Nicolas et François partent à la campagne
Les anciens présidents de la République sont plutôt rares dans la vraie vie et encore plus sur les écrans de la fiction. Alors, lorsqu’Anne Fontaine s’empare du sujet, on dresse l’oreille, on affûte le regard et on se réjouit d’une comédie qui sort du lot (rien à voir, par exemple, avec Un tour chez ma fille) puisqu’elle a le double intérêt de nous divertir mais aussi de proposer une réflexion sur l’après, sur le moment où l’on n’est plus au pouvoir.
Ancien président de la République, Nicolas supporte mal l’arrêt de sa vie politique. Bien sûr, il a, en Nathalie, une femme charmante, chanteuse lyrique réputée et puis Sugus, un petit chien avec lequel il traîne sur le canapé à regarder la télé. Et puis Nicolas s’occupe en passant l’aspirateur dans son bel appartement parisien. C’est évidemment un peu court et prosaïque pour donner un sens à son existence. Pire, sa faille dépressive s’ouvre un peu plus encore lorsqu’une librairie organise une dédicace de son dernier ouvrage, La France pour toujours. Et c’est le flop total. Alors Nicolas rumine. Et il se dit que les circonstances, avec la montée du péril fasciste, pourraient bien lui permettre d’espérer un retour sur le devant de la scène politique. Et là, idée lumineuse : il lui faut un allié. Et pourquoi pas l’ermite de Saint-Bonnet ? Accompagné de son officier de sécurité, Nicolas prend donc le train pour les profondeurs campagnardes du côté d’Uzerche. Objectif : convaincre François, un autre ancien Président, de faire équipe avec lui. Mais François a tiré un trait définitif sur la vie politique. Il préfère les vraies valeurs, la vraie vie dans les verts paysages de Corrèze, entre les troupeaux de vaches et son rûcher… « Je suis un autre homme, explique François. J’ai même l’impression que mes cheveux repoussent… »
Touche à tout (sans aucune connotation négative) du cinéma français, Anne Fontaine s’est frottée à bien des genres. Si l’on plonge dans sa solide filmographie, on y trouve du drame social (Nettoyage à sec, Marvin ou la belle éducation, Police), du thriller (Comment j’ai tué mon père, Entre ses mains) une aventure sentimentale noire (Mon pire cauchemar), un drame historique (Les innocentes) ou des productions teintées d’érotisme (Nathalie…, La fille de Monaco, Gemma Bovery, Perfect Mothers). Et voilà donc la cinéaste qui se lance dans la comédie politique ! Le genre n’est que rarement traité sur les grands écrans nationaux. Et il est d’autant plus savoureux car Anne Fontaine (qui signe aussi le scénario et les dialogues) peaufine deux plaisants portraits d’hommes politiques qui semblent avoir leur avenir dans le dos. Ainsi François prête une oreille attentive aux propositions de Nicolas tout en observant : « C’est intéressant mais je ne suis pas intéressé ». Alors pour que François se pique au jeu, Nicolas n’hésite pas à employer les grands moyens, évoquant la peste brune qui menace la France et appelant à la rescousse les chemises noires, les stades, la Nuit de cristal ou l’incendie du Reichstag… Bref, il convient de faire l’union sacrée dans un Front républicain. On a déjà entendu ça dans un passé récent mais c’est bien plus goûteux dans cette comédie qui évoque, sur un ton plein de touchante fantaisie, la politique à laquelle les Français tournent actuellement le dos. Si Nicolas n’a jamais complètement abandonné l’idée de revenir sur le ring, François la joue au-dessus de la mêlée. Mais il suffit que Nicolas prononce le mot magique : « Macron, ça ne vous fait plus rien ? Les trahisons… » pour que l’ermite se mue en tornade. Dans sa bibliothèque, il explose, fracasse, éructe. Et Isabelle, sa femme, d’interroger : « Ne me dis pas que vous avez parlé de Macron ? »
Gérant avec finesse le mélange complexe du rire et de la vérité, Anne Fontaine organise brillamment le parcours de Nicolas et François, deux « bêtes » politiques, qui possèdent une part aveugle qui va les entraîner dans un endroit inconnu d’eux, comme une expérience initiatique. Et on finit par croire à cet aigle à deux têtes dont l’alliance au départ semble improbable mais qui s’avère, petit à petit, possible…
C’est d’autant réussi qu’Anne Fontaine multiplie les bonnes séquences comme la partie de tennis qui ressemble à un meeting, celle où Nicolas n’arrive pas à prononcer correctement Europe Ecologie Les Verts ou celle encore où l’officier de sécurité de Nicolas lit le magazine Bushido et observe que la voie du samouraï, avec des valeurs comme la loyauté, l’honneur, le respect, le courage ou l’honnêteté, est difficilement accessible à l’homme politique. Homme politique qui saura cependant recycler ces valeurs dans son discours fondateur…
Si Présidents est un excellent moment de cinéma, c’est aussi parce que la réalisatrice a trouvé en Jean Dujardin et Gregory Gadebois des interprètes magnifiques. Ni l’un, ni l’autre ne sont dans la caricature, ni dans l’imitation mais bien dans l’évocation. Dujardin est parfait lorsqu’il joue, avec justesse, des tics de S., lorsqu’il cite : « Quand le Mal a toutes les audaces, le Bien doit avoir tous les courages » ou lorsqu’il s’avise que le bonheur n’est peut-être pas là où il croyait…
Quant à ce merveilleux comédien qu’est Gadebois, on se délecte de le voir jouer du saxo dans une fête de village en Corrèze puis d’entendre, le visage fermé, un sénateur de gauche le ranger dans « la masse anonyme et agricole » pour conclure en estimant que sa présidence a peut-être été une parenthèse malencontreuse. Avant de le voir craquer : « Il n’y a pas de mots pour dire combien je m‘emmerde ».
Nicolas et François décident donc de retourner au front sous le regard, tendre, amusé ou agacé, de leurs compagnes respectives. Là encore, Anne Fontaine touche juste avec Doria Tillier (Nathalie) et Pascale Arbillot qui campe avec grâce et assurance une Isabelle, vétérinaire de son état, promise à une belle aventure. Car Nicolas et François vont découvrir que la femme est l’avenir de l’homme politique.
Ah, pour le reste, Anne Fontaine note que Nicolas mesure 1,82m et que François ne fait jamais de colère. Donc, toute ressemblance serait purement etc. Par contre, ce qui est certain, c’est que Présidents, comme il est dit sur l’affiche, c’est UNIQUEMENT au cinéma. Et ça, ici, on aime aussi.
PRESIDENTS Comédie (France – 1h40) d’Anne Fontaine avec Jean Dujardin, Gregory Gadebois, Doria Tillier, Pascale Arbillot, Jean-Charles Clichet, Jean-Michel Lahmi, Pierre Lottin, Roxane Bret, Cyril Couton, Denis Podalydès. Dans les salles le 30 juin.