Aude et Clotilde sur des chemins divergents
Une cigarette pour deux, une oreillette pour écouter de la musique à deux, le bus pour aller ensemble au lycée… A 18 ans, Clotilde et Aude sont meilleures amies depuis toujours. Côté garçons, c’est juste un peu différent. Clotilde est plus réservée qu’Aude qui les aguiche mais qui ne leur envoie pas dire quand ils la ramènent un peu trop fort. Mais les garçons ne sauraient entamer une relation forte et fusionnelle… Pour les deux filles, le bac approche et, avec lui, les questions sur ce que sera demain. L’un sait, l’autre pas vraiment. Clotilde est décidée à quitter son village alsacien pour partir étudier à la Sorbonne à Paris. Et comme elle n’envisage pas ce départ sans Aude, elle va pousser le bouchon un peu loin. Elle prend, à l’insu d’Aude, ses dessins pour les envoyer aux Beaux-Arts et postuler ainsi au concours d’entrée. De la sorte, elles pourront monter ensemble, petites Rastignac de Niedernai, à la capitale…
Avec L’année prochaine, Vania Leturcq, jeune réalisatrice belge, signe son premier long-métrage avec l’envie de raconter une histoire d’amitié comme une histoire d’amour. Et aussi d’une rupture d’amitié comme d’une première rupture amoureuse. Plus que d’improbables amours adolescentes, la cinéaste se penche donc sur une amitié si forte et si exclusive qu’Aude et Clotilde ne forment, en boîte de nuit, qu’un seul corps symbolique. Mais l’envie de Clotilde de faire son chemin à Paris et la position de « suiveuse » dans laquelle elle va mettre Aude, produira un fatal déséquilibre dans leur relation amicale. Lorsqu’arrivées à Paris, les deux amies montent sur le toit de leur immeuble pour embrasser du regard la capitale, Niedernai semble alors très loin. Tout comme le petit coin de rivière où les adolescents locaux se retrouvaient. C’est là qu’Aude avait croisé Stéphane, un garçon un rien ras de terre (Kevin Azaïs, très bien) qui rêvait d’ouvrir un jour une boîte de nuit dans le village. Clotilde, elle, ne s’intéresse pas à ces garçons. Son regard est déjà ailleurs…
La force de L’année prochaine repose sur le beau double portrait de deux amies dont les chemins et les destins vont diverger. Si, dans l’appartement parisienne qu’elles partagent, Clotilde s’agace de trouver un garçon dans le lit d’Aude, elle deviendra bientôt plus cruelle. Devant l’échec d’Aude dans ses études, elle lance: « Quand on n’a pas de capacités, on bosse! T’as tout gâché… » A quoi, Aude ne peut que répondre: « Ta réussite, je ch… dessus ». Parce qu’elle a voulu partir, Clotilde a vite trouvé les codes de sa nouvelle existence. Aude, elle, n’y arrive pas et sait déjà confusément, en errant aussi dans Paris, qu’elle ne tardera pas à rentrer à la maison.
En inscrivant Aude dans une démarche artistique, certes incertaine, Vania Leturcq place son personnage dans le monde et dans l’échange. En plongeant Clotilde dans des études de philosophie, elle l’isole résolument du monde. Clotilde est seule avec Epicure, Platon ou Kant et constate qu’à 18 ans, elle a encore tout à apprendre. Elle n’a plus rien à partager avec Aude mais cela lui permet, par contre, d’entrer dans une relation amoureuse avec un intellectuel (Julien Boisselier) plus âgé qu’elle et qui profitera de cette aubaine éphémère.
Tourné en Alsace, à Niedernai mais aussi dans différents endroits de Strasbourg qui représenteront des intérieurs… parisiens, L’année prochaine doit beaucoup à son duo de comédiennes. Vania Leturcq qui est venue au cinéma grâce à la lecture d’un livre sur François Truffaut, a sans doute en commun avec le metteur en scène du Dernier métro, d’être complètement amoureuse (très platoniquement, dit-elle) de ses actrices. Fine, menue, réservée, Constance Rousseau (découverte en 2008 dans Tout est pardonné de Mia Hansen-Love) campe Clotilde qui sait se montrer très manipulatrice. Rousse, épanouie, sensuelle, Jenna Thiam (vue en 2012 dans la série de Canal Les revenants) est Aude, l’amie égarée à Paris.
Film sur le difficile passage de l’insouciance adolescente aux décisions adultes, L’année prochaine, chronique d’une amitié mise à mal, présente de jolies qualités pour un premier long-métrage. Notamment dans son ultime séquence, où, dans une ellipse temporelle, les deux amies se revoient. L’instant a un goût doux-amer et une tonalité presque tragique. Mais, après tout, on peut aussi se dire que Clotilde comme Aude ont réussi à atteindre leur désir premier… L’une dans la fréquentation des grands penseurs, l’autre en compagnie de Stéphane…
L’ANNEE PROCHAINE Comédie dramatique (France – 1h48) de Vania Leturcq avec Constance Rousseau, Jenna Thiam, Julien Boisselier, Kevin Azaïs, Anne Coesens, Frédéric Pierrot. Dans les salles le 24 juin.