Comme un lancinant désir d’enfant
« L’enfant dont vous rêvez, n’existe pas ! » Et pourtant François et Noémie Receveur en rêvent effectivement de ce bébé qu’ils n’arrivent pas à avoir malgré les efforts répétés de la PMA, les injections dans le ventre, l’espoir toujours et les résultats du laboratoire qui tombent comme un couperet et les renvoient à leur profonde tristesse de couple qui n’aura pas d’enfant.
C’est sur de larges et amples plans aériens que s’ouvre Un enfant rêvé mis en scène par Raphaël Jacoulot, cinéaste originaire de Besançon, qui filme avec une manifeste passion les vastes forêts de Franche-Comté.
François Receveur, secondé par son épouse Noémie, dirige une grande scierie familiale. Il a repris l’entreprise de son père et bataille durement pour faire tourner son entreprise malgré la difficulté de décrocher des contrats, le poids des emprunts, le chiffre d’affaires qui n’est pas à la hauteur et le prix du bois qui grimpe…
C’est d’abord par cette approche quasiment documentaire que l’on entre dans le quatrième long-métrage de Jacoulot. Dans les lumineux plans du début, passe un gros semi-remorque rouge qui transporte des arbres vers la scierie où ils seront tractés vers de puissantes machines qui les débiteront en planches… Tout ce labeur, le cinéaste le filme avec précision mais c’est évidemment parce que le motif de l’arbre, enraciné ou déraciné, parcourt entièrement le film et raconte l’histoire de François. Le trajet de l’arbre, c’est aussi le parcours tragique du personnage. Dès lors, on pressent le drame à venir, une sorte de danger latent. Et l’apparition d’une belle jeune femme au milieu de l’entrepôt de planches contient la promesse du récit à venir : un homme et une femme vont se rencontrer… Car Patricia voudrait faire réaliser une terrasse pour leur maison et elle vient choisir du bois. Pin sylvestre, Douglas ou mélèze ? Noémie sourit et glisse à son mari : « Pas mal, la snob qui aime le bois ! » mais François, lui, est profondément, instantanément, troublé. Lors de l’inauguration de la terrasse, en fin de soirée, les deux deviennent amants…
« La présence de la nature, dit le réalisateur, vient de mon enfance. J’ai grandi dans un univers où la nature est domestiquée et transformée, c’était le travail de mes parents. Dans le film, les plans de nature expriment le ressenti de François, ce qu’il n’arrive pas à exprimer. »
On l’a dit, Jacoulot s’attache à tracer, avec François, le portrait d’un homme qui ne se sent vraiment bien que lorsqu’il est en forêt (« Tu connais la forêt par cœur » lui dit Patricia) et c’est évidemment là où il retrouve Patricia pour leurs rendez-vous amoureux, dans cette cabane perdue au fond des bois, ancien repaire de contrebandiers, qui fait songer au havre dans lequel se rejoignaient Constance et Mellors, les protagonistes de L’amant de lady Chatterley, notamment dans la belle adaptation de Lawrence signée, en 2006, par Pascale Ferran.
Lorsque François y déambule comme un promeneur, selon les cas, amoureux ou attentif et professionnel (« Tu n’es pas un aventurier, toi » lui dit encore Patricia), la forêt devient un lieu magique et mystérieux, majestueux et inquiétant, traversé par la lumière et le vent…
Portée par de beaux thèmes au violoncelle signés André Dziezuk, l’image, travaillée par la directrice de la photo Céline Bozon, privilégie, au-delà de quelques gros plans sur des écorces ou une toile d’araignée vibrant dans la lumière, des plans d’ensemble dont l’atmosphère s’assombrit progressivement à l’instar des saisons et du drame de cet homme pris entre deux femmes…
C’est donc dans ce cadre que Jacoulot développe une romance amoureuse entre François et cette jeune femme qui vient d’ailleurs. Patricia a vécu à Lyon et lorsqu’elle est partie à Metz, elle a eu l’impression d’être dans un bled. « Alors, ici… » dit-elle. Dans ce pays de nature, du côté de Maîche où, comme le lui dit Noémie : « Les gens sont bourrus mais loyaux ». Attirée par la sensualité mystérieuse de François, Patricia cède rapidement à l’attraction des corps. Et François, le tourmenté, connaît alors une manière d’apaisement. Il oublie presque l’obsession de son couple à avoir un enfant. Lorsque Patricia se retrouve enceinte, François est heureux et il sourit comme un… enfant. Mais, dans le même temps, l’aventure amoureuse et sexuelle tourne au drame…
Indispensable au fonctionnement romanesque du film, la passion amoureuse n’en est pas le sujet central. Au cœur du récit, figure la question du désir d’enfant. Lasse des échecs de la PMA, Noémie a choisi d’entrer dans les (lourdes) procédures de l’adoption. Et François l’y suit même si c’est à contre-cœur. La grossesse de Patricia (« C’est moi, le père ? » dit-il, ému aux larmes) va précipiter la tragédie.
Si la tension du film chute parfois, Raphaël Jacoulot peut cependant compter sur un beau trio de comédiens. Louise Bourgoin est une Patricia solaire et Mélanie Doutey une épouse silencieusement douloureuse et inquiète. La seule vue d’une famille heureuse lui donne, dit-elle, des envies de tuer. Quant à Jalil Lespert, il apporte une émotion impressionnante à un personnage complexe et torturé conformé dans un rôle qu’il occupe tant bien que mal. Le comédien et metteur en scène fait alors brillamment de François un père en train de perdre la raison…
UN ENFANT REVE Drame (France – 1h47) de Raphaël Jacoulot avec Jalil Lespert, Louise Bourgoin, Mélanie Doutey, Jean-Marie Winling, Nathan Willcocks, Rio Vega, Garance Clavel, Jean-Michel Fête, Michèle Goddet. Dans les salles le 7 octobre.