Le difficile combat de Sandra
C’est fou quand même, Godard ne viendra pas… On l’attendait demain pour son « Adieu au langage » présenté, s’il vous plaît, en compétition. Et, en plus, c’est le premier en 3D de JLG! Du Godard avec des lunettes comme pour voir n’importe quel film fantastique. On aurait voulu que le bon Jean-Luc nous explique ça. Pour sa « défense », il aurait dit qu’il est déjà venu à Cannes. Pas la peine de recommencer donc. Merci pour nous d’autant que, depuis quelques années, le pape de la Nouvelle vague est bien meilleur à l’oral qu’à l’écran. On se souvient encore d’une conférence de presse où Godard avait fait feu de tout bois, jusqu’à se payer méchamment la commissaire européenne à la Culture. Il ne sera pas à Cannes mais on vérifiera quand même.
A quoi mesure-t-on la popularité à Cannes? Au temps que les journalistes acceptent de passer dans les files d’attente. C’est vrai qu’il a déjà été question, ici, des queues devant les salles. Mais plus le temps passe et plus on a l’impression de beaucoup attendre. Grosse attente pour la première réalisation de Ryan Gosling, la star au regard de cocker triste. Sous le soleil et sous le regard toujours narquois de Marcello Mastroianni là-haut sur l’affiche officielle du festival, on a attendu une bonne heure de voir, à Un certain regard, « Lost River ». Devant moi, la brune Alexandra, journaliste à Vienne (Autriche) confie à un confrère portugais qu’elle ne supporte pas la lèvre supérieure de Julianne Moore dans « Maps to the Stars ». Ah s’il n’y avait que ce défaut-là dans le dernier Cronenberg! Alexandra s’est perdue dans la cohue et la lumière s’est éteinte dans la salle de « Lost River ». Aïe, aïe et encore aïe! Quelle compilation de clichés fantastiques, quelle entreprise sous-lychienne, quel massacre. On est triste pour la grande Barbara Steele qui, à 76 ans, fait une petite apparition en grand’mère mutique, elle qui fut, dans les années 70, l’une des reines noires du film de terreur. Si vous trouvez, en dvd, « Le masque du démon » de Mario Bava, tourné en 1960, vous vous régalerez…
Il paraît aussi que DSK n’a toujours pas vu le film de Ferrara et le monstrueux numéro lipidique de Depardieu. A mon avis, la fiabilité de l’info est de 35%, pas plus. Mais il aurait quand même utilisé les mots « obscène » et « dégoûtant ». Donc, sans avoir vu « Welcome to New York », il n’est pas tombé loin.
Mais aujourd’hui, c’était le jour des Dardenne avec « Deux jours, une nuit » en compétition. Les frères belges ne déçoivent pas. Voici une nouvelle facette de leur contribution cinématographique à la réflexion sur la crise économique et sociale que traverse actuellement l’Europe. Revenant d’une grosse dépression, Sandra apprend qu’en son absence, les salariés de la société qui l’emploie, ont voté: soit on gardait Sandra dans l’entreprise, soit ils touchaient une prime de 1000 euros. Ils ont choisi la prime. Complètement défaite mais soutenue par son mari, Sandra, bourrée de cachets, n’a qu’un week-end pour convaincre ses collègues de travail à renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail.
Avec la rigueur filmique qui caractérise leur cinéma, avec l’empathie profonde qu’ils ont pour leurs personnages, les Dardenne vont, une nouvelle fois, à l’essentiel. Sans fioritures, ils collent au plus près d’un personnage qui se débat comme une noyée pour sa survie. Sandra va rencontrer ou tenter de rencontrer tous ses collègues. Pour elle, c’est une souffrance. Elle se sent mendiante. Lorsque l’un lui dit qu’il voudrait bien l’aider mais que ce bonus de 1000 euros, c’est « un an de gaz et d’électricité », elle se sent même un peu voleuse. Mais si elle se bagarre de la sorte, c’est bien parce qu’elle aussi se débat dans des difficultés financières.
Une fois de plus aussi, Luc et Jean-Pierre Dardenne ne jugent personne. Les ouvriers de « Deux jours, une nuit » (qui sort demain dans les salles françaises) sont placés dans une situation de concurrence et de rivalité permanentes. Il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Et le combat de Sandra n’est pas celui d’une pauvre fille contre des salauds.
Après avoir accueilli naguère Cécile de France (« Le gamin au vélo ») dans leur univers, les Dardenne y invitent cette fois Marion Cotillard. Même ceux qui ne sont pas nécessairement fans de la comédienne française et internationale, constateront, ici, qu’elle est totalement entrée dans le personnage. Et qu’à aucun moment, elle ne fait de « clin d’oeil » pour dire au spectateur: regardez le superbe boulot que je fais!
Alors une troisième Palme pour les Dardenne? L’événement serait historique dans les annales du Festival. Elle aussi habituée de la Croisette et de la compétition, la Japonaise Noami Kawase vient de montrer le beau « Still the Water », une nouvelle célébration de la nature. Elle aurait dit que, cette année, c’est la Palme d’or ou rien. On imagine qu’on a fait passer le message à Jane Campion. Bon courage au jury.