatorzième long-métrage et retrouve l’énergie qui caractérisait, par exemple, son Auberge espagnole (2002), probablement parce que son scénario, co-écrit avec Santiago Amigorena, s’inscrit dans un milieu où règne, autour de la création artistique, une jeunesse enthousiaste. A la différence, par exemple, d’un Darren Aronofsky, qui avait traité par le fantastique dans Black Swan (2010), la face noire des rivalités dans la danse, Klapisch choisit la face lumineuse d’une reconstruction… Il a aussi eu le bonheur de trouver en Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra de Paris, une interprète pleine de grâce et de fraîcheur pour une Elise qui ne s’apitoie pas sur son sort malgré ses déboires physiques et qui, bien au contraire, est tournée vers la découverte et la rencontre des autres. En cela, la ravissante Marion Barbeau s’inscrit bien dans la galerie des beaux personnages positifs du réalisateur du Péril jeune.
A côté de cette brillante comédienne débutante, le cinéaste peut compter sur des interprètes chevronnés : Muriel Robin (Josiane), Pio Marmaï (Loïc), François Civil (Yann) et l’incontournable Denis Podalydès (voir aussi ci-dessous), épatant en père coincé mais fondamentalement tendre qui finira par réussir à dire « Je t’aime » à son Elise… En Corps a sans doute un petit côté trop bon, trop généreux, trop beau, trop sympa mais avouons que ça fait du bien de se glisser aussi dans ce genre de feelgood film !
POLITIQUE.- Evidemment, c’est un film qui tombe à pic à quelques encablures de l’élection présidentielle… Car nous voilà introduit dans le saint des saints. Un palais de l’Elysée qui apparaît d’emblée très funèbre. La vie semble s’être échappée des lieux et les vagues personnes qui y déambulent ressemblent à de sombres fantômes. Il est vrai que l’heure est à la crise. Elisabeth de Raincy, la présidente de la République, a décidé de se retirer de la vie politique. Mais, à trois jours du premier tour de l’élection, elle apprend par Franck L’Herbier, son secrétaire général, qu’un scandale venant de l’étranger va, à travers les réseaux sociaux, éclabousser Luc Gaucher, son successeur désigné et propulser Willem, le candidat de l’extrême-droite vers la magistrature suprême.
Comme il l’avait fait en 2015 avec Un Français, Diastème se penche à nouveau sur la montée de l’extrême-droite en France. Si Un Français traitait l’aventure de Marco, un skinhead colleur d’affiches qui tente d’abandonner la colère, la violence et la bêtise qui le rongent, cette fois le cinéaste se place du côté de la politique des institutions. Aux coups de main brutaux de Marco, succède ici une tempête feutrée mais où tous les coups semblent cependant permis. Dans une ambiance fin de règne, Le monde d’hier (France – 1h29. Dans les salles le 30 mars) se concentre sur une femme politique qui a conscience de son échec. Elle est manifestement venue au pouvoir avec des idéaux et elle va repartir avec des regrets. Doit-elle alors céder une ultime fois aux sommations de L’Herbier qui l’enjoint d’agir, notamment par des moyens de basse police, pour couper la route du palais à Willem ?
Avec pour consultants Gérard Davet et Fabrice Lhomme, journalistes au Monde et fins connaisseurs des arcanes du pouvoir, Diastème signe un « thriller » politique qui, par une atmosphère noire mais romanesque (ah, la scène où la présidente entrouvre à Willem les portes du blockhaus nucléaire !) se rapproche aussi du conte moral. D’où cependant le « peuple » paraît exclu. Il pose des questions, ainsi à quel moment peut-on décider et juger tel être inhumain et pas tel autre ?
Léa Drucker campe une présidente solitaire, blême, malade, soucieuse du mal-être de sa fille et atteinte dans ses convictions. Alban Lenoir (vu en Marco dans Un Français) est un garde du corps impassible, sans doute le personnage le plus intime de la présidente et Denis Podalydès incarne L’Herbier, un homme de l’ombre quasiment machiavélique et obsédé par la place que laissera Elisabeth de Raincy dans l’Histoire. Sa trajectoire dans Le monde d’hier (référence au roman de Zweig) est impressionnante et pathétique. A propos de Moby Dick, le roman de Melville qu’il lit, Diastème raconte une anecdote : « Un noble, juste avant d’être guillotiné, est en train de lire. On l’appelle sur l’échafaud, il pose son livre, corne la page et va se faire couper la tête. » Un geste dérisoire et magnifique. Comme la politique?