L’enquêteur solitaire et la machination aéronautique
A bord du vol Dubaï-Paris, les hôtesses commencent le service des boissons… Tout se passe bien, sinon que le commandant annonce que l’avion va traverser une zone de turbulences et demande aux passagers de rejoindre leurs sièges et d’attacher leurs ceintures. Pourtant, dans le cockpit, le pilote et le co-pilote constatent que les commandes ne répondent plus… Bientôt l’avion plonge et s’écrase dans le massif alpin, faisant près de 300 victimes.
Erreur de pilotage ? Défaillance technique ? Acte terroriste ?
Au siège du BEA au Bourget, dans la banlieue parisienne, c’est le branle-bas de combat. Technicien dans ce Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile, Matthieu Vasseur vient justement de se prendre la tête à propos d’un dossier de crash d’hélicoptère, avec Victor Pollock, l’un de ses supérieurs. Et Pollock ne lui a pas envoyé dire : « Je n’ai pas le temps de gérer vos états d’âme ! » Pire, alors qu’il aurait dû intervenir sur le crash du Dubaï-Paris, Vasseur est mis sur la touche et prié de passer à l’un de ses collègues, le matériel à emporter sur les lieux de l’accident…
Le réalisateur Yann Gozlan a été remarqué dès son second film, Un homme idéal (2015), intéressant suspense autour d’un jeune écrivain qui n’arrive pas à être publié et dont le destin bascule lorsqu’il s’empare du manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de mourir et décide de le signer de son nom…
Pour Boîte noire, son cinquième long-métrage, le cinéaste explique que le film est né d’une double fascination : « Fascination d’abord pour un monde très particulier, celui de l’aéronautique et de l’aviation civile. Cet univers, à mes yeux formidablement cinégénique, aux enjeux financiers colossaux, où se côtoient des intérêts divergents (…) me semblait être un cadre original et passionnant pour un film. Fascination ensuite pour la boîte noire, l’enregistreur de vol en lui-même – ces fameuses boîtes noires dont les journaux nous parlent sans cesse sans qu’on sache vraiment à quelle réalité elles correspondent. »
Alors même que ce milieu pouvait sembler un peu pointu avec son jargon touffu et ses enquêtes très techniques, Boîte noire fonctionne comme un thriller captivant. En effet, on s’attache facilement à Matthieu Vasseur, technicien apprécié mais personnage toujours un peu en marge…
En suivant cet acousticien émérite, on ne peut s’empêcher de penser au preneur de son (John Travolta) de l’excellent Blow Out (1981) de Brian de Palma et évidemment à celui incarné par François Civil dans Le chant du loup (2019). Antonin Baudry y suivait, cette fois dans un sous-marin de la Marine nationale, le premier maître Chanteraide, opérateur sonar et spécialiste de la guerre acoustique, lancé, au cœur d’un conflit en devenir, sur les traces d’un sous-marin nucléaire russe qui… n’existe plus.
Comme Chanteraide, Vasseur est une « oreille d’or » qui sait repérer, au milieu d’un magma de sons, celui qui fournit une indication capitale pour l’enquête. Mais justement, dans le cas du Dubaï-Paris et en analysant avec sa minutie coutumière, le contenu de la boîte noire, Vasseur a la sensation, de plus en plus forte, que quelque chose cloche. Et il se demande aussi pourquoi Victor Pollock, l’enquêteur en chef, a disparu sans laisser de traces…
Devenu alors enquêteur en chef sur le dossier du crash, Vasseur va subir la pression de Philippe Rénier, le patron du BEA (André Dussollier), pressé de pouvoir fournir des conclusions acceptables aux autorités et aux médias. Quant à son épouse Noémie (Lou de Laâge), parfaite working girl en costume Chanel et talons hauts, elle évolue dans les hautes sphères de l’industrie aéronautique et se retrouve très proche du patron de la société qui a conçu et produit l’appareil qui s’est écrasé dans les Alpes. Bientôt Noémie se demandera pourquoi Matthieu semble glisser dans la folie…
Dans un récit bien écrit, Gozlan embarque, avec aisance, le spectateur dans un thriller où s’affrontent en permanence, la quête de la vérité et la théorie du complot. Pour Vasseur, qui va jusqu’à se projeter dans la cabine de l’avion pour mieux comprendre, cette obsession de la vérité sera destructrice.
Dégageant une sorte de mélancolie sourde, Pierre Niney (déjà présent dans Un homme idéal) compose un Vasseur sec, nerveux, presque émacié, pris dans une spirale obsessionnelle, accusé d’être « un pilote frustré », écartelé entre la rigueur scientifique de sa formation et son intuition qui va le pousser à chercher la solution hors des sentiers battus. Quitte à devenir une sorte de « privé » solitaire, de plus en plus marginal et de plus en plus paranoïaque au fur et à mesure que le puzzle qu’il tente d’assembler, lui échappe…
Au-delà de l’histoire d’un enquêteur enfermé dans sa bulle jusqu’au malaise, le film évoque évidemment les énormes enjeux commerciaux de l’aviation civile.
Si, dans sa partie finale, le film prend alors un tour dénonciateur en évoquant une énorme conspiration, on peut observer, comme le fait Gozlan, que l’actualité a rattrapé la fiction. Ainsi, à propos de l’assistance au pilotage, illustrée dans Boîte noire, par l’intrigue du MHD, le cinéaste, alors qu’il bouclait son scénario et préparait le tournage, a appris que la plupart des pays avaient décidé – fait rarissime dans l’histoire de l’aviation – d’interdire leurs espaces aériens à tous les Boeing 737 Max. En effet, le système d’assistance au pilotage de cet appareil, en l’occurrence le logiciel anti-décrochage de l’avion, aurait pris le pas sur l’action des pilotes et serait la cause de deux crashs en moins de six mois, le premier en Indonésie, le second en Éthiopie…
Un bon divertissement inquiétant autour du vieux conflit de l’homme et de la machine.
BOITE NOIRE Drame (France – 2h09) de Yann Gozlan avec Pierre Niney, Lou De Laâge, André Dussollier , Sébastien Pouderoux, Olivier Rabourdin, Guillaume Marquet, Madhi Djaadi, Aurélien Recoing, André Marcon, Anne Azoulay, Marie Dompner, Grégori Derangère, Octave Boussuet. Dans les salles le 8 septembre.