Antoinette et Patrick, une drôle de relation dans les Cévennes
« La maîtresse en maillot de bain… » On connaît la comptine de fin d’année. Mais là, Mademoiselle Lapouge est carrément en robe du soir façon sirène pour interpréter, avec sa classe de CM2A, Amoureuse de Véronique Sanson dans une kermesse scolaire comme on n’en fait plus depuis le covid. L’institutrice peut cependant faire sienne « Une nuit, je m’endors avec lui mais je sais qu’on nous l’interdit… » Car elle est sacrément accro au père d’Alice, élève dans sa classe. Las, le charmant Vladimir lui annonce que la petite semaine amoro-buissonnière qu’ils devaient partager en ce début de grandes vacances, tombe à l’eau. Parce que l’épouse de Vlad a décidé de partir, avec mari et fille, marcher sur le chemin de Stevenson. Amante dépitée et n’ayant « plus toute sa tête », Antoinette Lapouge décide, à son tour, de partir dans les Cévennes…
Depuis Lao-Tseu, les sages savent que l’important n’est pas le but mais le chemin. Lâchée quelque part entre Chasseradès et Saint-Jean du Gard, Antoinette est certaine de son but : retrouver un beau ténébreux qui obsède son esprit et ses nuits… Mais le chemin sera malaisée.
Pour sa seconde réalisation, longtemps après Les autres filles (2000), Caroline Vignal a imaginé les aventures picaresques d’une institutrice parisienne qui se retrouve dans l’univers de la randonnée. Débarquant avec sa grosse valise rouge au milieu de marcheurs à brodequins et sacs à dos, Antoinette a l’allure burlesque d’un Tati au féminin. Lors de la première soirée autour d’une table d’hôte, Antoinette découvre que l’âne est seulement une option pour la « rando ». Mais, il est désormais trop tard. « Feuille de route, carte IGN, sacs poubelle », il ne lui reste plus qu’à rencontrer Patrick, un âne plutôt récalcitrant. La marche peut commencer et Antoinette ne sait pas encore à quelles épreuves, elle va se confronter. Mais qu’importe puisque c’est pour retrouver Vlad et tant pis s’il est avec sa femme et leur fille…
Si l’on osait, on dirait que le covid n’a pas que des désagréments. Du fait de l’absence quasi-complète des productions américaines, les écrans exposent mieux les films français… Et comme cela profite, ici, à ce joyeux moment de cinéma, on ne peut que s’en réjouir. Car au-delà de son délicieux parfum de vacances à la campagne, Antoinette dans les Cévennes est un épatant portrait de femme.
« Ce qui m’intéressait beaucoup, dit Caroline Vignal, c’était d’explorer ce truc un peu pathétique chez elle – chez nous, j’ai envie de dire, nous, les amoureuses, celles qui préfèreront toujours le mec qui ne veut pas d’elle à celui qui a toutes les qualités du monde… » Alors Antoinette, un peu ridicule et larguée, toujours en mouvement, est parfaitement touchante par sa détermination et, finalement, son courage…
Dans les chaudes lumières de l’été, en prenant le temps de nous faire goûter la lenteur de la marche en randonnée, en usant d’un format scope qui apporte du lyrisme au film, en croquant rapidement de charmants personnages secondaires (le marathonien qui voyage ultra-léger, la « bonne fée » d’Antoinette, la rebouteuse à cheval ou les motards), Antoinette dans les Cévennes s’impose comme une comédie éminemment romantique. Qui prend un relief particulier avec la « relation » inédite entre Antoinette et Patrick. Au début, ça ne colle pas du tout entre eux mais peu à peu ils s’apprivoisent et quand vient le temps de se séparer, c’est un déchirement. Encore que…
Cette réussite repose évidemment sur une Laure Calamy tour à tour pétulante et colérique, effondrée et amoureuse, pulpeuse et sensuelle. Drolatique aussi quand elle se décrit poisseuse avec ses aventures sans lendemain, ici un garçon rencontré dans un cimetière, la un militant Lute ouvrière qui ne veut pas de famille pour qu’on ne puisse pas faire pression sur lui lorsque la Révolution arrivera ! Et désormais Vlad qui lui fait si bien l’amour mais qui ne quittera jamais son épouse. Au total, on se régale en compagnie de cette magnifique femme libre !
Voilà longtemps déjà que Laure Calamy est présente sur les planches du théâtre comme sur les grands écrans. Au cinéma, on la remarque, dès 2009, dans Bancs publics de Bruno Podalydès et on la suit, entre autres, dans Sous les jupes des filles (2014), Victoria (2016), Rester vertical (2016), Aurore et Ava (2017), Mademoiselle de Joncquières (2018), Sibyl, Le dindon (2019) ou Une belle équipe (2020) où son charme, son sourire et ce grain de folie qu’elle prête à ses personnages font merveille. On sait donc gré à Caroline Vignal de lui offrir enfin un vrai premier rôle, la cinéaste avouant que le nom de la comédienne de 45 ans s’est imposé très tôt à elle : « Je savais à quel point son registre était étendu. Elle est incroyablement drôle – et émouvante ! Et puis elle a un truc vraiment populaire, pas si répandu chez les acteurs français, qui me touche. »
Un film qui s’achève, sur des images de nature radieuse, aux accents de la ballade westernienne My Rifle, my Pony and me (chantée par Dean Martin et Ricky Nelson dans Rio Bravo de Howard Hawks), ça ne peut que nous emporter. Et l’on sort de la salle avec le pas léger comme si on allait à notre tour, attaquer allègrement les sentes cévenoles.
ANTOINETTE DANS LES CEVENNES Comédie dramatique (France – 1h35) de Caroline Vignal avec Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Olivia Côte, Marc Fraize, Jean-Pierre Martins, Louise Vidal, Lucia Sanchez, Maxence Tual, Marie Rivière, François Caron, Ludivine de Chastenet, Bertrand Combe, Pierre Laur. Dans les salles le 16 septembre.
LE CHEMIN DE STEVENSON
Robert Louis Stevenson est aujourd’hui connu du grand public grâce à de nombreux ouvrages dont les plus célèbres sont L’île au trésor (1883) et Docteur Jekyll et Mister Hyde (1886). Mais en 1878, l’auteur n’a presque rien publié. Il a 28 ans, rêve d’être écrivain, est de santé fragile et a une vie personnelle assez compliquée. Iissu d’un milieu aisé, il est financièrement dépendant de son père, Thomas, un calviniste fervent qui voit d’un mauvais œil la vie de bohème de son fils. En pleine époque victorienne, Robert fréquente une femme mariée et mère de deux enfants, Fanny Osbourne, qu’il a rencontrée en France alors qu’elle venait se former à la peinture auprès des impressionnistes de Barbizon.
C’est le grand amour… Mais en août 1878 Fanny repart en Californie, et Robert sombre dans la déprime. C’est dans l’espoir d’oublier Fanny – et de satisfaire sa curiosité pour les Camisards – que le 22 septembre 1878, le jeune Ecossais part marcher dans les Cévennes. Au Monastier-sur-Gazeille (HauteLoire), il achète une petite ânesse, Modestine, qui l’accompagnera dans son voyage. 12 jours, 220 km et beaucoup d’aventures plus tard, il arrive à Saint-Jean-du-Gard.
Il rédige alors une chronique de ce voyage, qui sera publiée en 1879, sous le titre Voyage avec un âne dans les Cévennes. L’argent qu’il retire de cette publication lui permettra de rejoindre Fanny aux Etats-Unis, et, celle-ci ayant obtenu le divorce, de finalement l’épouser.
Le récit de voyage de Stevenson est peu à peu devenu culte pour les randonneurs du monde entier et a inspiré bien des envies de voyage. Connu sous le nom de Chemin de Stevenson, le GR®70 attire désormais plus de 10000 randonneurs par an venus marcher sur les traces de cet aventurier écossais amoureux de la France…