L’homme au cœur muet et le chantre de la bonne chère
PHOTO.- Voilà un film qui porte bien son titre. Car, sans être un érudit spécialiste de Gustave Courbet, on sait que le peintre d’Ornans a réalisé, en 1866, un petit tableau (exposée au musée d’Orsay depuis 1995) qui représente le sexe et le torse d’une femme allongée sur un lit, les cuisses écartées. Cette image, c’est aussi celle que recherche un certain Jean-Louis Bordier. La comparaison s’arrête là entre l’œuvre de Courbet et le premier long-métrage réalisé par Laurent Lafitte qui incarne, lui-même, ce Bordier, sémillant avocat qui découvre, un jour, avec un effarement compréhensif, que son cœur s’est arrêté. Bien sûr, il est toujours vivant mais plus un seul battement dans sa poitrine, aucun pouls, rien. Est-il déjà mort ?
C’est en découvrant, il y a sept ans, au théâtre L’origine du monde, la pièce écrite par Sébastien Thiéry, et en riant beaucoup, que le cinéaste a eu l’idée et l’envie de porter à l’écran ce « drame qui fait rire ». Car voici un type de la quarantaine, plutôt bien dans sa peau, même si sa vie de couple a tendance à être un peu chaotique, qui se retrouve à se demander s’il est déjà passé ad patrès. Les conseils de son ami Michel Verdoux, vétérinaire de son état, ne lui sont que de peu de secours. Alors Jean-Louis va, bien que très sceptique, écouter les conseils de sa femme. La très zen Valérie –elle parle aux fleurs, caresse les légumes et joue de l’ocarina- l’entraîne chez une holistic life coach, en l’occurrence une gourou (Nicole Garcia) qui, invoquant le karamanga, les cœurs physique et cosmique et la quête des souffrances primales, lui explique, assez benoîtement, qu’elle a besoin de voir le sexe de la mère de Jean-Louis pour permettre à ce dernier de survivre.
S’ouvrant, au générique, sur Cadeau (1974), la chanson de Marie Laforêt, L’origine du monde (France – 1h38. Dans les salles le 15 septembre) est une comédie aussi surprenante et grinçante qui vire assez rapidement à la pure loufoquerie. On ne rit pas aux éclats mais on se demande toujours, et cela maintient le spectateur en haleine, quelle va être le prochain rebondissement délirant de ces personnages quand même bien barrés. On observe ainsi les démêlés d’un « vieux » couple (Lafitte et Karin Viard, toujours pétulante) qui fait l’amour avec une passion sonore avant de reconnaître, un rien agacés, qu’ils se sont débarrassés d’une corvée. On passe ensuite à Michel Verdoux (Vincent Macaigne, égal à lui-même), l’ami de toujours de Jean-Louis, complètement paumé par ce cœur qui ne bat plus et surtout désemparé lorsque Jean-Louis lui demande de réaliser la fameuse photo. Et on arrive enfin à Madame Bordier mère. Brigitte a 82 ans. Elle est un peu sourde et n’a plus vu son fils depuis quatre ans. Mais elle flaire quand même un coup foireux. On n’en dira pas plus mais Hélène Vincent, l’inoubliable Marielle Le Quesnoy de La vie est un long fleuve tranquille (1988), est épatante en mère mortifère, dangereuse et folle, embarquée dans une improbable mais savoureuse crapulerie !
REVOLUTION.- Un lieu de création, de plaisir et de partage, voilà ce qu’est un restaurant. Mais, à l’aube de la Révolution française, ce lieu magique n’existe pas encore. Pourtant Pierre Manceron est un chef d’exception mais il est au service du duc de Chamfort. Dans les cuisines du château, cet officier de bouche concocte des mets originaux comme ce petit chausson où la pâte est fourrée de fines tranches de pommes de terre et de truffe. Mais voilà, d’avoir conçu cette trouvaille culinaire va coûter très cher à Manceron. Prié par son maître de venir recueillir les avis des convives sur ses mets goûteux, le chef a d’abord droit à une avalanche de compliments très fleuris. Et puis voilà qu’un sinistre abbé de cour s’insurge qu’on lui serve de la pomme de terre (« Vous nous prenez pour des Allemands ! »), un légume sorti de terre… Pouah ! Aux compliments succèdent instantanément les lazzis de petits marquis perruqués dont on peut penser aisément qu’ils connaîtront bientôt la guillotine. Mais, pour Manceron, c’est la fin des haricots. Le voilà chassé et contraint, avec son fils, de retourner dans son Auvergne profonde. Il lui reste « le geste, le feu, le temps, l’outil » mais la passion manque désormais.
« J’ai voulu m’intéresser, explique le réalisateur Eric Besnard, à ce qui fait l’identité de la France. Les Américains, qui travaillent en permanence sur la mythologie et l’identité de leur pays, sont champions en la matière. Ils ont la bannière étoilée, l’esprit pionnier et le mythe du self-made man. Les Anglais ont l’insularité et la royauté. J’ai voulu réfléchir à la possibilité de bâtir un projet sur l’ADN français. Au cours de lectures sur le XVIIIème siècle, je suis tombé sur l’invention du concept de restaurant…»
Tout en étant un film en costumes, Délicieux (France – 1h52. Dans les salles le 8 septembre) apparaît rapidement comme une œuvre très ancrée dans des thèmes contemporains autour de la bonne chère, des saveurs de terroir, du frais, du bon, presque du circuit court ! Comme de plus, le cinéaste imprime à son récit un ton très romanesque, on se laisse prendre par cette histoire d’un homme qui va faire, dans son domaine, une vraie révolution. Car, au fond du Cantal, Manceron voit débarquer la belle Louise qui lui demande de la prendre comme apprentie. Mais cette femme gracieuse, élégante et mystérieuse cache un lourd secret. Mais surtout, c’est tout l’univers de la cuisine, servi par une très belle lumière à la manière des natures mortes, qui nous allèche. Les premiers mots prononcés dans Délicieux sont : « Du beurre ! » Parce que la cuisine, on le sait, repose sur trois ingrédients : du beurre, du beurre et du beurre. Ingrédients indispensables auxquels Manceron ajoute du travail et de l’énergie. Une fois de plus, Gregory Gadebois est épatant dans le personnage du rude mais brillant Manceron. Isabelle Carré apporte à Louise un ravissant charme mélancolique. Benjamin Laverrnhe est l’odieux Chamfort, aristocrate poudré qui professe qu’« un homme sans cuisinier est un homme sans amis »… En somme, un film délectable.