LES JESUITES, JOUVET, RAIMU, LES VAMPIRES ET LA SURVEILLANCE
SILENCE
Ancien assistant du grand Ozu, Masahiro Shinoda, 90 ans, apparaît comme l’une des figures de la Nouvelle vague japonaise. En 1971, il signe Chinmoku adapté d’un classique de la littérature nippone dont Martin Scorsese donnera sa propre version éponyme en 2016. Voici, au 17e siècle, l’aventure de deux prêtres jésuites portugais venus au Japon pour aider à réimplanter le christianisme dans un pays où la religion catholique est interdite et les fidèles persécutés. En parallèle, les deux missionnaires tentent de faire la lumière sur leur mentor, le père Ferreira, mystérieusement disparu après sa capture par les autorités. Shinoda propose une quête intime et violente dans le Japon médiéval. Dans une mise en scène vertigineuse autant que « documentaire », voici un voyage dans la foi et les paradoxes de la spiritualité. Inédit en Blu-ray et dvd dans sa version restaurée. (Carlotta)
COPIE CONFORME
Gabriel Dupon, modeste représentant en boutons et Manuel Ismora, photographe mondain et… cambrioleur de grande envergure, n’ont rien en commun, sinon leur étonnante ressemblance. Le malfrat va se servir de Dupon comme alibi. En 1946, Jean Dréville, excellent artisan revendiquant la « qualité France » (bientôt haïe par la Nouvelle vague), tourne un policier enlevé qui repose sur des dialogues pétillants d’Henri Jeanson et un rythme dans la mise en scène qui ne faiblit jamais. Evidemment, on savoure la double prestation du grand Louis Jouvet, épatant quand il lâche : « Quand je vous regarde, j’ai l’impression de me répéter » ou encore lorsqu’il explique qu’un portrait, « c’est quelque fois un aveu, quelque fois un mensonge, souvent une dure réalité ». On y croise aussi la toujours pétulante Suzy Delair… (Pathé)
L’ETRANGE M. VICTOR
Honorable commerçant toulonnais, Victor Agardanne mène une double vie puisqu’il œuvre aussi comme receleur pour des cambrioleurs. Menacé de chantage, il commet un meurtre qui vaudra à un innocent (Pierre Blanchar) de partir au bagne. Huit ans plus tard, le bagnard s’évade, revient à Toulon et Victor le recueille au risque de se faire prendre. En 1938, Jean Grémillon, connu pour Gueule d’amour (1937) et Remorques (1941), construit autour du grand Raimu (brillant en homme ayant du mal à vivre sa sombre dualité) un film intense qui développe des thèmes comme le crime, l’expiation et le rachat. Venu du documentaire, le cinéaste filme le quotidien de Toulon tout en décrivant les déchirements de Monsieur Victor. Une belle version restaurée pour un film remarquable que l’on croyait disparu… (Pathé)
THE ADDICTION
Le milieu des années 90 est une période faste pour Abel Ferrara. Après Bad lieutenant (1992) et avant Nos funérailles (1996) l’un de ses films les plus aboutis et les plus noirs, le cinéaste réussit, ici, une magnifique variation sur le thème du vampire. En s’éloignant des codes de l’horreur classique, il raconte, dans un superbe noir et blanc, le parcours de Kathleen (Lili Taylor), une étudiante en philosophie, mordue au cou par une femme (Annabella Sciorra)… Autour de la dépendance, du virus qui ronge Kathleen mais aussi de la récurrente question du Mal chez Ferrara, voici, avec aussi l’excellent Christopher Walken, une descente aux enfers méconnue (malgré sa présence en compétition à la Berlinale 95) qui mérite d’être découverte ! (Carlotta)
LE GANG ANDERSON
A peine sorti de prison où il a passé dix ans, John « Duke » Anderson (Sean Connery, parfait même avec sa calvitie), veut frapper un grand coup en cambriolant non pas un appartement mais tous les appartements cossus d’un grand immeuble de New York où vit sa maîtresse (Dyan Cannon). Il entreprend rapidement de monter une équipe pour passer à l’action… Si le prolifique et remarquable Sidney Lumet excelle à montrer la précise organisation du braquage, il s’est surtout intéressé à l’envers du décor. Car l’opération est de suite éventée par les surveillances tous azimuts du FBI, du fisc ou d’officines privées. En 1971, soit un an avant le scandale du Watergate, Lumet se penche lucidement sur les machines qui prennent le pouvoir, en l’occurrence l’espionnage, officiel ou non, qui gangrène une société constamment sous surveillance. Le braquage de Duke et de ses acolytes ne semble plus alors n’être qu’un épiphénomène ! (Sidonis Calysta)
THE UNDOING
Dans le monde aisé des Fraser, tout va pour le mieux. Dans le New York résidentiel de Central Park, Grace est une psychothérapeute réputée et Jonathan, son mari, un pédiatre spécialisé en oncologie tandis que leur fils Henry fréquente une école huppée. Cette vie de rêve va s’effriter gravement lorsqu’au lendemain d’une soirée de levée de fonds, on constate l’assassinat de la ravissante Elena Alves. Grace se met alors à avoir des soupçons sur son mari… Avec Nicole Kidman et Hugh Grant, voici une excellente minisérie d’HBO (six épisodes de 45 mn) où le showrunner David E. Kelly (connu pour la série Big Little Lies avec déjà Nicole Kidman) s’ingénie avec brio à distiller un thriller où la psy, qui disait « Vous auriez dû le savoir » à ses patients, n’a rien vu venir. A moins que… Et si tout dans la vie des Fraser n’était qu’une suite de lourds mensonges ? (Warner)
LE CAMION
« C’aurait été une route – au bord de la mer – elle aurait traversé un grand plateau, nu – et puis, un camion – c’est arrivé… » On reconnaît d’emblée le phrasé particulier de Marguerite Duras aux premières images de cette quatrième réalisation (qui ressort dans une bonne édition Blu-ray) de la romancière. En 1977, une écrivaine (Duras) lit à un comédien (Gérard Depardieu) le scénario de son prochain film et disserte sur l’existence ou les origines de l’Homme. Evidemment, on pourrait parler, ici, de « non-film » si n’était la capacité de suggestion de Duras, dont on remarque le sourire tendre, quand elle dit : « Personne ne peut résister au vent » ou « Que le monde aille à sa perte. C’est la seule politique… » (Gaumont)
SACREES SORCIERES
Jeune orphelin, Bruno vient, en 1967, vivre chez sa malicieuse grand-mère à Demopolis, en Alabama. La mamie et le gamin se rendent dans une belle station balnéaire, précisément au moment où la Grande Sorcière y réunit, incognito, ses troupes pour mettre en oeuvre de démoniaques desseins. Dans une nouvelle adaptation du roman de Roald Dahl paru en 1983 et après une première adaptation au cinéma (The Witches) par Nicolas Roeg en 1990 avec Anjelica Huston, Robert Zemeckis (Forrest Gump ou Qui veut la peau de Roger Rabbit) retrouve l’esprit de son La mort vous va si bien pour une fantaisie horrifique où il n’hésite ni sur l’aspect cartoon, ni sur les effets spéciaux. Au côté d’Octavia Spencer et de Stanley Tucci, Anne Hathaway s’en donne à cœur joie en Grande sorcière. (Warner)
ASPHALTE
Un 31 juillet, le grand chassé-croisé des vacanciers vire à un cataclysme propre à entraîner Bison fûté au suicide… C’est un cauchemar de la route estivale que Denis Amar met en scène, en 1981, dans son premier (et meilleur) long-métrage. Alors que rien ne l’y poussait, Juliette Delors (Carole Laure) décide de prendre la route avec la voiture de son ami pour le rejoindre. On y croise aussi un père de famille devenu fou à la suite d’un accident ou un chirurgien qui voit défiler des blessés… Dans sa bonne collection Make my Day, Jean-Baptiste Thoret exhume ce film choral oublié et installe, avec une grosse distribution (Yanne, Marielle, Lambert, Ogouz, Bourseiller) une atmosphère bien anxiogène entre canicule, beaufs, tôles froissées et mort au tournant. Une réflexion acerbe sur la société de la bagnole… On songe tout à la fois à Week-end (1967) de Godard ou au Grand embouteillage (1978) de Comencini mais ici l’angoisse domine constamment… (Studiocanal)
JUST JEACKIN
En 1974, avec Emmanuelle, le photographe de mode français Just Jaeckin signe l’un des plus grands succès du cinéma français dans le monde. Jaeckin poursuivra sa carrière de cinéaste en privilégiant la veine érotique. On retrouve, en Blu-ray, Madame Claude (1977) ou les aventures de la plus célèbre proxénète française (incarnée par Françoise Fabian) ainsi que L’amant de Lady Chatterley (1981), adaptation du roman de D.H. Lawrence où le cinéaste retrouve, dans le rôle-titre, Sylvia Kristel qui fut son Emmanuelle. Elle incarne, ici Constance, épouse frustrée d’un aristocrate atteint dans sa virilité par une blessure de guerre et cédant à la passion charnelle avec Mellors, le garde-chasse de la propriété. En bonus, on trouve un portrait de Just Jaeckin et un documentaire sur Fernande Grudet alias Madame Claude, qui raconte comment sa maison fournissait en (belles) filles les élites françaises et internationales. (Zylo Films)
NOTRE HISTOIRE
Garagiste à la vie chaotique, Robert Avranches boit beaucoup de bière. Dans un train, il rencontre Donatienne (Nathalie Baye) qui s’offre à lui. Robert va s’accrocher à elle et s’installer dans la vie de celle-ci contre son gré. Donatienne (Nathalie Baye) est triste et lasse mais Robert affirme : « Parce que ton sourire faudra bien qu’il revienne un jour. Peut-être pas demain ou aujourd’hui, mais un jour. Pis ce jour-là, moi je serai là avec mon Polaroid. » En 1984, Bertrand Blier signe un film très bien écrit mais très décalé qui joue, dans un cadre réaliste, de situations volontiers absurdes. On retrouve ce film, dans lequel Alain Delon incarne un parasite alcoolique, dans une version Blu-ray restaurée. (Studiocanal)
CAPITAINE DENT DE SABRE ET LE DIAMANT MAGIQUE
Personnage célèbre en Norvège (dû au romancier Terje Formoe), le capitaine Dent de sabre est au cœur d’une aventure des mers avec trois malicieux et intrépides moussaillons, les frères Marco et Pinky et la petite Veronica qui se cache sous le foulard de la pirate Ronny. Ensemble, autour de la quête d’un gros diamant magique, ils sont aux prises avec diverses bestioles et un méchant qui craint la lumière… Les réalisateurs Marit Moum Aune et Rasmus Sivertsen signent, autour d’une libre adaptation de L’île au trésor de Stevenson, un agréable film européen d’animation qui sort directement en dvd pour cause de crise sanitaire. (Metropolitan)