La chanteuse populaire, les jeunes adultes et les Romains de l’immeuble
STAR.- Au Québec, à la fin des années 60, Sylvette et Anglomard accueillent leur 14e enfant : Aline. Dans la famille Dieu, la musique est reine et quand Aline grandit on lui découvre un don : elle a tout bonnement une voix en or. Lorsqu’il entend cette voix, le producteur de musique Guy-Claude n’a plus qu’une idée en tête… faire d’Aline la plus grande chanteuse au monde. Epaulée par sa famille et guidée par l’expérience puis l’amour naissant de Guy-Claude, ils vont ensemble écrire les pages d’un destin hors du commun…
C’est une idée assez culottée qu’a eu Valérie Lemercier de porter au grand écran la vie de Céline Dion, une des voix les plus influentes de la pop et star de la chanson aux 200 millions de disques vendus à travers le monde. Mais Céline Dion est également l’objet de moqueries des médias et de parodies d’émissions télé où l’on caricature son fort accent et ses maniérismes scéniques. Evoquant sa fascination pour Céline Dion et son émotion devant son courage lorsqu’elle fit ses premiers pas sur scène après la disparition en janvier 2016, de René Angelil, son mari, manager et découvreur, la cinéaste note : « Au-delà de son talent, la franchise de Céline me fascine : elle est un livre ouvert, comme elle le dit elle-même, elle se comporte avec le public comme s’il était sa propre famille. »
Sixième réalisation de Valérie Lemercier, Aline (France – 2h06. Dans les salles le 10 novembre) est axé sur l’histoire d’amour entre Aline et Guy-Claude et déroule une suite d’événements qui ont marqué la carrière de cette chanteuse à laquelle Valérie Lemercier prête sa silhouette gracile tandis que Victoria Sio lui offre sa superbe voix.
En jonglant parfois entre vérité et fiction, en rendant plus « cinématographiques » des faits réels, Aline passe en revue l’enfance dans une famille nombreuse chaleureuse, la découverte d’une voix exceptionnelle, l’envol avec l’appui attentionné de Guy-Claude, les premiers succès, l’amour naissant et exclusif entre les deux, la victoire à l’Eurovision 1988 (où elle représente la… Suisse), les télés, les concerts internationaux partout à guichets fermés, la perte de sa voix, les grossesses, le retour à la chanson et les spectacles à Las Vegas, la disparition de Guy-Claude… Tout cela, dans un registre évidemment kitsch, Valérie Lemercier le traite avec une fraîcheur de bon aloi et une tendresse pour son personnage qui finit par emporter l’adhésion du spectateur. Et il m’a semblé remarquer, dans le noir de la salle, quelques larmes écrasées ici ou là. Et il ne reste plus alors à boucler cette affaire rondement menée avec Ordinaire où Aline chante :
Je suis une fille bien ordinaire
Des fois j’ai plus l’goût de rien faire
J’f’rai d’la musique, autour d’un verre
Avec ma mère, mes soeurs, mes frères
Mais faut que j’pense à ma carrière
Je suis une chanteuse populaire
(…)
Autour de moi il y a la guerre
La peur, la faim et la misère
J’voudrais qu’on soit tous des frères
C’est pour ça qu’on est sur la terre
J’suis pas qu’une chanteuse populaire
Je suis rien qu’une femme bien ordinaire
Ordinaire
Ordinaire
ECRANS.- Professeur dans un lycée, Camille recherche une colocation. Il en trouve une dans l’appartement qu’occupe Emilie. Mais celle-ci croyait que Camille était une fille… Comme Camille est charmant et espiègle et qu’Emilie, jeune franco-chinoise plutôt provoc, aime les garçons… Camille avouant « qu’il compense une frustration professionnelle par une activité sexuelle intense », Emilie ne se le fait pas dire deux fois…
Si le titre du dernier film de Jacques Audiard peut paraître singulier, il faut simplement dire que les Olympiades sont le lieu de l’action. C’est là que se croisent Emilie, Camille et bientôt Nora qui, elle-même, va rencontrer Amber… Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.
Quartier de tours au milieu du 13e arrondissement de Paris, entre la rue de Tolbiac et l’avenue d’Ivry, les Olympiades correspond à un plan de rénovation du quartier dans les années 70, d’où son homogénéité architecturale constatable. En souvenir des Jeux olympiques d’hiver de Grenoble de 1968, chaque tour porte le nom d’une ville olympique : Sapporo, Mexico, Athènes, Helsinki, Tokyo… Et les rues, des noms de discipline olympique : rue du Javelot, rue du Disque…
Après Dheepan (2015) qui lui valut la Palme d’or à Cannes et Les frères Sisters (2018) étrange western crépusculaire, Audiard s’inscrit dans l’ici et maintenant des années 2020 pour proposer une radioscopie de la jeunesse, en l’occurrence non point des adolescents mais de jeunes adultes déjà pourvus d’une expérience qui vont donc se rencontrer et s’aimer.
Tourné dans un beau noir et blanc qui donne au film un aspect atemporel, Les Olympiades (France – 1h46. Dans les salles le 3 novembre) parle d’amour et de liberté et le cinéaste avoue que l’une des références majeures du film fut Ma nuit chez Maud (1969) de Rohmer. Un homme et une femme y parlent de tout, d’eux, de Dieu, de la neige qui tombe. A la fin, alors que tous les signes de la séduction réciproque ont été montrés et reconnus, alors qu’ils devraient s’étreindre et s’aimer, ils ne le feront pas. Parce que tout a été dit et que l’érotisme et l’amour sont entièrement passés derrière les mots. Alors Audiard filme comme les choses se passent à l’époque de Tinder et du « couchons donc le premier soir ».
Pourtant, c’est à travers l’écran que va se nouer la relation la plus étrange et la plus fascinante, celle de Nora (qui se croit ennuyeuse et qui est juste mal à l’aise) avec un cam-girl nommée Amber Sweet, travailleuse du sexe en version web… Lucie Zhang (Emilie), Makita Samba (Camille), Noémie Merlant (Nora) et Jehnny Beth (Amber) défendent avec énergie cette aventure urbaine contemporaine.
HERITAGE.- Au cœur de cette Cité éternelle qu’il affectionne tant, Nanni Moretti s’est glissé dans une maison cossue où, au premier étage, vivent Lucio, Sara et leur fille de sept ans, Francesca. Sur la palier d’en face, il y a Giovanna et Renato, un couple âgé qui sert souvent de baby-sitter pour la petite Francesca. Un soir, Renato disparaît avec la gamine pendant plusieurs heures. Lorsqu’on les retrouve enfin, Lucio craint que quelque chose de terrible ne soit arrivé à sa fille. Sa peur se transforme en une véritable obsession.
Au deuxième étage vit Monica, aux prises avec sa première expérience de la maternité. Son mari, Giorgio, est ingénieur et fait de longs séjours à l’étranger pour son travail. Monica mène un combat silencieux contre la solitude et la peur de devenir un jour comme sa mère, hospitalisée pour troubles mentaux. Giorgio comprend qu’il ne peut plus s’éloigner de sa femme et de sa fille. Mais il est peut-être trop tard.
Dora est juge, comme son mari Vittorio. Ils vivent au dernier étage avec leur fils de vingt ans, Andrea. Une nuit, le garçon, ivre, renverse et tue une femme. Désemparé, il demande à ses parents de l’aider à éviter la prison. Vittorio pense que son fils doit être jugé et condamné pour ce qu’il a fait. La tension entre le père et le fils explose, au point de créer un fossé définitif entre les deux. Vittorio oblige Dora à un choix douloureux : lui ou son fils.
Présenté en sélection officielle, dans une compétition que le cinéaste remporta, en 2001, avec La chambre du fils, Tre piani (Italie – 1h59. Dans les les salles le 10 novembre) permet une nouvelle fois à Moretti de brosser une belle galerie de portraits (servie par de bons comédiens) et de poser sur ses personnages un regard plein d’empathie. Tiré du livre Trois étages, paru en 2015, de l’écrivain israélien Eshkol Nevo, cette chronique romaine entremêle des existences qui se heurtent, se blessent parfois et tentent aussi de se guérir mutuellement car il est beaucoup question, ici, de solitude et du nécessaire bien-être des autres. Et Moretti d’observer aussi que « chaque geste que nous faisons, même dans l’intimité de notre foyer, a des conséquences qui affecteront les générations futures. Chacun d’entre nous doit en être conscient et responsable : nos actions sont ce que nous laissons en héritage à ceux qui viennent après nous. » Las, pour ce mélodrame choral , le cinéaste a égaré l’ironie piquante qui était la marque de nombre de ses films. On regrette aussi l’absence de ces moments de fantaisie (heureusement des danseurs envahissent la rue vers la fin) dont Moretti agrémentait ses œuvres…