Le divisionnaire las et la jeune morte

Maigret (Gérard Depardieu) sur les traces d'une inconnue morte. DR

Maigret (Gérard Depardieu) sur les traces
d’une inconnue morte. DR

Maigret aurait-il pris un coup de vieux ? Le divisionnaire du 36, Quai des Orfèvres ne goûte plus vraiment la cuisine roborative de Mme Maigret et, pire, son médecin a mis le fameux flic en demeure de cesser de tirer sur sa pipe… La chose ayant probablement paru fort iconique à Patrice Leconte, ce dernier s’offre une réplique qui fleure bon sa belgitude : « Ceci n’est pas une pipe ». Magritte, si tu nous écoutes…
À Paris, dans les années 1950, une borne de Police Secours résonne dans la nuit d’un commissariat. Personne ne parle au bout de la ligne. Sur place, à proximité d’un square du quartier des Batignolles, la police va trouver le corps sans vie d’une toute jeune femme. Elle porte une luxueuse robe du soir (louée la veille dans une boutique de quartier) que cinq coups de couteau ont largement taché de sang… C’est une affaire pour les policiers du Quai et spécialement pour leur emblématique patron. Première mission : identifier la jeune femme qui n’a sur elle ni sac à main, ni papiers.
C’est dans sa propriété américaine du Connecticut qu’en 1954, Georges Simenon écrit, en huit jours, Maigret et la jeune morte (paru la même année aux Presses de la Cité), roman qui n’avait jamais connu à ce jour d’adaptation pour le grand écran. Patrice Leconte qui avait déjà, en 1989, porté Simenon au cinéma avec le remarquable Monsieur Hire incarné magnifiquement par un Michel Blanc blafard, revient donc au grand romancier belge avec ce Maigret qui réussit magnifiquement à plonger le spectateur dans un univers crépusculaire sur les pas lourds d’un commissaire toujours peu bavard mais surtout marqué par une profonde lassitude.

Le commissaire dans la ville. DR

Le commissaire dans la ville. DR

Révélé par Les Bronzés (1978) puis Les Bronzés font du ski (1979), Patrice Leconte a construit ensuite une bien belle carrière sous le signe de la rencontre d’un regard d’auteur et d’un goût fort pour le meilleur cinéma populaire. On a aimé ainsi le nostalgique Tandem (1987), le délirant Mari de la coiffeuse (1990), le sensuel Parfum d’Yvonne (1994) ou encore le cinglant film en costumes qu’était Ridicule (1997). Si les années 2000 ont été moins riches, on attendait pourtant, depuis un moment, de retrouver Leconte derrière la caméra, d’autant que son dernier film, en 2014, Une heure de tranquillité n’était qu’une comédie modeste vue néanmoins par plus d’un million de spectateurs en salles.
Avec ce Maigret, Leconte est en pays de connaissance. Il maîtrise brillamment son récit, le traite par petites touches et notations, travaille beaucoup les gros plans, s’appuie sur une bonne b.o. composée par Bruno Coulais et Michael Nyman tandis que le directeur de la photo Yves Angelo a saisi, dans des tons froids et sombres, un Paris fantomatique qui, même si l’action se déroule dans les années cinquante, ne relève pas de la lourde reconstitution historique. Certains plans d’immeuble font immanquablement penser à Monsieur Hire.

Le policier et Betty (Jade Labeste). DR

Le policier et Betty (Jade Labeste). DR

Au cœur d’un film d’atmosphère, bien plus que d’un « polar », on part dans une enquête où Maigret tâtonne un peu, réunissant des éléments (les coups de couteau ont été portés de la main gauche) qui vont lui permettre de cerner la personnalité d’une jeune fille perdue et triste à laquelle la capitale n’a pas porté chance. En croisant, par hasard, une nommée Betty, Maigret va avancer vers la solution de l’énigme de la jeune morte. Celle-ci se nomme Louise Louvière et elle a eu à connaître des personnages aux mœurs douteuses… Et Betty va, un temps, marcher dans les traces de Louise…
Difficile d’évoquer Maigret au cinéma sans évoquer les grands anciens. Dans la trentaine de comédiens qui ont incarné le policier au cinéma et à la télévision, on se souvient évidemment de Jean Gabin interprète à trois reprises du divisionnaire mais l’Alsacien Harry Baur fut un Maigret de qualité en 1933 dans La tête d’un homme et, dans Brelan d’as (1952), Michel Simon incarnait à merveille l’homme ordinaire qu’était Maigret…
En confiant Maigret à Gérard Depardieu, Leconte (qui avait, un temps, pensé à Daniel Auteuil) tombe pile. Depuis quelque temps, jouer la comédie revient pour

André Wilms dans son dernier rôle au cinéma. DR

André Wilms dans son dernier rôle
au cinéma. DR

Depardieu à nous livrer une manière d’autoportrait d’un homme alourdi et presqu’usé. Mais Depardieu est un immense interprète et il s’empare, entouré de bons comédiens (Jade Labeste, notamment, dans le rôle de Betty) à la perfection de Maigret pour nous offrir une vision rare et impressionnante d’un flic las mais toujours capable d’une empathie hors du commun. Le cinéaste a travaillé son personnage en profondeur, le dépouillant de sa pipe, de son appétit légendaire pour le montrer, masse impressionnante dans son pardessus, avançant lentement mais l’esprit aux aguets, riche d’années d’expérience au contact de la pègre mais aussi de victimes pour lesquelles il manifeste une vraie humanité. Si Leconte lui confie de bonnes répliques (« Quand je commence une enquête au blanc, je la finis au blanc… » ou encore « Je ne crois rien. J’évite même de penser. Je me méfie même de ce que je pense. »), il situe aussi Maigret dans son univers intime auprès d’une épouse plus riche qu’une simple silhouette avec laquelle il partage le souvenir d’une autre disparition, plus ancienne et plus intime… Et c’est beau, fort et prenant !
In fine, j’ai, ici, une pensée émue pour André Wilms auquel, dans le rôle de Kaplan, Leconte offre une émouvante séquence de survivant traumatisé par une perte. C’est son ultime apparition au cinéma. Vrai Alsacien, joyeux convive et grand acteur, André est parti le 9 février dernier. Salut l’ami. Tu nous manques déjà.

MAIGRET Policier (France – 1h28) de Patrice Leconte avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier, Clara Antoons, Pierre Moure, Aurore Clément, Anne Loiret, Bertrand Poncet, Elizabeth Bourgine, Hervé Pierre, Philippe du Janérand, Jean-Paul Comart. Dans les salles le 23 février.

Maigret

Laisser une réponse