Le skin qui s’en alla vers la solitude
« C’est l’histoire d’un salaud qui devient un mec bien mais ne s’en remettra jamais. » La définition, par son réalisateur, du propos d’Un Français, pourrait bien être celle d’une tragédie. Ancien journaliste, écrivain, scénariste, dramaturge, metteur en scène de théâtre et de cinéma, Diastème secoue le grand écran français. Non point parce qu’il signe un brûlot sur les pratiques de l’extrême-droite en France mais justement parce qu’il « ose » évoquer ce pan de la société française à l’heure où le cinéma français est bien discret sur le sujet. Une discrétion qui va de pair avec une manifeste frilosité dans le camp de l’exploitation cinématographique. Pourquoi a-t-on commencé à parler de polémique à propos de Un Français? Parce qu’une brassée d’avant-premières prévues et annoncées ont finalement été annulées, les responsables de salles semblant craindre des réactions inappropriées…
De fait, Un Français est un film qui commence dans la plus pure violence. Nous sommes au milieu des années 80 dans la banlieue parisienne. Marc, Braguette, Grand-Guy, Marvin sont des skinheads, des vrais. Ils cognent sur les militants de Touche pas à mon pote, sur un passant lambda, sur de vieux Arabes qui jouent aux dames dans un café. Ils collent, la nuit, des affiches de l’extrême-droite et se bastonnent avec des redskins. Marc est sans doute l’un des plus dangereux de la bande. Il n’en est pas le meneur mais c’est un suiveur qui répète ce qu’on lui dit et qui frappe lorsqu’on le lui dit… Marc est tout simplement un crétin, un idiot bas du front, un type pour lequel, manifestement, l’école de la République a été un échec total. Après avoir beaucoup hurlé « Ici, c’est chez nous », Marc va voir, sinon sa force, du moins sa haine l’abandonner. Mais comment se défaire de la violence, de la colère, de la bêtise aussi lorsqu’elle est si profondément ancrée en soi?
A la manière de ces brillants films sociaux anglais signés Loach, Frears, Leigh, Mullan ou Considine, Diastème réussit, avec Un Français, une chronique sociale qui s’étend sur trois décennies pour raconter le parcours de Marc Lopez, depuis ses débuts parmi les skins jusqu’à son action au sein de la Banque alimentaire en passant par le service d’ordre du Front national. Cela constitue évidemment un sacré panorama mais le cinéaste a l’intelligence de choisir une quinzaine de séquences significatives. La narration, volontiers romanesque et porté par un vrai travail d’écriture, une mise en scène mobile, une reconstitution historique soignée et des comédiens de talent, fonctionne, ici, par ellipse. Diastème ne date pas précisément ces séquences, sinon celle qui marque le basculement de Marc. L’action se passe le 1er mai 1995. Ce jour-là, en marge du défilé du Front national, un Maghrébin est jeté dans la Seine où il s’est noyé. Plus tard, lors d’une réunion, Marc ne supporte pas que quelqu’un puisse vouloir porter un toast aux auteurs du meurtre et tourne le dos…
Suivront alors des années difficiles où il fera le barman en Guadeloupe et regardera ses clients festoyer et s’embrasser, façon black blanc beur, aux exploits des footballeurs de 1998. Sa belle histoire d’amour avec Corinne prendra aussi l’eau et l’empêchera de voir sa fillette… Au fur et à mesure de son parcours, où il croisera Braguette devenu un théoricien de l’extrême-droite, Marc deviendra de plus en plus seul. Il y a bien sa pauvre mère, sa copine Kiki, ce pharmacien qui deviendra son ami mais ça ne suffira pas. Pour Marc, le coup de grâce sera sans doute donné par les images à la télévision, de l’énorme défilé dit « Manif pour tous » (contre le mariage pour tous). Il y aperçoit son ex-femme et surtout sa fillette devenue une grande adolescente blonde dans l’intolérance folle des catholiques intégristes.
Si son histoire est inspirée de faits réels, Diastème ne fait pas de son film une provocation, une leçon de morale ou des révélations inattendues sur l’extrême-droite en France. Le cinéaste confie enfin, à propos du titre du film: « J’ai toujours eu l’impression qu’il y avait deux France, celle de »Liberté Egalité Fraternité » et celle de »Travail Famille Patrie ». Celle des droits de l’Homme et de la culture et celle de Vichy et de Patrick Buisson. Ces deux France cohabitent depuis le milieu du 19e siècle mais de façon de plus en plus difficile aujourd’hui… » Le trajet du héros de Un Français passe d’une France à l’autre.
UN FRANCAIS drame (France – 1h38) de Diastème avec Alban Lenoir, Samuel Jouy, Paul Hamy, Olivier Chenille, Jeanne Rosa, Patrick Pineau, Lucie Dbay, Blandine Pélissier, Renaud Le Bas, Alex Martin. Dans les salles le 10 juin.