Les mensonges de Madeleine et les feuillets de Jonas
IDENTITES.- Une jeune femme entre dans un luxueux magasin de vêtements, quelque part en Suisse romande. Elle parcourt les rayons tendus de rouge, regarde des robes de prix et décide d’en essayer l’une ou l’autre. C’est sa mère qui lui a donné une petite somme d’argent pour se faire plaisir et elle a choisi de s’offrir une belle tenue. Dans la cabine d’essayage, la jeune femme est victime d’un malaise. Secourue par une vendeuse, elle affirme que tout va bien et qu’elle va sortir prendre l’air avant de revenir poursuivre ses achats. La vendeuse la regarde partir. Hors champ, on entend un grand choc, des cris, une voix qui lance : « Elle est pleine de sang ! »
Cette énigmatique entrée en matière, première pièce d’un puzzle, est une vraie réussite de suspense…Déjà auteur de deux longs-métrages plutôt expérimentaux (Les gouffres en 2012 et Le dos rouge en 2015), Antoine Barraud réalise, avec Madeleine Collins (France – 1h47. Dans les salles le 22 décembre), un thriller dont, dit-il, la structure est en escargot : on commence par Z et on arrive à A. Autant dire que le cheminement n’est alors pas des plus faciles à suivre. Cependant, on se laisse d’abord prendre par l’aventure d’une belle femme de la quarantaine (la désormais incontournable Virginie Efira) qui est Margot Soriano lorsqu’elle se trouve en Suisse au côté d’Abdel (Quim Gutierrez) avec lequel elle élève la petite Ninon et qui se nomme Judith Fauvet lorsqu’on la retrouve, en France, avec son mari Melvil (Bruno Salomone) et leurs deux garçons plus âgés.
En prétextant des voyages liés à sa profession d’interprète, Margot/Judith s’appuie sur un équilibre fragile, fait de mensonges, de secrets et d’allers-retours, pour mener une double vie. Mais cette acrobatie « familiale » se fissure dangereusement.
Bientôt, Margot/Judith, prise au piège de ses secrets, choisit la fuite en avant et l’escalade redoutable. Dans ce jeu des identités multiples, tandis que les indices (celui du titre même viendra tard) sont livrés petit à petit, on perd peu à peu le fil. Et on décroche alors même que les comédiens tiennent proprement la rampe dans ce polar intime quand même passablement déroutant.
PASSION.- Quand il se réveille, au bout de la nuit, dans un vaste bâtiment de bureaux entièrement désert, Jonas a très mal à la tête. Sa mine défaite atteste que la soirée a été arrosée… Sur un coup de tête, il décide d’aller rendre visite à son ancienne petite amie Léa. Il a beau apporter des croissants pour le petit déjeuner, Léa n’est pas plus ravie que ça de le voir débarquer. Bien sûr, il y encore quelque chose de passionnel dans leur relation et, malgré un passage sous les draps, Léa met néanmoins Jonas à la porte. Désemparé, notre homme traverse la rue et s’installe dans un café. Il en ressort pour aller dans une papeterie et achète des feuilles. Alors même que son travail l’attend, qu’il a des rendez-vous de chantier et des soucis avec un escroc, Jonas est résolu à écrire une lettre à Léa. Curieux, Mathieu, le patron du bistrot, jetterait volontiers un coup d’œil à ces lignes…De Jérôme Bonnell, on se souvient, en 2015, de A trois on y va, une comédie burlesque et sensuelle qui mettait en scène deux aventures extra-conjugales où Charlotte et Michel découvrent qu’ils se trompent avec la même Mélodie.
A propos de Chère Léa (France – 1h30. Dans les salles le 15 décembre), son auteur explique : « J’ai eu l’idée d’un film sur le hors-champ : un hors-champ temporel, géographique, et, précisément, le hors-champ de la passion amoureuse. Un homme reste coincé dans le même endroit toute la journée, tout en ne cessant de répéter : « je vais partir, je pars ». Et en fait, il reste… » Cet homme, c’est Grégory Montel, vu naguère dans Les parfums, qui campe, ici, un Jonas à la dérive, tout à la fois maladroit et fragile, surtout insupportablement indécis. Un type dévoré par la passion à un point tel qu’elle le fige… Dans cette drôle et délicate exploration du sentiment amoureux, on apprécie, comme toujours, Grégory Gadebois en bistrotier curieux, persuadé, lui, que Jonas a tort de vouloir envoyer sa lettre à la chère Léa incarnée par une Anaïs Demoustier pétillante comme à son habitude. Enfin, de bons seconds rôles (Nadège Beausson-Diagne est une Loubna malicieuse et mutine) habitent ce quartier parisien qui semble sortir des films du réalisme poétique, la couleur en plus…