La mouche géante, Thomas, son copain et les errances de Margaux
MISSION.- Le n’importe quoi érigé en système, c’est la marque de fabrique de Quentin Dupieux. Mais, gare, s’emparer du n’importe quoi n’est pas une mince affaire. Et, pour en tirer la matière d’un film, il faut du talent. Ce talent, le cinéaste en dispose assurément. On l’a vérifié depuis la révélation cannoise de Rubber (2010), histoire d’un pneu tueur puis avec Réalité (2014), délirant labyrinthe autour du cinéma d’horreur et du meilleur gémissement de l’histoire du 7e art. En 2018, Au poste ! mettait en scène un long interrogatoire de police complètement foutraque. Enfin, en 2019, dans Le daim, Jean Dujardin craquait pour un blouson en daim qui allait lui valoir une foule d’ennuis… Depuis Mandibules, Dupieux a déjà tourné Incroyable mais vrai, nouveau long-métrage dont la sortie est prévue cette année.
Si les films ci-dessus sont des comédies fortement tourmentées par la mort, Mandibules (France – 1h17. Dans les salles le 19 mai) tourne cette fois le dos à cette obsession pour proposer une comédie sincère sur l’amitié, au premier degré et au présent. Mais qu’on se rassure, les réalités déformées, les rapports humains tordus à l’infini, les portraits surréalistes de la société sont toujours au rendez-vous…
Un film de Dupieux ne se raconte pas. Disons simplement que Mandibules évoque les aventures de deux copains, Manu et Jean-Gab, toujours à la recherche d’un peu d’argent. Pas vraiment fut-fut, ils acceptent une mission qui consiste à récupérer une valise, à la placer dans le coffre d’une voiture et d’aller la déposer quelque part pour toucher un billet de 500. Las, les deux zèbres n’ont pas de… voiture. Ils piquent donc une vieille Mercédès pourrie. Quand ils ouvrent le coffre, ils découvrent une mouche géante. Commence alors une histoire très improbable où l’imagination très fertile et le sens complet de l’absurde de Dupieux font merveille. Et comme Manu et Jean-Gab se disent, très cool, que « dans la vie, rien n’est vraiment très grave », on se laisse doucement embarquer et on finit même par croire qu’ils vont dresser la mouche, prénommée Dominique, qui leur permettra de réussir de gros coups…
Pour porter ses délires, le cinéaste peut compter sur des comédiens qui adhèrent totalement à son projet. Dans les rôles de Manu et Jean-Gab, ils retrouvent respectivement Grégoire Ludig et David Marsais, les piliers du Palma Show, déjà présents dans Au poste ! Autour d’eux, en occupants d’une villa avec piscine sur la Côte, on trouve India Hair, Roméo Elvis, Coralie Russier et Adèle Exarchopoulos qui compose, dans un bon registre de comédie, une Agnès handicapée à la suite d’un accident et qui hurle dès qu’elle parle…
Si vous ne connaissez pas le cinéma de Quentin Dupieux, n’hésitez pas à faire un tour dans son univers loufoque !
PARTAGE.- Ah, il a la belle vie, le beau Thomas Reinhard! Il passe ses nuits dans les discothèques (c’était dans la vie d’avant) à se défoncer la tête à coup de musique et d’alcool fort. Mais au bout d’une nuit au cours de laquelle il a défoncé le portail de la maison familiale, démoli le garage avant d’immerger son luxueux coupé dans la piscine; son père, éminent chirurgien (Gérard Lanvin), siffle la fin de la récré… En ce temps de retour dans les salles, on observe, avec Envole-moi (France – 1h31. Dans les salles le 19 mai), un autre retour, celui de Christophe Barratier. Devenu célèbre avec Les choristes (2004) et ses 8,5 millions de spectateurs en France, le cinéaste en était resté à L’outsider (2016), évocation de l’aventure financière de Jérôme Kerviel au sein de la Société générale. En s’inspirant d’une histoire vraie, le cinéaste entrecroise, ici, deux destins, celui d’un jeune nanti qui, incapable de trouver sa place dans la vie, fuit constamment la réalité et celui de Marcus qu’un handicap empêche de mener la vie normale d’un gamin de 13 ans. Contraint et forcé, Thomas va devoir faire un bout de chemin avec Marcus, au risque de perdre tous ses repères et toutes ses certitudes. Même si son handicap limite ses capacités d’action, Marcus a de la joie de vivre à revendre. Et il la partagera avec Thomas qui, interrogé par la mère de Marcus sur son expérience en matière d’accompagnement de handicapés, avoue : « J’étais un enfant et je le suis toujours. Ca fait 25 ans d’expérience… »
Avec Envole-moi, dont le titre renvoie à la chanson de Jean-Jacques Goldman, écrite en 1984, Barratier signe un film charmant dont on devine sans difficulté l’issue tant Marcus et Thomas sont faits pour s’entendre. Alors, on suit du coin de l’œil cette mignonne histoire avec ses gentils rebondissements–même si le risque est toujours là, de voir Marcus s’étouffer par manque d’oxygène- où le cinéaste, dans un mélange de tendresse et d’humour, prône les fortes vertus du partage. Si les comédiens sont bons (le jeune Yoann Eloundou est parfait dans le rôle de Marcus), le film bénéficie de la présence de Victor Belmondo, 27 ans, fils de Paul et petit-fils du grand Jean-Paul. Indéniablement, dans la gouaille mais aussi dans les émotions, Victor a certains traits du cher Bebel et c’est évidemment un argument en faveur d’Envole-moi. Avec ce vrai premier grand rôle, Victor Belmondo impose une belle personnalité. On attend de le retrouver dans un registre plus ambitieux. Depuis Envole-moi, Barratier a tourné Le temps des secrets, adaptation du troisième tome des Souvenirs d’enfance de Marcel Pagnol. Le film est annoncé pour le 23 mars 2022.
SOLITUDE.- Un train qui avance dans un beau paysage avec la mer en fond… Ce train arrive à Paris où Margaux Hartmann a choisi de refaire sa vie. C’est encore un train qui boucle la boucle et achève le périple parisien de cette femme de la cinquantaine qui, désormais, a choisi d’aller (re-)faire sa vie ailleurs… Evoquant son désir de raconter la trajectoire de cette femme, Ludovic Bergery, dont c’est le premier long-métrage, remarque : « Le point de départ de L’Étreinte était de parler de la solitude et de comment se réapproprier la vie, en tout cas de la ressentir, au sens littéral du terme : en passant par le corps, la sensualité et bien évidemment par les sentiments. »
L’étreinte (France – 1h40. Dans les salles le 19 mai) apparaît comme une somme d’impressions qui finit par composer un visage, un personnage. En s’installant chez sa sœur, du côté de Neauphle-le-Château, dans les Yvelines, Margaux, qui a perdu son mari six mois plus tôt, va tenter de se reconnecter à l’existence. Pour celle qui rêvait d’être traductrice, cela passe par un retour sur les bancs de l’université où elle s’inscrit en maîtrise d’allemand. Tout en se frottant à Goethe et à Kleist, Margaux mesure rapidement la distance avec les étudiants qui l’observent avec un brin de curiosité tout en l’intégrant à leurs aventures, qu’elles soient festives (Margaux accepte d’aller à une soirée même si elle note « qu’elle a passé l’âge des boums ») ou sentimentales… Ainsi cette intrusion nocturne dans une piscine pour un « bain de minuit » où, dans l’ombre des douches, Margaux observe les ébats de jeunes corps…
Ludovic Bergery s’attache à capter tous les moments qui composent la nouvelle existence d’une Margaux qui semble toujours en décalage avec le réel. La façon de procéder du cinéaste implique des temps où il ne se passe « rien » et cela contraint le spectateur à une plus grande attention.
Sans doute taraudée par ce qu’elle n’a pas vécu au sein de son couple, Margaux recherche des rencontres sentimentales et physiques qui passent par la fréquentation de sites de rencontres. Autant dire qu’il n’a rien de vraiment joyeux là-dedans et les moments de sexe passés avec un tromboniste de l’Opéra de Paris s’inscrivent ainsi dans le plus pur mensonge. Quant à la belle liaison qui semblait pouvoir se profiler avec Till (le comédien belge Tibo Vandeborre), un prof allemand de la fac, elle tourne court sans que l’on sache vraiment pourquoi…
Le charme de L’étreinte repose sur Emmanuelle Béart qui fait planer sur Margaux des ombres, des mystères, des déséquilibres, des gouffres peut-être. La comédienne affirme : « L’abandon que j’ai pu offrir à Ludovic pendant le tournage est en totale adéquation avec la femme que je suis devenue (…) Pour moi, le voyage est presque terminé, les choix, je les ai faits. Je peux juste recommencer, de manière beaucoup plus étonnante et libre. » Mission accomplie.