Deux jeunes femmes dans de sales draps
CASSIE.- D’entrée de jeu, on se dit que Cassandra Thomas, alias Cassie, n’est pas tout à fait nette. Quand on la découvre, affalée sur la banquette rouge d’une boîte de nuit, les jambes en équerre, dévoilant quasiment sa culotte, le regard dans le vague, on se dit que la pauvre n’en mène pas large. Mais Cassie sait parfaitement ce qu’elle fait. Ce sont les types, aguichés par sa « disponibilité », qui ne savent pas ce qu’ils font. Plus précisément, où ils mettent les pieds. Et là, on se comprend.
Jusque là en effet, tout le monde se disait que Cassandra était une jeune femme pleine d’avenir. Mais Cassie, étudiante brillante, a interrompu ses études de médecine à l’université Forrest et travaille maintenant dans un coffee shop tenu par sa copine Gail. Evidemment, les parents se désolent de savoir leur Cassie toujours à la maison à 30 ans. Et ils s’inquiètent de la voir trop souvent revenir au bout de la nuit. Evidemment, ils n’ont aucune idée des petites vengeances nocturnes de leur fille.
Pendant un bon moment, le personnage central de Promising Young Woman (USA – 1h48. Dans les salles le 26 mai) embarque le spectateur dans un univers tour à tour intrigant et angoissant. Car la frêle et séduisante Cassie, même si elle paraît maîtriser les plans tordus qu’elle monte, pourrait se retrouver en grave danger. Et, sous couvert d’une comédie sarcastique, on mesure aussi combien les comportements sexuels inappropriés pèsent sur le parcours de cette jeune femme, soudain symbolique de beaucoup d’autres victimes. De là à coller sur le film le label #metoo, il n’y qu’un pas…
Cependant, au fur et à mesure que Promising Young Woman se développe, on lâche doucement prise. La mise en scène d’Emerald Fennell n’est pas en cause. Avec cette première réalisation pour le grand écran (elle a aussi travaillé sur la série Killing Eve), la cinéaste réussit à conserver un bon rythme à cette aventure intime. Mais, plus le récit avance, plus on glisse vers une farce presque macabre. On a rapidement compris que Cassie trimballe un souvenir traumatisant et qu’elle n’a plus vraiment de goût à la vie. La rencontre fortuite avec un ancien copain de fac devenu chirurgien pédiatrique, semble donner au film une tournure plus romantique. Et d’ailleurs Cassie n’a plus sa tête de déterrée pour nuits trop chahutées. La comédienne Carey Mulligan, qu’on reconnaît à peine au cours de ses déboires nocturnes, retrouve alors le joli minois qui charmait, en 2011, le mécanicien taciturne (Ryan Gosling) du Drive de Nicolas Winding Refn. Mais là aussi, la réalisatrice (et comédienne puisqu’elle fut Camilla Shand, ex Parker-Bowles dans les saisons 3 et 4 de The Crown) joue le contre-pied. Bigre, les salauds sont partout. A la demande de la production, on taira, ici, la chute de ce thriller consacré au respect dû aux femmes mais on peut quand même dire que ça s’achève de manière aussi sauvage, délirante que tragique. Et qu’on demeure un peu sur sa faim.
LYZ.- Les premiers films sont fréquemment portés par l’histoire personnelle de leurs auteurs… C’est encore le cas, ici, avec les débuts dans le long-métrage de Charlène Favier qui explique : « Le cinéma, est un medium idéal pour écouter, regarder, deviner ce qui n’est jamais dit, révéler les dieux et les démons qui se cachent au fond de nos âmes. Après mon adolescence chaotique, c’est le cinéma qui m’a permis de plonger à l’intérieur de moi pour sublimer mes traumatismes. Sur les tournages, j’ai trouvé une famille et un territoire où je pouvais enfin être au monde. Faire du cinéma est pour moi un acte de résilience. »
Victime dans sa jeunesse de violences sexuelles dans le milieu du sport, la cinéaste ne signe pas une œuvre autobiographique mais clairement imprégnée d’un vécu douloureux. Jeune skieuse talentueuse, Lyz, 15 ans, intègre la prestigieuse section ski-études du lycée de Bourg-Saint-Maurice. Elle est prise en main par Fred, ex-champion et désormais entraîneur, qui décide de tout miser sur cette nouvelle et prometteuse recrue. Galvanisée par le soutien de Fred, même si celui-ci est constamment dans l’exigence, Lyz se pique au jeu et s’investit complètement dans cette aventure. Mais si le succès est au rendez-vous, la jeune championne va vivre une emprise de plus en plus forte de son coach…
Alors que les affaires de violences sexuelles dans le sport (patinage, tennis etc.) ont défrayé ces derniers temps la chronique, Slalom (France – 1h32. Dans les salles le 19 mai) brosse, dans le cadre superbe de la montagne qui amplifie encore un drame intime, le portrait d’une gamine autour de laquelle les choses semblent se dérober pour ne plus tendre qu’à un unique objectif : des performances, des victoires avec, à l’horizon, une participation aux Jeux olympiques.
Même si ce premier film n’est pas exempt de scories, la cinéaste œuvre dans une sorte de minimalisme qui met en exergue aussi bien la fragilité de l’adolescente que le poids toujours plus important que prend l’entraîneur dans son existence. Alors même qu’autour d’elle, les autres disparaissent (le personnage de la mère est de plus en plus absent, celui de la jeune copine de classe s’efface alors que Lyz connaît la réussite), la petite championne à l’air sombre se retrouve, de plus en plus, sous la coupe de Fred. L’entraîneur est omniprésent. Sur les pistes évidemment mais aussi dans les locaux (pour mieux s’occuper d’elle, il installe Lyz dans son appartement, provoquant le doute et le départ de sa compagne) ou dans les vestiaires, allant jusqu’à « gérer » l’intimité physique de sa championne en herbe… Evidemment, la trouble situation dérape tandis que Lyz fantasme une romance amoureuse avec un coach qu’elle imagine quasiment prince charmant.
Servi par le toujours excellent Jérémie Rénier et par la jeune Noée Abita (découverte, en 2016 dans Ava) dont la cinéaste capte l’équilibre et le déséquilibre dans ses postures, Slalom fait, in fine, le choix de l’apaisement. Lyz comprend qu’elle peut dire non. Et ce faisant, après la rage ou la joie, elle trouvera une paix intérieure. Et ce sera une autre forme de victoire…