La princesse et le général
CANNES.- Assez de cinéphilie! Le festival, c’est quand même Luna Park, la Mecque de la frime, l’Eldorado des m’as-tu vu, la fête à neu-neu… Alors, en guise de lever de rideau, j’ai joué les groupies. Encore tenu par une stricte éducation qui me vient de ma mère, je n’ai pas hurlé « Niiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiicooooooooooooooole » dans les couloirs du palais dans l’espoir infime de voir surgir de nulle part une Miss Kidman qui me sauterait au cou en lâchant un délicieux: « Mais tu as pu venir, c’est génial! »
Non, sur le coup de midi, je me suis glissé entre le jeune Oleg et la délicieuse Svetlana. Lui, pas narcissique pour un sou, faisait des essais de selfie. Vous avez vu les portables maintenant? Ils sont énormes et semblent désormais réservées aux femmes qui trimballent de grands sacs. Mais bon, Oleg est un garçon, à ce qu’il m’a semblé. Svetlana, elle, vérifiait nerveusement un stylo destiné, dans la meilleure des hypothèses, à être saisi par Nicole pour un autographe…
Il était donc midi et je commençais à trouver le temps long en me disant que la conférence de presse du film « Grace de Monaco » était prévue pour 13h. Mais le moindre mouvement de foule -ne serait-ce qu’une attachée de presse pressée qui passe, l’air préoccupé- empêche qu’on s’éloigne. Finalement, l’équipe est passée par là. Olivier Dahan avec son éternelle casquette sortie de « Germinal », Tim Roth, modèle réduit souriant et l’immense Nicole Kidman. La parfaite blondeur sous un bon mètre quatre vingts posé sur des talons de dix centimètres. Forcément, même à travers une forêt de caméras et d’objectifs, on ne peut pas la rater. D’autant qu’elle ralentit, sourit, dit deux mots à un micro. Oleg crie: « Nicole, Nicole! » Pour le selfie, c’est raté. Svetlana aura son autographe. Et moi, j’ai vu Nicole Kidman à deux mètres. Cannes, c’est le bonheur, non?
Les habitués de Cannes pourraient pourtant être blasés. Elle vient tout le temps, Nicole. En 2012, elle était en compétition avec « The Paperboy », un thriller moite où, en visiteuse de prison à jupe (très) courte et jambes écartées, elle faisait gravement perdre les pédales à John Cusack. L’année d’après fut moins torride puisque Nicole siégea au jury: « Une des plus beaux moments de ma vie! » Et puis la revoilà et on ne s’en lasse pas. Les stars sont bien trop rares de nos jours.
Avec « Grace de Monaco », Olivier Dahan, sept ans après une « Môme » qui lança la carrière internationale de Marion Cotillard, a tricoté un film sur mesure pour une actrice qui finit par nous faire croire à sa Grace Kelly. Ce qui n’est pas si mal pour un film, esthétiquement, fait de bric et de broc. « Fiction inspirée de faits réels », le Dahan raconte une brève période dans la vie de la princesse. On va ainsi du moment où elle quitte Hollywood pour Monaco à celui où se règle la crise entre la France et le Rocher.
Le film s’ouvre sur une belle séquence où la caméra filme une route qui serpente du côté de la Corniche. Et puis on découvre qu’il s’agit d’une projection pour les besoins du tournage de « La main au collet » d’Hitchcock. Grace Kelly est alors une star adulée qui s’éloigne, solitaire… Elle quittera ensuite l’Amérique pour rejoindre Rainier, son futur mari.
Sir Alfred viendra la voir à Monaco pour lui proposer le rôle principal de « Pas de printemps pour Marnie ». Le personnage de la kleptomane frigide passionne Grace Kelly mais…
Et puis, le Rocher est alors dans la tourmente. En pleine gestion finale de la guerre d’Algérie, De Gaulle s’insurge contre les privilèges fiscaux de la Principauté et la menace d’un mortel blocus. Dahan, qui livre d’ailleurs une série d’indications sur la vie politique de l’époque, fait le choix de confier à Grace la résolution d’un conflit qui aurait pu coûter cher à Monaco. Au bal de la Croix-Rouge en octobre 1962 à Monaco, la princesse prend la parole pour un grand discours sur la compassion et l’amour triomphant. De Gaulle, muet, grommellera plus tard: « Américaine Aphrodite! » et oubliera de mettre Monaco à l’amende. Gloire soit rendue à Grace!
Donc « Grace de Monaco » est un conte de fées plutôt qu’un biopic. Olivier Dahan a pris des libertés avec l’Histoire. Hitchcock n’est jamais venu voir sa comédienne de « Fenêtre sur cour » à Monaco, pas plus que le Général n’assista au bal de la Croix-rouge monégasque de 1962. Le cinéaste plaide… le cinéma: « J’avais besoin que ces personnages se rejoignent à l’image ». Après tout, Tarantino a bien tué Hitler dans « Inglorious Basterds ».
Il paraît qu’à Monaco, on n’avait pas trop envie de ce film. Il est vrai que Rainier y apparaît comme un type indécis,velléitaire et un époux peu présent. Mais, l’omniprésente Nicole Kidman aidant, le Rocher tient, là, carrément l’hagiographie d’une sainte laïque doublée d’une princesse des coeurs. Bien avant une consoeur britannique. Comme chantait Abba: « Now, it’s History »!