Le tulle, le rap, le trio, le coq de Clint et l’homme dépressif
BEAUTE.- « Putain de solitude !» Même si elle fait un passionnant métier, Esther est une femme seule et triste qui se lève, le matin, et parle à… ses roses : « Soyez sages ! Soyez belles ! » La beauté, elle connaît, cette première d’atelier dans la maison Dior. C’est elle qui, depuis des années, avec une équipe de cousettes qu’elle dirige avec fermeté et précision, construit de superbes robes de haute-couture. L’existence d’Esther bascule, un jour, dans le métro lorsqu’on lui arrache son sac à main. C’est Jade, 20 ans et sa copine Souad, deux filles de banlieue, qui ont fait le coup…
Pour Haute couture (France – 1h41. Dans les salles le 10 novembre), la cinéaste Sylvie Ohayon a puisé dans son expérience de mère d’une fille qui a vrillé pour imaginer un récit de la transmission qui a trouvé, dans l’univers de la mode et de la haute couture, un cadre bienvenu. Car l’atelier de Dior est l’endroit où Esther trouve ses marques, où elle peut contribuer à ce que la beauté répare un peu le monde. Alors qu’elle s’avance vers une retraite qui l’angoisse, cette femme qui dit « J’aime la vie. C’est la vie qui ne m’aime pas », repère dans cette Jade qui a pris le risque de venir lui rapporter son sac (et surtout le bijou orné d’une étoile de David qu’il contient) un étonnant potentiel. Car Jade a des doigts « magiques » lorsqu’il s’agit de manipuler et de coudre des tulles et des étoffes. Le second film de Sylvie Ohayon après Papa Was Not a Rolling Stone (2014), séduit par la belle rencontre entre deux femmes de génération et de milieu différents qui vont doucement s’apprivoiser, se comprendre et s’estimer autour de la geste du beau.
C’est l’occasion pour la cinéaste de peaufiner tout à la fois des personnages complexes et de diriger de remarquables actrices. Ainsi, portée par une Nathalie Baye très convaincante, Esther est une femme dont on va découvrir petit à petit, au-delà de la dimension de la transmission, les tourments intimes. Quant à Lisa, qui constate qu’elle a enfin une « utilité », elle est incarnée par Lyna Khoudri, rayonnante jeune comédienne qui devient de plus en plus incontournable (on la remarque aussi actuellement dans The French Dispatch) dans le paysage du 7e art.
ENERGIE.- « J’ai envie que le Maroc, que le monde entier entende ces voix et ces histoires. Elles sont le signe que le monde change ». C’est Nabil Ayouch qui évoque ainsi la portée de son nouveau film, une oeuvre pleine de musique, de mots, de joie et de déprime, d’espérance dans l’avenir. Le réalisateur franco-marocain de 52 ans s’est penché, ici, sur la jeunesse marocaine et plus spécialement sur un groupe de filles et de garçons qui composent la Positive School of Hip Hop… Bien sûr, cette école n’a pas vraiment pignon sur rue et Anas, l’animateur qui se propose d’animer cette School, se perd dans le quartier populaire de Sidi Moumen dans la banlieue de Casablanca. Il finira par trouver quand même le centre culturel (fondé par le cinéaste), véritable vivier d’adolescents passionnés de rap et de hi-hop et y fera mûrir, autour de l’idée de la transmission, une joyeuse bande forte en gueule qui s’interroge : « La réalité, tu en parles ou tu la fuis ? »
Connu pour Mektoub (1997), Whatever Lola Wants (2008), Les chevaux de Dieu (2012) et le tonique Much Loved (2015) qui provoqua une intense polémique au Maroc parce qu’on lui reprochait de porter atteinte à l’image du Maroc et de la femme marocaine, Ayouch était en compétition, cette année, à Cannes avec Haut et fort (Maroc – 1h40. Dans les salles le 17 novembre), une manière de comédie musicale (aux accents documentaire) qui permet de se rapprocher de l’intimité des personnages et de les comprendre. Le cinéaste a observé pendant une année Anas et ses élèves : « Je l’ai vu les faire travailler, écrire, réécrire, leur donner confiance en eux. Un jour, ils ont monté un concert et je les ai trouvés incroyables. Ils avaient du talent, ils mettaient des mots si justes sur ce qu’ils vivaient au quotidien, ils racontaient l’époque, la société, tout. » Cette justesse de ton, cette liberté aussi, fait résonner Haut et fort d’une force qu’on peut qualifier de politique. Du coup, on entre, avec plaisir, dans le jeu d’Ismail, Meriem, Nouhaila, Zineb, Abdou, Medhi, Amina et les autres. Même si bien des menaces pèsent sur cette liberté d’expression, on mesure combien les petites graines semées par Anas sont porteuses d’espoir…
PIEGE.- Ils sont jeunes, ils sont beaux et ils s’aiment depuis toujours. C’est sans doute trop. Car Lisa et Simon vont être confrontés, de manière accidentelle, à la mort violente. Simon deale en effet de la blanche qui va emporter son ami Pierre-Henri, détruit par une overdose. Un drame qui va briser le bel amour des deux jeunes gens. Simon sait que la prochaine étape, c’est la prison. Alors, après avoir nettoyé la « scène du crime », il prend la fuite, laissant Lisa à sa solitude et à sa tristesse… Trois années plus tard, Lisa a refait sa vie. Dans le cadre d’une procédure d’adoption d’un enfant, elle se retrouve avec Léo Redler, son mari, dans l’Océan indien. A l’hôtel, elle revoit Simon, devenu guide touristique et prof de surf… Entre les deux, la passion est intacte mais la présence de Léo change tout…
Pour Amants (France – 1h42. Dans les salles le 17 novembre), Nicole Garcia s’appuie une nouvelle fois sur un scénario de Jacques Fieschi, son complice de toujours (il a signé tous les scénarios des neuf longs-métrages de la cinéaste) qui propose, ici, la solide matière romanesque d’un film noir. Trois personnages, trois lieux (Paris, l’Océan indien, Genève) et un triangle amoureux, voilà les trois actes d’une tragédie qui enjambe l’abîme entre la puissance de l’argent et une précarité, essentiellement mélancolique et affective. On s’intéresse à Amants moins pour le cheminement vers un dénouement quasiment annoncé que pour son trio de personnages joliment défendus par Pierre Niney, Stacy Martin et Benoît Magimel. Simon est un type fracassé depuis la mort de Paul-Henri et l’abandon de Lisa. Quant à l’autre homme, Léo, sorte de « taureau sensible » selon l’expression de la cinéaste, il est un homme d’affaires taciturne et brutal mais aussi un mari attentionné qui professe, à l’égard de son épouse, un amour inconditionnel. Même quand il entrevoit le complot dont il se sait la cible, il continue à aimer Lisa. Cette dernière est déchirée et ambivalente. Va-t-elle revivre un amour fou et intact ou « peser » le confort du luxe et de l’argent ? Enfin Amants, description aussi de la cruelle âpreté du monde contemporain, repose sur une atmosphère sombre et glaçante que le directeur de la photo Christophe Beaucarne traduit en belles images grises et froides.
INITIATION.- A 91 ans, Clint Eastwood n’a pas raccroché les gants. Et on s’en réjouit. Certes, la silhouette se voûte toujours un peu plus, le pas semble moins assuré mais le sourire, avec la pointe de malice, est toujours bien là. Surtout, on a définitivement l’impression qu’on ne la lui fait plus à Clint. Le vieux maître hollywoodien fait clairement ce qu’il a envie de faire, ici raconter l’histoire d’un… vieil homme qui fut une star (du rodéo) avant qu’un cheval trop fougueux ne lui brise les reins. Comme ce Mike Milo a une dette envers Howard Polk, son ancien patron (le chanteur de country Dwight Yoakam), il accepte une mission qui ne l’emballe pas plus que cela : partir au Mexique pour récupérer Rafael, le fils de 13 ans, que Polk a eu là-bas avec la toxique Leta.
S’ouvrant sur un paysage au soleil couchant dans lequel galopent des chevaux, Cry Macho (USA – 1h44. Dans les salles le 10 novembre) va rapidement devenir une sorte de road-movie plutôt paisible même si les hommes de main de Leta ne voient pas d’un bon œil l’arrivée du vieux Mike. Mais celui-ci n’en a cure et il récupère Rafael que sa mère considère comme un « monstre », seulement intéressé par les combats de coq. En fait, Mike va mettre Rafo dans sa poche en le faisant rêver à l’immense ranch de son père et aux centaines de chevaux qu’il pourra monter.
Tiré du roman éponyme de N. Richard Nash publié en 1975 auquel Clint Eastwood s’intéressait déjà en 1988, cette balade mexicaine permet à l’acteur de peaufiner un personnage de vieux sage (« J’étais beaucoup de choses que je ne suis plus », dit-il), passionné de chevaux et ami des bêtes. Si Rafael (Eduardo Minett) ne l’intéresse que peu au départ, ses dons pour le débourrage des chevaux sauvages séduisent Mike. Tandis que Macho, le coq de Rafo, veille au grain, la mission devient alors un voyage initiatique durant lequel l’homme âgé et le gamin vont faire le chemin, l’un vers l’autre. Mieux encore, le voyage permettra à Mike de croiser la charmante Marta, une tenancière de café (Natalia Traven), avec laquelle il esquissera une touchante romance… Nostalgique et mélancolique, Cry Macho s’achève sur la chanson Find a New Home de Will Banister. On reste assis dans son fauteuil et on savoure jusqu’au bout.
DOUBLE.- Il n’a pas vraiment le moral, cet homme barbu engoncé dans son caban, qui descend d’un bateau de pêche sur une petite île isolée de Bretagne. Voilà des semaines qu’il doit composer une musique pour un film et l’inspiration n’a pas l’air d’être au rendez-vous. Alors, pour la retrouver, il a loué une jolie maison avec vue sur la mer. Et surtout avec un piano. Hélas, l’instrument est désaccordé et personne à l’horizon pour le remettre d’aplomb… Alors l’homme (qui n’a pas de nom) gamberge, rumine, essaye de trouver un coin de la propriété où la communication de son portable passe et appelle sa femme avec laquelle, manifestement, il y a de l’eau dans le gaz.
Avec Lui (France – 1h28. Dans les salles le 27 octobre), Guillaume Canet signe son septième long-métrage en tant que réalisateur. Le dernier en date, Nous finirons ensemble (2019) réunissait, près d’une dizaine d’années plus tard, les amis des Petits mouchoirs (2010), imposant succès du cinéma français avec plus de 5,4 millions de spectateurs. Ici, point de gros casting mais plutôt une tentative de drame « psychanalytique » avec un personnage en pleine dépression tentant de recoller, tant bien que mal et surtout dans sa tête, les fragments d’une existence compliquée. Car l’homme a une épouse et une maîtresse, au demeurant charmantes toutes les deux. Guillaume Canet (qui incarne l’homme) fait alors basculer son récit dans un mélange de fantaisie absurde puisque l’épouse et la maîtresse viennent le rejoindre successivement puis simultanément dans son lit en échangeant des propos bien sentis qui sortent, évidemment, de la tête perturbée de l’homme….
Dans le registre, on ne peut alors s’empêcher de songer à l’univers de Bertrand Blier, notamment quand il tournait Notre histoire (1984) ou Trop belle pour toi (1989) mais Guillaume Canet va alors encore virer de registre en mettant son personnage aux prises avec un double carrément sinistre qui le poussera au bout du rouleau. On devine l’ambition de Canet mais son film (malgré la présence de Virginie Efira, Laetitia Casta et Mathieu Kassovitz) semble constamment tourner à vide.