Une fable horticole qui fleure bon la rose
« La vie sans beauté, c’est quoi ? » Pour Eve Vernet, fameuse créatrice de roses artisanales, c’est une question qui n’appelle pas de réponse. Et pourtant, Madame Vernet a bien des soucis. Sa petite entreprise est au bord de la faillite et un concurrent puissant fait tout pour la racheter. Fidèle secrétaire à tout faire, Véra pense avoir trouvé une solution en engageant trois employés en insertion. S’ils ne demandent pas mieux que de bosser pour échapper à la galère, Fred, Samir et Nadège n’ont strictement aucune compétence horticole… Cependant, le trio, appuyé par Véra (Olivia Côte), va se lancer de concert dans une drôle d’aventure pour sauver le rêve d’Eve et la société Vernet.
Avec La fine fleur, Pierre Pinaud signe son second long-métrage après Parlez-moi de vous (2012) et invite à se glisser dans une jolie fable. Tournée du côté de Montagny (Loire), dans la côte roannaise, cette comédie dramatique nous entraîne d’abord dans les beaux paysages de la France rurale, là où s’étendent, entre prés et bois, les cultures d’Eve Vernet. Cette impression de paix campagnarde est encore renforcée par les images de la belle maison dans laquelle vit, en solitaire, Eve Vernet. Là, tout n’est que canapés, fauteuils, tentures, boiseries, peintures florales, livres en abondance. C’est dans cet agréable fouillis aux lumières tamisées que, le soir venu, Eve tire sur sa bouffarde sous le portrait d’un père bien aimé qui lui légua sa société (« et les emmerdes qui vont avec » grince-t-elle) et plus encore son amour des roses. Alors, pas question de brader le rêve paternel, surtout lorsque c’est Lamarzelle, entrepreneur très content de lui (Vincent Dedienne) et créateur industriel qui veut mettre le grappin sur les roses Vernet.
Mais, avec ses trois laissés pour compte plus malchanceux que manchots, Eve Vernet va trouver une équipe de choc qui se pique au jeu de la culture des roses. Utilisant les « talents » de Fred qui s’y connaît en cambriole, Eve ira jusqu’à monter une opération commando pour « récupérer » une rose ancienne quasiment tombée dans le domaine public que Lamarzelle n’entend pas partager comme le veut la tradition des créateurs…
En songeant, dit-il, pendant l’écriture du scénario, à La part des anges (2012) dans lequel le Britannique Ken Loach brosse le portrait de petits délinquants dans une région déglinguée par la misère et parvient à montrer, entre autres, ce que le monde du whisky a de merveilleux, Pierre Pinaud a imaginé ce beau personnage d’obtentrice. Mais le cinéaste s’intéresse à cette créatrice de roses à un moment-charnière de son existence, celui où, au bord du gouffre financier, elle va devoir faire des choix aussi déchirants que cruciaux.
Pour incarner Eve Vernet, Pinaud a eu la bonne idée de choisir Catherine Frot qui l’avait séduit dans Les saveurs du palais (2012). Mêlant finesse et fantaisie, élégance et gouaille, la comédienne fait de son Eve Vernet une femme forte, solitaire, déterminée et volontiers transportée par ses émotions. Si elle a certes sale caractère, elle finit cependant par reconnaître que ses employés en insertion ont de vraies qualités humaines même si, comme elle, ils n’ont pas eu la chance de naître avec une cuillère d’argent dans la bouche. Pour les incarner, le cinéaste a trouvé des visages encore peu connus avec Marie Petiot (Nadège), Melan Omerta (Fred) et Fatsah Bouyahmed (Samir) qui fut, quand même en 2016, Fatah, le modeste paysan algérien, joyeux et optimiste de cette savoureuse comédie qu’était La vache.
Dans La fine fleur, le profane en apprend un peu sur l’univers des créateurs de roses puisqu’il y est question de l’hybridation, des pollens, des semis, du « mariage », du déshabillage de la rose, du pistil à dégager, de la sélection des meilleurs « père » et « mère », de la floraison, le tout dans le passage des saisons… Alors, on ne posera plus la question de Nadège : « C’est quand qu’on fait les bouquets ? », de crainte d’entendre Eve Vernet lâcher, glaciale, « On n’est pas des fleuristes ».
Pour la dimension romanesque, Pinaud a mis en place une relation privilégiée entre Eve Vernet et Fred qui fait montre d’une sensibilité olfactive exceptionnelle au point qu’Eve lui ouvre ses précieuses boîtes de bois précieux remplies de fioles en verre conservant des parfums de roses… Et si Fred, que ses parents ne veulent plus voir, pouvait, dans les serres Vernet, prendre un nouveau départ ?
Dans La fine fleur, on note aussi une agréable b.o. qui, au générique de fin, fait la part belle à La rose et l’amure, la chanson d’Antoine Elie qui dit : «Elle a la couleur de l’amour, bien que je n’l’aie jamais croisé – Bien qu’à la lumière du jour les fleurs sont toutes belles à crever. Alors j’ai mis la route en pause. A ses côtés, me suis posé. Puisque cette rose semblait morose d’être seule au jour achevé. »
Pierre Pinaud rêve qu’on sorte de son film en se disant que la quête de beauté peut justifier qu’on lui consacre sa vie. « Si j’avais dû mettre une phrase en exergue de mon film, ç’aurait été celle-ci, du créateur de roses belge Louis Lens : « Quiconque s’adonne à la passion de la beauté ne gâchera jamais sa vie ».
LA FINE FLEUR Comédie dramatique (France – 1h34) de Pierre Pinaud avec Catherine Frot, Melan Omerta, Fatsah Bouyahmed, Olivia Côte, Martie Petiot, Vincent Dedienne, Serpentine Teyssier, Pasquale d’Inca. Dans les salles le 30 juin.