In memoriam Commander James Bond
Plongée sur une forêt sous la neige. Un homme armé vêtu de blanc y avance. Dans une maison perdue en pleine campagne norvégienne, la petite Madeleine Swann joue à côté de sa mère affalée sur un canapé. « Tu crois que ton père était docteur… Ton papa tuait des gens ». L’homme, qui porte un masque blanc emprunté au théâtre japonais, est entré dans la maison. Il recherche un certain White, responsable de la mort de toute sa famille. D’une rafale, il a abattu la mère. Cachée derrière un meuble, Madeleine a tiré sur l’homme avant de s’enfuir. Elle s’aventure sur un lac gelé dont la glace craque sous ses pas. Elle s’enfonce dans l’eau. A ses trousses, le tueur la met en joue, renonce et lui tend la main.
Le temps a passé. Madeleine est devenue une belle jeune femme qui, à Matera en Basilicate, file le parfait amour avec… James Bond.
L’arrivée d’un nouveau James Bond sur les grands écrans dépasse, et de loin, la sortie classique d’un film, le mercredi, dans les salles obscures.
Parce que 007 n’est pas qu’un film. C’est devenu un événement pour les exploitants qui espèrent le voir faire beaucoup d’entrées. C’est un quasi-marronnier pour les folliculaires qui font des unes à loisir. C’est un label et surtout une affaire pour ses producteurs. On sait, depuis Malraux, que « par ailleurs, le cinéma est une industrie ». Quant aux fans, ils frémissent d’excitation au bonheur de retrouver l’un des héros les plus emblématiques du cinéma. Il faut dire aussi qu’on les a bien fait attendre, le 25e épisode de la saga Bond devenant le symbole du chaos provoqué dans le cinéma par la pandémie. Dès février 2019, on apprenait que la sortie mondiale de Mourir peut attendre était décalée. On l’annonçait pour début avril 2020, puis les sociétés MGM et Eon le repoussaient au 12 novembre 2020 puis encore à fin mars 2021. Mais, en janvier de cette année, la sortie de Mourir peut attendre était fixée au 6 octobre pour le marché français. Dire qu’on a failli attendre est un euphémisme. Mais, en cela aussi, 007 est un produit atypique !
Rangé des voitures et désormais à la retraite, James Bond a perdu, de fait, son fameux 00 synonyme de permis de tuer. Désormais, il peut se consacrer à ses amours avec Madeleine Swann même si l’on sent d’emblée que ces deux-là trimballent bien des secrets. Bond évoque le Spectre (dont à la fin de 007 Spectre, il avait mis pour toujours Ernst Stavro Blofeld, son chef, sous les verrous) tandis que Madeleine renvoie Bond au souvenir de Vesper Lynd disparue tragiquement dans Casino Royale. Lorsqu’il ira se recueillir, dans le cimetière de Matera, sur la tombe de Vesper (1983-2006), une violente explosion le jette à terre tandis que les tueurs du Spectre surgissent… Mais on ne fait pas le coup à Bond ! Surtout pas au bout d’un quart d’heure de film.
Commence alors une bonne grosse course-poursuite à travers les places et les ruelles escarpées du fameux village italien… C’est le premier d’une série de moments de bravoure qui jalonnent ce 25e opus qui marque, on le sait, les adieux de Daniel Craig à la franchise.
Après Sam Mendès qui dirigea deux solides 007 (Skyfall en 2012 et 007 Spectre en 2015) en leur imprimant une certaine noirceur, jugée « viscontienne » par certains, c’est Cary Joji Fukunaga qui relève le gant. Pour une mission compliquée puisqu’il s’agit de tourner une page même si, dans 007 Spectre, Bond semblait déjà bien absent…
Disons que Fukunaga (remarqué en 2009 pour Sin nombre) fait le job en prenant à bras le corps un considérable cahier des charges à commencer par la séquence d’ouverture « gun barrel » qui met en condition tout fan de 007 puis par le générique (centré sur le temps qui passe et s’enfuit) et son indispensable chanson. No Time to Die a été confiée, ici, à la jeune Américaine Billie Eilish. Pas sûr qu’elle se classe dans le Top 5 des meilleures chansons des génériques de Bond.
En faisant sortir de sa retraite un Bond qui se plaisait à pêcher de beaux poissons à la Jamaïque, Fukunaga lui offre une série de défis à relever et de méchants à mettre au pas. Il retrouve ainsi son vieux copain Félix Leiter, vétéran de la CIA, qui lui demande de l’aider à attraper un certain Vlado Obruchev, scientifique dévoyé, capable de fabriquer des armes biologiques contenant des nanorobots codés sur l’ADN d’un individu à éliminer…
Cela nous vaudra donc quelques séquences d’action bien enlevées comme l’attaque du laboratoire secret du MI6, une soirée à Cuba qui s’achève par un massacre ou encore par un combat final (digne d’un jeu vidéo) sur une île où 007 dézingue une petite armée sous les ordres d’un méticuleux psychopathe nommé Lyutsifer Safin.
Tout cela, on le suit paisiblement et sans ennui mais sans non plus être vraiment surpris. Car un Bond demeure une entreprise formatée où le placement de produits le dispute à des figures imposées. Ainsi on retrouve M (Ralph Fiennes) à l’air las, la fidèle Moneypenny (Naomie Harris) ou Q (Ben Whishaw) plus actif que d’habitude et toujours fournisseur de quelques gadgets bienvenus…Et on n’oublie pas les indispensables voitures dont l’Aston Martin DB5 qui fait merveille en mitraillant à tout-va dans Matera…
Pour la pointe d’humour, on retient les échanges à fleurets mouchetés entre la sculpturale Nomi, la nouvelle agent 007 et son prédécesseur, désormais contraint de porter, lorsqu’il se rend chez M, un badge « Visiteur ». Comme le chapeau de Sean Connery volait sur le porte-manteau de la Moneypenny de Loïs Maxwell, le badge « Visitor » vole jusque dans la corbeille à papier de la Moneypenny d’aujourd’hui.
Reste évidemment le cher James dont Daniel Craig avait fait un agent secret aux machoires serrées, plus tueur que charmeur. Le Bond de Mourir peut attendre est fatigué. Ce type au bout du rouleau se force, une dernière fois, à retourner au casse-pipes. Et l’époque ne permet même plus à ce grand séducteur devant l’éternel de faire du gringue à des belles. En d’autres temps, la ravissante Paloma avec son fourreau fendu (Ana de Armas) aurait été une conquête de choix. Aujourd’hui, c’est une… maman qui tourmente Bond. Car cette Madeleine Swann qu’un jour, estimant qu’elle l’avait trahie, il avait mis dans un train italien pour un départ sans retour, est la mère d’une petite Mathilde aux yeux si bleus. Et Madeleine a beau dire : « Elle n’est pas de toi… », James n’en croit pas un mot. Et d’ailleurs, a-t-il tort ?
Mourir peut attendre n’est peut-être pas de très grande cuvée mais il mérite l’attention parce que le Bond de Daniel Craig y tire définitivement sa révérence en vieux combattant du monde occidental.
Dans le bureau de M (le couloir est décoré des portraits de ses prédécesseurs incarnés par Bernard Lee et Judi Dench), on salue la mémoire de Bond avec un verre de scotch. Avant de retourner à un labeur sans fin, M cite Jack London : « La fonction propre de l’homme est de vivre, non d’exister ». Sur le chemin de Matera, Madeleine Swann (Léa Seydoux), se propose, elle, de raconter à Mathilde, l’histoire d’un certain Bond… James Bond.
MOURIR PEUT ATTENDRE Thriller (USA – 2h43) de Cary Joji Fukunaga avec Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux, Lashana Lynch, Ben Whishaw, Naomie Harris, Jeffrey Wright, Christoph Waltz, Ralph Fiennes, Rory Kinnear, Ana de Armas, Dali Benssalah, David Dencik, Billy Magnussen. Dans les salles le 6 octobre.