Quinquas déboussolés et rêves perdus
Que sont nos vingt ans devenus? A Paris, Kiki, la cinquantaine, sort du métro et rejoint l’hôpital. Il y a rendez-vous avec un ami médecin qui lui confirme une mauvaise nouvelle: il n’a plus que quelques mois à vivre… « Tu as la même chose que ton père… » note le toubib. « C’est bien la première fois qu’il me transmet quelque chose », tente d’ironiser Kiki. Qui décide de ne rien dire de sa situation à sa bande de vieux copains. On fera donc comme si de rien n’était.
Ancien joueur de rugby de haut niveau, Philippe Guillard est, petit à petit, passé du côté d’une autre forme du spectacle. Après avoir écrit, pour la presse, des chroniques rugbystiques de l’intérieur des vestiaires, Guillard a travaillé pour Canal avant de signer en 2010, Le fils à Jo, un premier film, encore dans l’univers du rugby, qui rassembla un bon gros million de spectateurs. Cette fois, avec On voulait tout casser, le cinéaste s’inscrit dans un sous-genre de la comédie dramatique française notamment, en l’occurrence le « film de potes ». Un créneau dans lequel se sont illustrés, par le passé, Claude Sautet avec une série de films dont Vincent, François, Paul et les autres, Yves Robert avec Un éléphant, ça trompe énormément ou, plus récemment, Marc Esposito avec la trilogie du Coeur des hommes.
La difficulté avec le « film de potes », c’est de réussir la délicate alchimie de la légèreté et de l’émotion, du rire et des larmes. C’est aussi de se dépatouiller de figures très souvent archétypales comme de situations volontiers convenues. Hélas, On voulait tout casser ne parvient pas vraiment à nous emporter dans ce qui doit être une variation amicale sur « Où sont passés nos rêves d’antan? » Bien sûr, l’entreprise n’a rien d’indigne et l’on devine que Philippe Guillard a pris du plaisir à diriger son quintette de comédiens. Mais voilà, ça ne suffit pas.
Sur les pas de Kiki, on va donc faire connaissance avec ses vieux copains qui, tous, affirment que « La vie est belle, mon pote ». Il y a Bilou, l’aîné qui tient une petite brasserie parisienne. Gérôme, lui, traîne un peu son existence dans des tentatives professionnelles malheureuses. Tony est un ancien boxeur un peu bas du front qui n’a pas vraiment connu la gloire et vit seul avec son fils dans le souvenir d’une ex-épouse brillante qui lance des fusées françaises. Enfin Pancho, c’est la grande gueule bruyante et aculturée toujours prêt à vouloir en découdre avec des inconnus, un fameux frimeur qui, avec ses lacunes et ses marottes (ah, les commandes automatiques!), est parfois pathétique. A l’instar de Kiki qui en pince toujours pour son ex, tous ces copains ont bien des soucis avec les femmes. Bilou découvre que Sarah, sa jeune compagne, le trompe, Gérôme, lui aussi, soupire toujours après son ex tout en essayant d’être un père exemplaire. Englué dans sa routine conjugale, Pancho ne remarque plus guère sa femme alors que Tony tente de trouver une compagne de rêve sur des sites internet…
Avec ces ingrédients et en jouant évidemment sur le secret de Kiki (qui a décidé de tout larguer pour partir faire le tour du monde sur son bateau), Philippe Guillard ne réussit hélas qu’à aligner des moments sans surprise, qui vont de l’heure de l’apéritif perturbé par la pluie au dîner en smoking à La Tour d’argent en passant par l’arrivée des copains sur la côte normande où Kiki prépare son grand départ vers les tortues des Galapagos, le ballet des baleines ou le redoutable cap Horn. Et un Renault Gordini vintage ou des dialogues censés faire sourire (« T’as mis ta ceinture de champion du monde de bolognese? » ou « Tu le peins en vert, on aurait Shrek… ») n’y changent rien.
Presque amer, Pancho constate: « Finalement on boit des bières ensemble depuis 30 ans mais on ne se connaît pas vraiment ». On imagine que le drame de Kiki et son proche départ pourraient amener les copains à enfin devenir adultes. Bilou va ouvrir un nouveau restaurant, Gérôme partira retrouver un ancien amour alors que Pancho remarque enfin que sa femme aime peindre…
Si Kad Merad (Kiki), Benoit Magimel (Gérôme), l’ancien rugbyman Vincent Moscato (Tony), Jean-François Cayrey (Pancho) font, avec plus ou moins de justesse, le job, on a plus envie de s’intéresser à Hélène, Sarah, Alex ou Alice, les femmes ou ex-femmes de ces messieurs. Elles sont d’une beauté grave et mature qui détonent clairement avec ces vieux copains qui n’ont toujours pas cassé grand’chose.
ON VOULAIT TOUT CASSER Comédie dramatique (France – 1h26) de Philippe Guillard avec Kad Merad, Charles Berling, Benoît Magimel, Vincent Moscato, Jean-François Cayrey, Anne Charrier, Elsa Molien, Cécile Belin, Emma Colberti, Abbès Zahmani. Dans les salles le 3 juin.