La clocharde magnifique, Alex l’androgyne, le petit suceur de sang et son ami
HUMANITE.- Sur les bords de la Seine, à l’abri d’un pont, une lourde silhouette sombre pousse discrètement une lourde grille de fer et s’éloigne pour aller satisfaire un besoin naturel… De retour dans son abri, cette personne allume une bougie, se lave sommairement avec une bouteille d’eau minérale, emballe un pied dans une grosse bande et puis, sa capuche à bordure de fourrure sur la tête, elle s’éloigne dans le petit jour qui se lève sur la capitale. On la retrouve dans un asile de jour où elle mange une tartine à la confiture et emporte quelques Babybel. Plus tard, avec ses gros sacs à portée de main, elle est assise sur un banc et siffle les oiseaux…
Sous les étoiles de Paris (France – 1h26. Dans les salles le 28 octobre) s’ouvre d’une manière quasi-documentaire. Les tribulations de cette sans-abri renvoient directement au documentaire Au bord du monde (2013) dans lequel Claus Drexel décrivait le quotidien d’une dizaine de sans-abri à Paris. Mais, cette fois, le cinéaste originaire de Bavière mais installé depuis très longtemps en France, fait basculer son récit dans l’univers du conte. Car voilà qu’une fine neige se met à tomber sur Paris. Et, dans ce décor féérique (du côté de Notre-Dame, la capitale est belle avec ses multiples lumières), surgit un gamin aux yeux ronds. Lui aussi pousse la grille de l’antre de la clocharde. Lui aussi veut se mettre à l’abri, au chaud. « Fous le camp. Y’a personne ici ! » grogne la femme de sa voix rauque… Mais Suli ne partira plus… Virée de sa tanière par un employé de la voirie qui voulait bien qu’elle se cache là… mais pas avec un migrant noir, celle dont on découvrira qu’elle se prénomme Christine va entreprendre une odyssée dans la ville. Car Suli cherche sa mère. Il n’a d’elle qu’une photo et son arrêté d’expulsion…
Alors qu’il traite d’un sujet dur, en l’occurrence le drame d’une sans-abri qui s’est prise d’affection pour un môme perdu (Mahamadou Yaffa) mais également, plus globalement, la tragédie de ces migrants entassés dans des tentes sous les ponts d’autoroute, Claus Drexel parvient toujours à conserver un ton qui confine à la poésie. Point de mièvrerie cependant dans ce récit mais une attitude de généreuse attention humaniste. Avec parfois une échappée au cœur des songes. Ainsi, cette scène de nuit magique où Suli croit voir une mère chimérique tandis que s’élèvent les accents bouleversants du Leiermann, le sublime Lied de Schubert qui parle de misère, d’errance et de mort…
Pour porter cette traversée de Paris, Drexel se repose pleinement sur Catherine Frot. La pétulante interprète des Saveurs du palais (2012) ou de Marguerite (2015) incarne une Christine (brisée par une perte terrible) devenue mendiante. La comédienne emporte son personnage du côté d’Eugène Sue et des Mystères de Paris. C’est toujours juste et maîtrisé…
IDENTITE.- Comme dans toutes les classes, vient un moment où les enfants sont appelés au tableau pour évoquer ce qu’ils voudraient être plus tard. Et on a droit à la fillette qui veut réparer des poupées cassées, celle qui se rêve boulangère ou les garçons qui se voient boxeur ou président de la République. Avec sa gueule d’ange, Alex annonce qu’elle sera Miss France. Et le fond des rangs ricane. Pas possible, c’est un garçon !
Auteur en 2013 d’un premier long-métrage teinté d’autobiographie (La cage dorée était un hommage à ses parents, Portugais immigrés en France), Ruben Alvès signe avec Miss (France – 1h 47. Dans les salles le 21 octobre) une comédie sur le courage qu’il faut pour changer d’identité. C’est en découvrant Alexandre Wetter qui était alors mannequin (notamment pour Jean-Paul Gaultier) que le cinéaste voit son projet se concrétiser : «J’ai été frappé par la façon dont il passait avec simplicité et naturel d’un physique assez masculin à une féminité assumée. Je l’ai questionné sur lui, sur la façon qu’il avait de se mettre en scène en femme sur son compte Instagram, je lui ai demandé s’il «envisageait une transition. Ce n’était pas le cas. Il se sent juste ‘’plus fort en femme’’… »
Evidemment, comme le souligne Yolande, la mère d’adoption d’Alex, le concours Miss France, « c’est quand même le temple de l’asservissement de la femme ». Mais Ruben Alvès se défend d’avoir fait un film sur Miss France même si l’essentiel de l’action se déroule dans les coulisses et sur la scène du concours. De fait, Miss est avant tout une réflexion sur la femme et le courage qu’il lui faut pour grandir et s’affirmer dans une société patriarcale. Et c’est encore plus complexe lorsque cette femme est un homme.
A l’évidence, Miss est un film qui tient debout d’abord à cause d’Alexandre Wetter qui parvient avec brio à magnifier sa part de féminin et qui a fait dévier le traitement de Miss de la transidentité à l’androgynie. Et puis, Ruben Alvès réussit aussi trois autres beaux portraits de femmes. Yolande (Isabelle Nanty) est une battante qui fèdère et trouve son oxygène dans le lien social. C’est elle qui lance à Alex : « Ne laisse jamais déterminer ta valeur ! » Avec Amanda, l’exigeante directrice du concours Miss France, Pascale Arbillot apparaît comme une « seconde mère » qu’Alex amène à préférer le fond à la forme. Enfin, Lola, prostituée travestie au Bois de Boulogne, offre à Thibault de Montalembert l’occasion de composer un personnage haut en couleurs mais foncièrement pathétique…
Alex voulait devenir Miss France pour « être quelqu’un ». Miss permet de croire à ce rêve.
DIFFERENCE.- Romancier, auteur de bande dessinée, illustrateur, Joann Sfar est aussi un réalisateur qui s’est fait remarquer, en 2010, avec le surprenant Gainsbourg, vie héroïque puis, en 2011, avec Le chat du rabbin, adaptation en animation pour le grand écran de sa série de BD. En 2015, Sfar signait La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, une commande autour du roman éponyme de Sébastien Japrisot… réputé inadaptable.
Avec Le petit vampire (France – 1h 21. Dans les salles le 21 octobre), Joann Sfar revient à ses fondamentaux en adaptant à nouveau l’une de ses bandes dessinées qui existent depuis trente ans. Une aventure largement autobiographique, puisqu’orphelin à quatre ans de sa mère, « il a grandi, dit-il, dans un imaginaire dans lequel le fait que les morts puissent parler était une bonne chose : c’était une manière de continuer à nous donner de leurs nouvelles. » Et puis à l’heure d’aller à l’école, le petit Joann a imaginé qu’un petit bonhomme venait faire ses devoirs à sa place dans la salle de classe… Et si l’on sait encore que son grand-père qui ne croyait pas aux différences entre les récits pour enfants et les histoires pour les adultes, l’emmenait, dès l’âge de 12 ou 13 ans, voir des films d’épouvante destinés aux grandes personnes, on mesure combien ce film est personnel.
Dans le beau décor du Cap d’Antibes, Petit Vampire vit dans une maison hantée avec une joyeuse bande de monstres. Mais il s’ennuie terriblement… Cela fait maintenant 300 ans qu’il a dix ans et son rêve, c’est d’aller à l’école pour se faire des copains humains. Mais ses parents ne l’entendent pas de cette oreille, le monde extérieur est bien trop dangereux. Mais rien n’y fait. Accompagné de Fantomate, son fidèle bouledogue rouge qui parle avec l’accent du Midi, Petit Vampire s’échappe en cachette du manoir. Bientôt il se lie d’amitié avec Michel, un gamin aussi malin qu’attachant. Hélas, leur belle amitié va attirer l’attention du terrifiant Gibbous, un vieil ennemi qui pistait depuis longtemps Petit Vampire et sa famille…
Avec un beau graphisme 2D coloré, ce film d’animation joue allègrement la carte de l’humour et des références cinématographiques, notamment à la période classique des Universal Monsters avec, par exemple, Frankenstein ou Dracula mais aussi La créature du lac noir…
Si les plus jeunes spectateurs apprécieront la « troupe » extravagante (Ophtalmo, le savant fou et le crocodile crétin sont des musts) qui entoure le petit suceur de sang ou encore les combats de bateaux de pirates dans le ciel, les grands aussi trouveront clairement leur plaisir avec cette belle animation pleine de tendresse sur la différence, l’envie de grandir et de cultiver une forte amitié.