Résistance sensuelle et fantasmes bourgeois
SENTIMENTS.- « Il y a cent mots dans la langue arabe pour désigner les états amoureux ». C’est Anne Morel, une prof d’université qui enseigne la littérature comparée, qui parle ainsi à ses étudiants de la matière qu’ils vont étudier, en l’occurrence une littérature arabe sensuelle et érotique…
Jeune Français d’origine algérienne, Ahmed, 18 ans, quitte ce matin-là la banlieue parisienne où il a grandi, voyage en RER et arrive à la Sorbonne. Dans le hall, parmi les étudiants, Ahmed remarque d’emblée la ravissante Farah avec son visage poupin et sa grande crinière auburn frisée. Sur les bancs de l’amphi, il se retrouve tout à côté de cette jeune Tunisienne fraîchement débarquée dans la capitale… Avec cette jeune fille pleine d’énergie et d’envie de vivre, Ahmed va, peu à peu, connaître –tout en étudiant le dilemme dans la culture arabe entre amour pur et jouissance- des états de doute, de peur, de désirs évidents. Alors, bien que submergé de sentiments qui le bouleversent, Ahmed va tenter de résister…
Avec Une histoire d’amour et de désir (France – 1h42. Dans les salles le 1er septembre), la cinéaste Leyla Bouzid (née en 1984 à Tunis et venue, en 2003, étudier la littérature puis le cinéma à Paris) signe son second long-métrage après A peine, j’ouvre les yeux (2015). Le premier film évoquait le parcours d’une jeune fille de la jeunesse tunisienne branchée entrant en conflit avec sa famille, la société, le contexte politique pour défendre sa liberté. Avec son second film, Leyla Bouzid aborde cette fois un sujet très peu montré sur le grand écran, en l’occurrence la première expérience sexuelle d’un garçon… Dès son premier jour de fac, Ahmed, garçon timide et réservé, est submergé par un puissant sentiment amoureux et en même temps par une pulsion sexuelle cristallisés par la belle et libre Farah.
En mettant au cœur de son propos les cours de littérature arabe du 12e siècle que suivent Ahmed et Farah, la cinéaste place son personnage masculin face à une culture arabe du Moyen-Age qui devient une manière de quête identitaire. Ahmed devra s’extirper des clichés de la banlieue véhiculés par ses copains (qui lui enjoignent notamment de mieux surveiller sa sœur un peu trop « libre »), de sa famille qui ne lui a pas transmis cet héritage littéraire et accepter d’aller au bout de lui-même. Une démarche que Leyla Bouzid résume joliment dans la séquence de l’exposé où Ahmed parle bien mais à voix basse, du sentiment amoureux et trouve ensuite la clé, à travers les mots, pour s’ouvrir à son aimée…
Pour incarner Ahmed et Farah, la cinéaste a trouvé deux jeunes comédiens de talent. Sami Outalbali (vu dans le rôle de Rahim dans la seconde saison de la série Sex Education sur Netflix) donne à son personnage, pris souvent dans son monde intérieur, une intéressante fragilité masculine. Quant à la Tunisienne Zbeida Belhajamor, elle apporte à Farah une belle fraîcheur et une grâce sensuelle…
Loin des images violentes que le cinéma donne volontiers de la banlieue, Leyla Bouzid montre aussi une famille normale et aimante avec notamment un père, ancien journaliste, qui a fui l’Algérie à cause de la répression pour rejoindre tristement les rangs garnis des chômeurs de France. Mais c’est évidemment sur Ahmed que la cinéaste se focalise… En s’appuyant toujours sur la littérature érotique arabe (seul, dans sa chambre, Ahmed se donne du plaisir mais il a remplacé l’écran du porno par la lecture du Jardin parfumé, manuel d’érotologie arabe du 16e siècle), Une histoire d’amour et de désir opère, par petites touches progressives, pour explorer l’intimité d’Ahmed, observer l’évolution de sa passion à travers la rencontre avec les textes et les mots et voir, in fine, comment sa résistance explose pour faire place à un accomplissement charnel et amoureux.
EXCITATIONS.- Tous les fantasmes sont dans la nature et nul ne saurait empêcher quelqu’un de les cultiver. Au prix, évidemment, du respect de la liberté de l’autre. Rien de philosophique cependant dans le nouveau film de David et Stéphane Foenkinos. Déjà auteurs, en 2012, de La délicatesse, joli histoire d’amour interprété par Audrey Tautou et François Damiens, les frères Foenkinos signent, ici, un divertissement léger autour de six couples qui, face à leurs fantasmes, tentent d’explorer les faces cachées de leur vie intime. Le cinéma plonge volontiers dans l’intimité amoureuse (voir ci-dessus comment Mlle Bouzid réussit son coup) et le questionnement, sur grand écran, de la manière d’accéder au plaisir peut même avoir quelque chose d’émoustillant. Le 7e art est, nul ne l’ignore, toujours voyeur. Mais pas tellement, ici. Hélas ?
Sur le vaste univers du fantasme, les frères Foenkinos ont quasiment agi en sociologues en se renseignant auprès de praticiens, en épluchant le net, listant ainsi près de 250 fantasmes. « Notre motivation principale, disent-ils, était de rester le plus réaliste possible. Aussi incongrues que soient les situations, l’identification doit toujours nous permettre d’appréhender ce que vivent nos personnages avec empathie. Que cela nous excite, nous dérange ou nous révulse. Une chose très importante à rappeler ici : tous les fantasmes évoqués dans le film existent vraiment ! »
Film à sketches (ah, la belle époque du cinéma transalpin et des Monstres, façon Risi ou Monicelli), Les fantasmes (France – 1h41. Dans les salles le 18 août) détaille donc la ludophilie (être excité par l’idée de jouer un rôle), la dacryphilie (être excité par les larmes), la sorophilie (être excité par la sœur de l’être aimé), la thanatophilie (être excité par la mort), l’hypophilie (être excité de ne plus faire l’amour) et l’autagonistophilie (être excité d’être regardé en faisant l’amour). Le souci, c’est que tout cela manque clairement de rythme. Pire, on se fiche assez rapidement des fantasmes de ces bourgeois torturés. Même si le casting du film est carrément luxe. Puisqu’on trouve, au rendez-vous, de ce questionnement mollasson sur le désir, Suzanne Clément et Denis Podalydès, Céline Sallette et Nicolas Bedos, Alice Taglioni, Joséphine de Meaux et Ramzy Bedia, Monica Bellucci et Carole Bouquet, Joséphine Japy et William Lebghil, Karin Viard et Jean-Paul Rouve… S’il fallait absolument sauver l’un des sketches, ce serait celui de la ludophilie où Vincent et Louise délirent gentiment dans des jeux de rôle…