Comme un puissant désir d’ailleurs…
Essence? Pression? Clignotant? Check-list terminée.Un type qui monte sur son scooter et démarre en se disant: « A nous l’Atlantique! » n’est forcément pas comme tout le monde. Dame, Michel, infographiste de la cinquantaine, est un passionné. Précisement de l’Aéropostale. Alors quand il enfile sa veste de cuir et noue son écharpe blanche, il se prend pour Mermoz. Mais quand, pour son anniversaire, ses amis lui offrent un baptême de l’air, il n’est pas plus heureux que cela. Son affaire à lui, c’est de rêver. Rêver de bruits de moteur, de camaraderie ou d’obscurité au-dessus de l’immensité océane…
Mais, tout en peaufinant de la 3D en écoutant une fugue de Bach, Michel s’interroge. Il confie à son patron de frère (Denis Podalydès qui joue, ici, les utilités brillantes) sa crainte d’avoir perdu sa légèreté. Et puis voilà qu’en jouant aux palindromes, Michel tombe en arrêt sur les images de kayak -un palindrome donc- qui lui rappellent furieusement un fuselage d’avion. Coup de foudre et achat de l’embarcation à monter soi-même. Après quoi, l’envie d’être seul face à lui-même aidant, Michel monte sur la terrasse de sa maison et se met à pagayer dans l’air. Bref, il n’est plus très loin de larguer les amarres. Le tout sous le regard indulgent de Rachel, son épouse, qui n’a jamais vu en lui un grand aventurier…
Comme un avion, clin d’oeil à la chanson de Charlélie Couture, est une épatante comédie sur un homme qui décide de mettre de l’action dans ses rêves. Et qui montre qu’il n’est pas besoin d’aller bien loin pour commencer à se sentir bien. Michel met donc son kayak à l’eau sur une rivière superbe comme une carte postale de la France profonde. Bien sûr, au bout de quelques centaines de mètres de navigation, le kayak est coincé sous une souche et il faudra que Rachel vienne en voiture dépanner son aventurier. Parfaitement équipé en matériel (« J’attache une grande importance au matos » constate Michel) mais s’appuyant aussi sur le manuel de survie de Riri, Fifi et Loulou, les Castors Jr, ce Terminator de la pagaie part donc au fil de l’eau. Pour faire halte, peu après, dans une charmante guinguette. Là, il va rencontrer deux femmes délicieuses, Laetitia, la patronne des lieux et la jolie Mila qui donne un coup de main. Dans ce coin de paradis, Michel prend vite le temps de vivre. Il savoure le magret de canard, le soleil couché dans l’herbe chaude et la compagnie pleine de sensualité de Laetitia et Mila. Avec son goût tendre et dépourvu de prise de tête, l’amour devient un autre voyage. Il prend place à l’arrière de la camionnette rouge de Mila ou devient un jeu de piste qui, à l’aide de post-it indicateurs de caresses et de baisers, conduit Michel vers le corps voluptueux d’une Laetitia qui dira « La vie, ça peut être si simple ». De là à dire que Michel n’a plus guère envie de poursuivre sa route…
De Dieu seul me voit (1998) au désopilant Adieu Berthe – L’enterrement de Mémé (2012) en passant par Liberté Oléron (2001) ou Bancs publics (2009), Bruno Poldalydès a réalisé une suite de délicieuses comédies qui partagaient toutes un ton à la fois léger, poétique, absurde et loufoque. Avec Comme un avion, Bruno Podalydès s’offre, devant la caméra, son premier grand rôle. Il s’offre aussi un film de la maturité qui évoque, mais sans jamais être prétentieux, le rapport au désir, à l’amour, au couple, à la liberté, à la modernité (ah, la soirée télé avec Rachel et Michel surfant sur leurs tablettes!) et plus que tout au temps. Inventif, pudique, léger, malicieux et non-conformiste, Bruno Podalydès nous amuse en résistant à la pression du temps dévorant. Son kayak n’avance que de quelques kilomètres mais son voyage est une magnifique échappée dans une parenthèse enchantée. Le cinéaste peut alors donner la parole à Moustaki chantant: « Nous prendrons le temps de vivre / d’être libres, mon amour / sans projets et sans habitudes / nous pourrons rêver notre vie ».
Pour références, Bruno Podalydès a pris le Renoir du Déjeuner sur l’herbe ou de Partie de campagne mais on peut aussi appeler à la rescousse le grand Jacques Tati (le burlesque déballage du kayak) et bien sûr Alain Resnais avec lequel Bruno Podalydès partage cette capacité quasi-magique à tirer de la poésie ou du merveilleux de presque rien. C’est le cas, ici, d’un porte-clés anti-moustiques, d’une tente Quechua (publicité gratuite) ou encore d’une thermos emplie d’absinthe sans oublier l’extravagante séquence du parking de grand magasin!
Pour porter une entreprise qui semble joyeusement fofolle (mais on imagine bien les complications de mise en scène lorsqu’il faut s’adapter au courant d’une rivière) le cinéaste s’est appuyé sur des comédiens magnifiques. Lui, en premier, qui fait de Michel un étonnant personnage à la fois concentré et sérieux, un peu gauche parfois et qui soudain lâche joyeusement la bride tandis que son kayak s’envole dans les airs. Agnès Jaoui et Vimala Pons sont les fées charnelles et caressantes de l’îlot bucolique tandis que Sandrine Kiberlain est Rachel, l’épouse malicieuse qui lâche la bride à son Michel en sachant qu’il lui reviendra. Et puis passent là les amis « podalydiens » Michel Vuillermoz et Jean-Noël Brouté ou encore Noémie Lvovsky et Pierre Arditi dans des apparitions loufoques…
Comme un avion, film frais, ludique et lumineux, s’achève par une belle séquence portée par les mots de Gérard Manset pour la chanson Vénus: « L’inévitable clairière amie, vaste, accueillante / les fruits à portée de main et les délices divers / Dissimulés dans les entrailles d’une canopée / plus haut dans les nues ». Chanson pour chanson, Moustaki professait encore: « Tout est possible, tout est permis ». Avec Podalydès, l’envie de partir devient urgente. Mais voyez le film d’abord!
COMME UN AVION Comédie (France – 1h48) de et avec Bruno Podalydès et Sandrine Kiberlain, Agnès Jaoui, Vimala Pons, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Jean-Noël Brouté. Dans les salles le 10 juin.