De la confession amoureuse à la démocratie bafouée
Le journaliste, ce héros du quotidien ! Depuis Humphrey Bogart bataillant, rédacteur en chef pugnace, pour sauver son journal des griffes de la finance dans Bas les masques à Spotlight et ses enquêteurs du Boston Globe révélant au grand jour les turpitudes pédophiles du clergé bostonien en passant par Bernstein et Woodward faisant tomber Nixon dans Les hommes du président ou la folie de l’audience télévisuelle dans Network, l’homme ou la femme de presse sont au cœur de nobles combats ou de dérives sensationnalistes sur fond de scoop à tout prix. Deux nouveaux personnages viennent enrichir la galerie des journalistes sur grand écran.
CONFIDENCES.- C’est un homme qui tourne dans sa chambre… Qui s’approche de la fenêtre, l’ouvre. On pourrait penser qu’il va sauter. Il attend en fait Michèle Manceaux, journaliste et éditorialiste au magazine Marie-Claire, venue l’écouter plus que l’interviewer même si elle pose un micro devant lui. Nous sommes en décembre 1982. Tandis que Marguerite Duras vaque au rez-de-chaussée, l’homme un peu recroquevillé, allumant cigarette sur cigarette, un verre d’alcool blanc à portée de main, va lentement se livrer. Compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andréa éprouve en effet le besoin de parler. Sa relation passionnelle avec l’écrivaine ne lui laissant plus aucune liberté, il doit mettre les mots sur ce qui l’enchante et le torture…
C’est donc à cette amie journaliste (Emmanuelle Devos, parfaite dans un rôle d’écoutante) que Yann se livre pour décrire, avec une lucidité sincère et douloureuse, la complexité d’une relation amoureuse à la fois puissante et passablement toxique. Il dit qu’il est tombé amoureux de Duras d’abord en la lisant, en ne lisant plus qu’elle. Comment il lui écrit des lettres qui resteront sans réponse pendant cinq ans. Il raconte la rencontre avec Duras dans un cinéma de Caen en 1975 où elle vient présenter India Song, comment elle l’invite à s’installer chez elle, comment ils deviennent amants, constatant : « L’amour ne peut pas exister sans la destruction de quelqu’un ».
En s’appuyant sur Je voudrais parler de Duras, les entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux paru aux éditions Fayard/Pauvert en 2016, Claire Simon (dont on avait beaucoup aimé Gare du Nord en 2013) filme une rencontre autour des mots, de Duras et de la passion amoureuse. Dans la maison même de Marguerite Duras à Neauphle-le-Château en région parisienne, la cinéaste réussit, avec Vous ne désirez que moi (France – 1h35. Dans les salles le 9 février) une chronique intime où l’on mesure bien combien Yann Andréa (1952-2014) était sous l’emprise d’une écrivaine de 38 ans son aînée qui lui disait : « Je veux vous décréer pour vous créer » ou encore « Vous n’existez qu’en fonction de moi ».
L’exercice cinématographique était périlleux car la matière est, ici, avant tout littéraire. Très touchée, dit-elle, par « la parole du faible dans la relation amoureuse », par aussi la dimension « violences conjugales » dans le couple Andréa/Duras, Claire Simon parvient à captiver, justement par la beauté des mots, par la présence, en images d’archives, de Marguerite Duras et évidemment par la fragilité d’un homme, « innocent et vierge », dit-il, dont l’expérience et les injonctions auxquelles il est soumis, sont celles, dit la cinéaste, que les femmes endurent depuis des millénaires… Yann Andréa (auquel Swann Arlaud, magnifique comédien, apporte une admirable justesse) dit encore : « Personne ne m’a jamais aimé comme ça et ne m’aimera comme ça » et ajoute aussi : « La femme, ça fait peur. C’est une peur partagée par tous les hommes ».
ILLEGALITÉ.- Sous le chaud soleil de Marbella, dans le sud de l’Espagne, un homme arpente, nerveusement, une belle propriété déserte. Il traverse les nombreuses pièces bien meublées, le grand jardin à la pelouse impeccable. Il semble à la fois craindre une intrusion et attendre, en scrutant la mer, quelque chose qui doit prochainement se passer… De fait, trois Zodiak passent rapidement au large et se dirigent vers la plage proche. On retrouve l’homme observant, sans que personne ne s’en offusque, comment on débarque des bateaux des caisses et des ballots et comment on les charge rapidement dans de puissants véhicules noirs…
Cet homme, c’est Hubert Antoine. En octobre 2015, alors que les Douanes françaises viennent de saisir sept tonnes de cannabis en plein cœur de Paris, il contacte Stéphane Vilner, journaliste à la rédaction du quotidien Libération. Au reporter, il se présente comme un infiltré de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants et explique, multiples documents à l’appui, qu’il est prêt à démontrer l’existence d’un trafic d’Etat dirigé par Jacques Billard (Vincent Lindon), un haut gradé de la police française. D’abord méfiant mais appâté par des infos qui peuvent provoquer un séisme politique, Vilner (Pio Marmaï), soutenu par la direction de son journal, décide de se plonger dans une enquête au long cours…
Remarqué avec Les Apaches (2013) puis Une vie violente (2017), deux longs-métrages qui avaient sa Corse natale pour décor, le second sur les luttes nationalistes corses, Thierry de Peretti s’éloigne, ici, de l’Île de beauté pour une aventure qui s’apparente au polar et au sous-genre « film de drogue » mais aussi à une histoire d’amitié.
Adapté de L’infiltré, un livre écrit à quatre mains par Hubert Avoine, ancien infiltré des Stups, et Emmanuel Fansten, reporter à Libé, Enquête sur un secret d’Etat (France – 2h03. Dans les salles le 9 février) s’intéresse beaucoup à ce personnage d’informateur qui, comme il le dit, veut « faire péter la République ». Porté par une détestation profonde de Jacques Billard, l’homme qui l’a recruté et qui fut son ami et son frère, Hubert Antoine apparaît à la fois, complexe et brutal, probablement fascinant aussi pour Stéphane Vilner, de plus en plus accroché à ses basques à Paris mais aussi à Marbella ou à Lugano. Roschdy Zem incarne un personnage d’aventurier ou de facilitateur sûr de lui, parfois donneur de leçons et dont on en vient à se demander s’il n’est pas mythomane, question que le film ne résout pas.
Si les arcanes du trafic de stupéfiants (la drogue comme « produit capitaliste ultime ») qui plonge dans les recoins les plus sombres de la République nous semblent un peu confuses, on comprend bien quand le cinéaste questionne la diplomatie de la drogue à l’échelle du monde et interroge: peut-on, dans une démocratie, lutter contre l’illégalité en mettant en œuvre des moyens illégaux ?