La petite musique fantaisiste de Sophie
Pourquoi ne fait-on pas plus attention aux affiches des films ? Enfin, je parle pour moi. Vous, peut-être, après tout… Tout cela pour dire que l’affiche de Playlist mérite d’être vue. Evidemment, elle colle à l’air du temps puisqu’il y est question du retour dans les salles obscures. Mais, dans son intégralité, le texte dit : « La comédie pour retourner au cinéma, danser dans les bars, retomber amoureux, dîner entre amis, revoir sa famille, donner des coups de boule ». Comme ça, du premier coup, ça ressemble presque à un sommaire. Et, d’une certaine manière, c’en est un. Pas vraiment surprenant, non plus, puisque la réalisatrice Nine Antico, dont c’est le premier long-métrage, vient de l’univers du livre et plus précisément de la bande dessinée…
De là à se demander si réaliser un premier film est une évolution logique pour une autrice de bande dessinée. A quoi, Nine Antico répond : « Je pense que l’on est aidé pour le sens du cadre ! En fait, j’ai appris à aimer le cinéma avant la bande dessinée. Je ne lisais pas tant de BD à l’époque alors que j’ai été cinéphile assez jeune, grâce à mon père qui avait une grande collection de cassettes vidéo qui allait du néoréalisme italien aux classiques américains. J’ai eu un premier choc à 16 ans en regardant Un tramway nommé désir ; le cinéma d’Elia Kazan a été une claque et m’a fait prendre conscience que le noir et blanc permettait la sensualité et la modernité… »
Nine Antico fait même un an de fac de cinéma à Saint-Denis. Mais elle est frustrée parce qu’on ne propose pas aux étudiants de faire des films. Un serveur de Pizza Hut, où elle travaille aussi comme serveuse, la fait participer au tournage d’un court-métrage amateur. C’est la révélation du cinéma comme travail d’équipe. Mais Nine Antico ne se sent pas cinéaste, n’ayant, dit-elle, pas l’impression d’avoir des choses à raconter. Mais ça viendra à travers la bande dessinée.
S’ouvrant sur les visages tristes, fermés ou las de voyageurs dans le métro parisien, Playlist choisit, tout au contraire, de faire souffler un vent de fraîcheur et de grâce sur l’histoire de Sophie Legal, 28 ans, qui professe un goût manifeste pour la vie même si son désir d’être dessinatrice (elle ne cesse de remplir activement ses carnets de dessins qui in fine deviendront livre) se heurte au fait qu’une formation en école d’art aurait été un plus…
Playlist est un film savoureux à bien des égards. D’abord parce que Sophie apparaît comme une cousine française de la Frances Ha incarnée par Greta Gerwig dans le film (2012) de Noah Baumbach. L’une à Paris, l’autre à New York ne sont pas du genre à baisser les bras. Sophie voudrait bien trouver l’amour mais ce serait évidemment plus facile s’il vous sautait aux yeux. La cinéaste suit donc la jeune femme dans une quête de l’Amour qui revient à prendre des coups, beaucoup, à en donner, un peu. Le tout scandé par une récurrente voix off (joliment timbrée) qui distille de marrantes « sagesses », du genre, à propos de l’amour toujours, « Qu’est-ce qui compte ? Le même humour, la même vision du monde, l’odeur de la peau ? Où s’arrête l’exigence ? Où commence l’utopie ? » Pour faire bonne mesure dans ce film joliment gorgé de musiques, Nine Antico appelle à la rescousse Daniel Johnston, le chanteur pop lo-fi américain. Il chante « True Love Will Find You in the End ». Qui tourne en boucle dans la tête de Sophie qui se demande s’il est bien vrai que l’amour véritable finit toujours par vous tomber dessus…
Dans ce Playlist, porté par un beau noir et blanc, on s’accroche donc avec plaisir aux basques de Sophie devenue attachée de presse chez Nomaniak, une maison d’édition de bandes dessinées (« on dit roman graphique » précise son patron) dirigée par un zig amateur de karaoké, spécialement coléreux et mal embouché. Ce qui n’empêche pas –Nine Antico crayonne avec humour le petit monde de la BD- notre jeune héroïne de se bagarrer pour arriver. Sans écouter la voix off qui affirme : « Le vrai courage… S’arrêter avant d’être à bout de souffle… »
Sophie, c’est Sara Forestier, l’inoubliable Bahia Benmahmoud dans Le nom des gens (2010) et elle excelle une fois encore à transmettre la joie de vivre et la fantaisie débridée d’une jeune femme moderne et libre. Evidemment, les doutes et les interrogations sont toujours là, qu’il s’agisse du rapport au corps de cette femme, de l’avortement (« ce n’est pas la joie mais ce n’est pas non plus une tragédie » dit la cinéaste), de la vulnérabilité, de la nécessité d’être suffisamment à l’écoute de soi…
Autour de Sophie, gravitent des personnages délectables et le plus souvent un peu barrés. Il en va ainsi d’un cuistot avec lequel Sophie a une liaison charnelle qui se passe pour l’essentiel dans les réserves du bistrot où elle est aussi serveuse ou encore d’un vendeur de matelas sans oublier une co-locataire inquiète des punaises de lit… On a gardé pour la bonne bouche, la copine Julia qui rêve de faire du cinéma et vient de tourner un premier court-métrage plutôt arty. Julia, c’est l’inimitable Laetitia Dosch. Avec son look à la Simone de Beauvoir, elle est simplement épatante. On se dit qu’il n’y a qu’elle pour parler de se « muscler la chatte tous les jours » en regrettant : « Je ne sais pas ce qu’est un orgasme ».
Alors, Playlist, un film féministe ? Pour la cinéaste, pas de doute : « Je suis une femme, je suis féministe, et j’ai fait un film. » Pour le spectateur, un délicieux plaisir en tout cas ! Et comme le dit encore cette chère voix off : « On ne sait jamais ce qui nous attend. On avance sans savoir et c’est pas plus mal. On est toujours surpris ».
PLAYLIST Comédie (France – 1h28) de Nine Antico avec Sara Forestier, Laetitia Dosch, Inas Chanti, Pierre Lottin, Andranic Manet, Mathieu Lescop, Grégoire Colin, Anne Steffens, Santagio Barban, Jackie Berroyer, Cyril Pedrosa, Bertrand Belin. Dans les salles le 2 juin.