Trois flics face à la cité enragée
« Y a plus de police, y’a plus de politiques, y’a plus personne… » Amel, la petite indic, n’a plus d’illusions sur la situation des cités des quartiers nord de Marseille lorsqu’Antoine, un policier de la BAC, lui soutire des renseignements sur le trafic de drogue.
Les mots d’Amel résonnent aussi tristement que ceux de Greg Cerva, vieux routier de la Brigade anti-criminalité, lorsqu’il constate, amer : « Tous les jours, on me traite de fils de pute… Tu sais quoi. On ne sert à rien. Bientôt, il sera trop tard ! »
En s’inspirant d’une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre dans la métropole phocéenne, Cédric Jimenez filme une plongée en apnée dans le quotidien d’un équipage de la BAC. Autour de Greg, briscard chevronné, on trouve Antoine, solitaire qui vit avec son chien et ne lésine pas sur la fumette, et Yass, dont la compagne Gina, elle-même policière en uniforme, va prochainement accoucher…
En 2012, éclate à Marseille un gros scandale de corruption au sein des forces de l’ordre. Dix-huit membres de la Brigade anti-criminalité de la ville sont inculpés de racket et de trafic de drogue en bande organisée et déférés devant les tribunaux. En avril dernier, alors que les charges avaient été largement réduites, onze prévenus avaient été condamnés à des peines de prison avec sursis et sept relaxés…
Dans un carton au début du film, il est indiqué que le film n’entend pas « porter d’appréciation sur l’affaire judiciaire » mais Bac Nord n’a pas tardé à faire polémique, des voix s’élevant pour dire que le film faisait le lit de l’extrême-droite en prenant la défense des policiers…
Si l’on constate effectivement que le cinéaste a choisi le camp des policiers, force est quand même de remarquer que la situation décrite dans Bac Nord a de quoi faire frémir sur l’état de non-droit qui règne notamment dans les quartiers nord de la cité phocéenne. On se souvient qu’en son temps, avec Les misérables (2019) acclamé à Cannes, Ladj Ly faisait déjà un constat similaire à propos de certains coins de la banlieue parisienne…
Bac Nord va, on peut le penser d’ores et déjà, rencontrer le succès. D’abord, et certainement avant tout, parce qu’il s’agit d’un bon divertissement d’action. Jimenez connaît son métier et il sait trousser de solides scènes policières même s’il conviendrait plus de parler de scènes de guerre, tant les interventions de la Bac dans les quartiers « sensibles » tiennent du combat de rue, façon Bagdad. Même si on a lu tant et tant d’articles sur la question, on se demande en voyant des bandes cagoulées façon ninja de la mort interdire l’accès de leur cité aux forces de l’ordre, si on n’a pas la berlue. Bien sûr, on pourrait objecter qu’il ne s’agit que de cinéma. Mais, ici la réalité dépasse l’affliction.
Connu pour La French (2014), un polar enlevé ou HHhH (2017), adaptation réussie du roman de Laurent Binet sur l’opération qui mena à la mort du nazi Heydrich à Prague, Cédric Jimenez trouve le bon équilibre entre l’action, les temps de respiration (un déjeuner de soleil au domicile de Yass dont la compagne asticote le trio en les traitant d’affranchis ou les relations amicales entre les trois flics), les scènes de travail « ordinaire » comme l’interpellation, sur un marché aux puces, de vendeurs de tortue…
L’opération menée dans la cité de la Castellane, dans le 15e arrondissement de Marseille (la scène a été, en réalité, tourné dans une autre cité hors de Marseille) par la Bac pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue est assurément le morceau de bravoure du film. Avec une tension très palpable, Jimenez capte au plus près l’affrontement, presque sauvage, entre des types violents, excités et prêts à en découdre. En face, les flics, armés, les tiennent à distance. Des toits pleuvent des objets ménagers. Les insultes pleuvent aussi tandis que Greg et ses collègues montent dans les étages pour trouver l’appartement du réseau… Lorsqu’enfin, la Bac parvient à interpeller les dealers, il s’agit encore de les sortir de la cité alors que les tirs d’armes lourdes claquent sourdement…
Dans sa dernière partie, Bac Nord bascule dans le film de prison. Salement lâchés par leur hiérarchie (alors même que celle-ci leur demandait « des chiffres et de la qualité »), Greg, Antoine et Yass se retrouvent d’abord aux prises avec un col blanc de l’IGPN qui feint de ne pas savoir comment se passent les choses sur le terrain avant de se retrouver derrière les hauts murs. Tandis qu’Antoine et Yass tentent de tenir le coup, Greg sombre, assommé notamment par l’administration de médicaments à haute dose… Ecoeuré d’avoir été jeté aux chiens mais surtout frustré de ne pouvoir faire bien son métier, ce vieux flic ne comprend plus rien. Et Jimenez intègre des actualités montrant Valls, alors ministre de l’Intérieur, accablant ces fonctionnaires (que personne, évidemment, ne saurait trouver angéliques) qui « salissent la police et la République ». Alors, on l’admet, on grince un peu des dents.
Enfin Bac Nord, parce que Jimenez est natif de Marseille, s’applique à toujours éviter la jolie carte postale avec la Bonne mère en fond de plan.
Le film repose aussi sur un excellent trio d’acteurs. Gilles Lellouche (Greg), François Civil (Antoine) et Karim Leklou (Yass) nous font vraiment croire à des personnages en mouvement mais bien las. Surtout lorsque l’objectif se résume à « Faut qu’on rentre avec quelque chose ». On regrette de ne pas voir autant qu’on l’aurait aimé, Adèle Exarchopoulos (la compagne de Yass) ou Kenza Fortas (Amel, la jeune indic) découverte naguère dans Shehérazade (2018).
« Quand le procureur a abandonné les charges principales, observe le cinéaste, il n’y a pas eu un mot dans les médias alors que leur arrestation avait fait la une pendant plusieurs jours. Du coup, ils étaient heureux d’être écoutés et de raconter comment ils en étaient arrivés là. Ils ont fait des conneries, c’est indiscutable mais l’ampleur médiatique que ça a pris était disproportionnée ». A sa manière, Bac Nord apporte une réponse. Pas toutes les réponses mais assurément un éclairage.
BAC NORD Drame (France – 1h44) de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil, Adèle Exarchopoulos, Kenza Fortas, Michaël Abiteboul, Cyril Lecomte, Idir Azougli, Vincent Darmuzey, Jean-Yves Berteloot. Dans les salles le 18 août.