Simon et l’amour d’une mère d’accueil
Avec ses petits yeux noirs et perçants, Simon est un gamin qui joue, avec Adrien et Jules, sur les toboggans et dans les vagues d’un parc aquatique aux allures de paradis artificiel… Images chaudes et lumineuses d’un moment de bonheur en famille puisque que Driss et Anna, les parents, veillent de près sur leur joyeuse marmaille… Ce sont là les images de la séquence d’ouverture de La vraie famille, second long-métrage de Fabien Gorgeart qui prend sa source dans l’enfance du cinéaste. « Quand j’étais petit, dit-il, ma famille a accueilli un enfant, qui est resté chez nous de dix-huit mois à six ans, exactement comme dans La vraie famille. Régulièrement, je suis revenu à cette idée d’en faire un film sans que cela aboutisse. »
Fonctionnant en miroir, le thème de la famille était déjà présent dans le premier film du cinéaste en 2017 puisque Diane a les épaules racontait l’histoire d’une jeune femme qui accepte de porter le bébé d’un couple d’amis, Thomas et Jacques et qui va devoir s’en séparer… Mais, pour Diane (Clotilde Hesme, comédienne emblématique de Gorgeart), le contrat est tacite : porter cet enfant est une mission. Elle décide qu’il ne sera pas le sien.
Dans un double inversé, La vraie famille fait cette fois le portrait d’une femme, Anna, pour laquelle accueillir et élever le petit Simon est un travail (au demeurant, rémunéré, aspect que le film n’évoque pas) mais à cette nuance près –mais elle est capitale- qu’Anna considère Simon comme son fils et entretient avec lui une relation très fusionnelle…
Dans une zone pavillonnaire agréable, Anna vit avec son mari Driss et leurs deux garçons Adrien et Jules ainsi que Simon, enfant placé chez eux par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) depuis l’âge de 18 mois. Simon a désormais six ans et Nabila, une fonctionnaire de l’ASE, a convoqué Anna dans son bureau pour prendre des nouvelles du gamin. « C’est un enfant épanoui. Il a une base affective solide. Vous avez fait du bon travail et il faut passer à la suite… » Car Eddy Carniero, le père de Simon, a informé la juge des enfants qu’il souhaitait voir progressivement l’enfant retourner vivre chez lui… Vivant clairement comme une injustice le fait qu’on lui retire Simon, même si, au départ, c’est seulement le week-end, Anna sent la terre trembler sous ses pieds.
Fabien Gorgeart va alors montrer comment la relative harmonie d’une famille singulière est doucement mise à mal par des décisions de l’administration mais aussi, évidemment, par le comportement d’Anna (Mélanie Thierry toute en tension émotionnelle) qui n’arrive pas à se résoudre à la situation. Tout en filmant au plus près ses personnages, le cinéaste alterne ainsi les temps où la famille est « complète » et celle où Simon n’est plus présent. Il réussit ainsi une touchante séquence pendant laquelle, au premier plan, des enfants font la fête. Et puis on remarque, dans le fond du plan, à travers la baie vitrée, la voiture d’Eddy dans laquelle monte Simon. Le tout suivi par un regard furtif d’Anna… Si la figure d’Anna est centrale, le film accorde une place néanmoins conséquente à Driss, le père-substitut (Lyes Salem), un homme attentif autant au bien-être des enfants qu’à l’équilibre, désormais fragile, de son épouse. Les deux enfants du couple, Adrien et Jules, eux, considèrent Simon comme un frère à part entière et désirent surtout qu’il soit toujours là pour jouer ensemble…
Enfin, si on a l’impression qu’Eddy Carniero (Félix Moati) est le « méchant » de cette aventure familiale, ce type qui a vu son fils placé parce que, veuf, il ne pouvait s’occuper de lui, est volontiers pathétique. Tandis que la famille va partir à la neige, Simon doit rejoindre son père. Anna et l’enfant attendent devant la porte qu’Eddy revienne de son travail. Le gamin, lui, a évidemment très envie de rester avec ses frères. Anna qui a remarqué qu’Eddy a beaucoup de travail, lâche : « Si ça vous arrange, on peut l’emmener à la neige ». Alors que Simon (Gabriel Pavie) hurle : « C’est nul ici. J’aime pas être avec toi. Je préfère être avec eux ! », Eddy, le regard désespéré, craque. Il avait acheté un cadeau et Anna lance un coup d’œil à l’arbre de Noël illuminé. L’effondrement est, cette fois, du côté du père. Mais Anna a aussi franchi une limite. Du côté de l’ASE où l’on ne sait rien de ce départ à la neige, on songe déjà à un enlèvement. Anna a compris, comme le lui dit Driss, qu’elle a fait une « grosse connerie ».
Convoquée chez la juge des enfants (la grande Dominique Blanc), Anna est sur le grill. Le magistrat : « Notre objectif à tous, c’est le retour de Simon chez son père. Si ce n’est pas le vôtre, nous avons un sérieux problème. » Et la juge enfonce le clou, s’adressant à Anna : « Avez-vous envie que Simon quitte un jour votre foyer ? » Dans un souffle, Anna : « Non ».
Mélodrame avec des instants de quasi-thriller, La vraie famille multiplie les moments justes. A Simon qui va bientôt quitter sa famille, Driss montre une photo des jours heureux : « Quand tu seras triste, rentre dans ta tête et souviens toi de plein de détails de cette journée parfaite ». Quant à Fabien Gorgeart, il se souvient que sa mère n’avait reçu pour seul conseil des assistantes sociales, un « Aimez cet enfant, mais ne l’aimez pas trop » quand même très lourd de sens.
LA VRAIE FAMILLE Comédie dramatique (France – 1h42) de Fabien Gorgeart avec Mélanie Thierry, Lyes Salem, Félix Moati, Gabriel Pavie, Florence Muller, Dominique Blanc, Idris Laurentin-Khelifi, Basile Violette, Jean Wilhelm, Carima Amarouche, Pascal Rénéric. Dans les salles le 16 février.