Le quotidien des femmes et l’absence des hommes
« Petit papa voici la mi-carême,
Car te voici déguisé en soldat
Petit papa dis-moi si c’est pour rire,
Ou pour faire peur aux tout petits enfants ?
Ou pour faire peur aux tout petits enfants ?
Non mon enfant je pars pour la patrie,
C’est un devoir où tous les papas s’en vont,
Embrasse-moi petite fille chérie,
Je rentrerai bien vite à la maison.
Je rentrerai bien vite à la maison…. »
Dans son lit, le soir, le petit Paul écoute, sur sa tablette, La Strasbourgeoise, ce lancinant chant militaire composé en 1870, tombé dans l’oubli et réintroduit dans le répertoire des soldats au début des années 2000. Paul est le fils du lieutenant Maxime Beaumont. Cet officier est à la tête de la première section de la deuxième compagnie au sein du Régiment étranger parachutiste… Le père va doucement éteindre la tablette afin que son blondinet trouve le sommeil…
Avec Mon légionnaire, son second long-métrage après l’intimiste Baden Baden (2016), Rachel Lang ausculte des existences dédiées à l’Armée, celles évidemment des soldats affectés à des opérations extérieures mais aussi, et simultanément, celles de leurs familles et plus précisément celles des épouses restées à l’arrière, au cœur des beaux paysages sauvages de Corse. C’est là l’un des grands intérêts de ce film puisqu’il est à tout à la fois une chronique du quotidien des combattants sur le terrain -ici au Sahel, face à l’Etat islamique- et le récit de la vie quotidienne de femmes qui, qu’elles travaillent ou qu’elles élèvent leurs enfants, sont toujours dans l’attente et dans la crainte de la nouvelle qui anéantirait leurs vies.
La cinéaste strasbourgeoise de 37 ans, qui a fait des études de philo dans sa ville natale et a intégré l’Institut des arts de la diffusion à Louvain-la-Neuve, sait de quoi elle parle lorsqu’elle évoque le milieu militaire. Elle se souvient : « La vie c’est parfois une histoire de hasard, et à 19 ans, alors que je voulais partir en voyage au Brésil, en cherchant un petit boulot pour payer le billet d’avion, je suis tombée sur une annonce de recrutement qui proposait une formation initiale pour devenir soldat de réserve. J’ai découvert pendant 2 semaines un monde très différent du mien. Quelque chose de fort, et je me suis donc retrouvée réserviste pendant deux ans. J’ai quitté l’armée le temps de ma formation à l’IAD en Belgique. À l’issue de mes études, j’ai décidé de me réengager et de me former pour être officier. Là, un autre monde s’est ouvert encore. Pour être concret, j’ai géré pendant plusieurs années au quotidien 40 soldats de réserve affectés à différentes missions… »
Mon légionnaire s’ouvre sur un quai. Sac sur le dos, une jeune femme monte à bord d’un bateau. Elle va rejoindre à Calvi son fiancé engagé dans la Légion étrangère. Pour Nika, accueillie par un compatriote slave et installée dans la maison d’un ancien colonel, c’est un chamboulement complet. Parce qu’elle n’a pas les mots, parce que la vie militaire accapare complètement Vlad, son fiancé. Qu’il lui faudra attendre longtemps avant de pouvoir se marier, parce qu’elle sait aussi que Vlad ne veut pas d’enfant.
Et puis, au Club des épouses, Nika va rencontrer Céline, l’épouse de Maxime Beaumont, et leur fils Paul. Comme Céline est anglophone, elle aide Nika à comprendre doucement les codes qui régissent cet univers militaire…
Rachel Lang va ainsi aller des uns et des unes aux autres. Elle montre le désert, le sable, la poussière, la chaleur, le danger mais aussi la fraternité des armes au sein de cette Légion étrangère, un univers volontiers fantasmatique, choisie parce que la Légion représente l’extrême, une manière d’élite. Comment, s’interroge la cinéaste, font ces hommes lorsqu’ils reviennent de mission pour retrouver l’intensité et la cohésion qu’ils ressentent sur le terrain… Dans le même mouvement, le film observe, chez celles qui attendent le retour, la manière de supporter l’absence, la potentialité de la mort ou de la blessure…
Au-delà de son look War Drama qui soutient la comparaison avec bien des films hollywoodiens, Mon légionnaire est, dit la cinéaste, l’histoire de Pénélope et d’Ulysse, une histoire de couple dont les personnages sont placés en milieu hostile mais réunis par le combat. Les hommes se battent contre un ennemi invisible et les femmes se battent contre l’absence de l’être cher. Mais Rachel Lang ne minore aucun des deux combats. Chez les soldats, il y a la force du groupe, une forme de cause alors que les femmes ont plus de mal à trouver un terrain commun. C’est vrai pour Céline l’avocate qui n’intègre jamais le club des épouses et s’exclut d’office. Ca l’est aussi pour Nika qui fréquente des amis corses et qui entend une épouse de soldat lui dire « que les gens parlent… »
Rachel Lang réussit des juxtapositions audacieuses ainsi lorsqu’elle accroche le plan du lieutenant Beaumont face au cercueil d’un de ses hommes au gros plan d’un pubis féminin lors d’une séance d’épilation. Un choix d’écriture entre la mort et la « naissance » pour illustrer l’impossibilité de se retrouver comme couple lorsqu’ils sont séparés par 10.000 kilomètres. Lorsque, de retour de mission, Maxime murmure, sur son lit dans la nuit, « Je suis heureux d’être là », Céline soupire : « Alors, pourquoi, tu n’es pas là ? »
Rachel Lang (qui incarne brièvement dans Mon Légionnaire, un médecin militaire en mission avec la Légion) a réuni un bon casting avec Louis Garrel, un Beaumont ténébreux et tourmenté, Camille Cottin, une Céline lumineuse mais inquiète, Aleksandr Kuznetsov, jeune comédien russe qui donne à Vlad une dimension très physique et enfin la fine Ina Marija Bartaité, une Nika à fleur d’émotion. Le film lui est dédié. Ina Marija Bartaité est morte, en avril de cette année, à 24 ans, dans un accident de voiture en Lituanie.
MON LEGIONNAIRE Drame (France – 1h47) de Rachel Lang avec Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité, Aleksandr Kuznetsov, Grégoire Colin, Léo Lévy, Naidra Ayadi, Jean Michelangeli, Wilfried Ranaivo, Edwin Gaffney, Arié Mandelbaum. Dans les salles le 6 octobre.