J’ai économisé sept euros!
C’était le petit matin du 14 mai 2011. Mon oeil distrait balaye le café, le croissant et l’écran d’une chaîne de télé en continu. Et là, Strauss-Kahn, celui qui allait tout simplement devenir, quelques mois plus tard, le nouveau président français, sortant menotté d’un commissariat de New York. Les photographes et les télévisions, dûment convoqués « à l’américaine », pour montrer le monstre de la suite 2806 du Sofitel, sont là et se régalent. Les images passent en boucle jusqu’à la nausée… Quelques minutes plus tard, la Croisette ne parle plus que de cela. Le Festival de Cannes s’arrache les cheveux: il vient de se faire voler la vedette dans les grandes largeurs. Certains ont même osé penser que la polémique autour des propos « nazis » de Lars von Trier, alors en compétition avec « Melancholia », était un coup monté pour attirer à nouveau les projections sur le Festival. Mais c’est une autre histoire…
DSK a fait son retour, hier, sur la Croisette. DSK ou plutôt un nommé Devereaux. Ce qui évidemment ne trompe personne. Pour Cannes, faire du buzz est un objectif quotidien. Les films, c’est bien. La mayonnaise, c’est mieux. Or « Welcome to New York » signé de l’Américain Abel Ferrara, autrefois auteur du violent « Bad lieutenant », n’a pas trouvé sa place dans l’une des sélections cannoises. Pourquoi? Thierry Frémaux n’a rien dit de précis. Alors, on lui prête de ne pas vouloir se mettre mal avec Anne Sinclair.
Enfin, Vincent Maraval, le producteur du film, connu pour avoir taclé naguère les stars du cinéma français et leurs cachets, a choisi de donner un coup de pied dans la fameuse chronologie des médias. Sans passer par la case des salles de cinéma, « Welcome to New York » est sorti directement, hier vers 21h, en VoD, autrement dit en français Vidéo à la demande. On achète et on regarde le film en ligne, moyennant 7 euros.
Depuis l’ouverture du Festival, on laissait évidemment entendre que les festivaliers pourraient voir le Ferrara. Résultat, une de ces bousculades dont Cannes raffole. La scène se passe à hauteur du Carlton, précisément au Nikki Beach. Les badgés et les invités s’entassent en bordure de Croisette. Une journaliste de télévision râle: « Depuis le début de la semaine, Paris nous casse les pieds avec cette histoire. Ils se fichent du festival. Ils veulent du people là-dessus. Mais on s’en moque… » Les badauds, en dévisageant toutes ces têtes anonymes, veulent savoir ce qui se passe: « C’est quelle star qui vient? »
21h, entrée en mêlée. On pousse. Les deux malabars, modèle Omar Sy en moins souriant, ne bronchent pas. L’attachée de presse a sa liste à la main. Cereja? Oui, allez-y, bonne projection. On se retrouve sous une longue tente blanche qui, en temps normal, fait dancefloor. Là, on a choisi salle de cinéma. Des fauteuils, plutôt inconfortables, sont alignés devant un écran. L’impression d’assister à une soirée diapos. Quelques minutes plus tard, sur l’écran, s’affiche le logo de la plateforme FilmoTV. On va voir le film en VoD mais on économise 7 euros. Toujours ça de pris!
Et ça commence bien: vingt bonnes minutes de partouze! Du porno soft (puisqu’on n’y montre pas de pénétration) mais surtout la désagréable sensation d’être prisonnier dans le rôle du voyeur des ébats d’un Devereaux suant, ahanant, grognant, claquant les fesses de call-girls couvertes de champagne et de glace vanille. Quand il atteint le nirvana, Devereaux roule des yeux. Les badgés/invités rigolent.
Le reste est connu: l’oubli du téléphone portable, l’arrestation à l’aéroport, le commissariat, le tribunal, la prison à Rikers Island, la libération, l’installation dans le grand appartement new-yorkais cerné, nuit et jour, par les reporters. Avec quelques flash-backs sur une romance avec une jeune métisse étudiante en droit (le seul instant vaguement tendre du film), le viol raté d’une jeune journaliste venue interviewer l’homme politique. Et puis bien sûr la séquence « House cleaning » où Devereaux se jette sur la femme de chambre… Tout cela relève du téléfilm moyen à l’exception de la longue troisième partie du film qui met en scène le face-à-face entre Devereaux et sa femme Simone. A cet instant, on a quitté un factuel archi-connu pour rejoindre la fiction. Personne, de fait, n’était là pour entendre Devereaux et Simone se déchirer. Lui, tout en la remerciant de l’avoir sauvé une nouvelle fois, pleure sa vie foutue et plaide la « maladie », l’impossibilité de résister à ses pulsions. Ca se gâte franchement lorsque Devereaux reproche à Simone de ne penser qu’à l’argent et au pouvoir: « Tu voulais être la première dame de France… » ou encore: « Tu as réussi à ce que je me haïsse moi-même… »
Face à une Simone (Jacqueline Bisset) droite face au désastre, Devereaux, c’est Depardieu. Monstre pantagruélique et ventru, il se met à poil au propre comme au figuré. Manifestement lâché sans filet par un Ferrara qui le laisse improviser largement, Depardieu est dans la démesure totale! C’est pathétique, comique, parfois flamboyant. On voudrait dire que, rien que lui, ce « Welcome » vaudrait une vision. Mais c’est quand même sacrément glauque.
Après le film, conférence de presse en direct sous la tente avec les boum-boum techno du dancefloor d’à-côté. Ferrara éteint, Maraval attentif, Bisset bavarde, Depardieu évoque un « regard terriblement humain et terrifiant » et affirme: « Je n’ai pas cherché à donner tort ou raison à mon personnage… »
Sur la Croisette, la nuit est fraîche. Ce matin, Anne Sinclair dit qu’elle n’attaquera pas « Welcome to New York » mais le « vomit ». Le buzz cannois, lui, appartient déjà au passé.