La fin de la galérance pour Patience
Elle fait un drôle de métier, Patience Portefeux… Sur le terrain, quand des policiers casqués et armés défoncent un appartement pour arrêter des dealers, elle est là, bardée d’un gilet pare-balles, pour traduire les questions, énoncer leurs droits à ceux qui vont être placés en garde à vue. Et, de retour dans les bureaux de la brigade des Stups, cette interprète judiciaire franco-arabe spécialisée dans les écoutes téléphoniques, coiffe son casque pour écouter les conversations en arabe des trafiquants…
Cette femme menue, discrète, presque effacée tombe des nues lorsqu’au hasard d’une écoute, elle découvre que l’un des trafiquants n’est autre que le fils de Khadidja, l’infirmière dévouée qui, à l’Ehpad des Amandiers, se charge de faire manger la dinde et la macédoine de légumes à la mère mal embouchée de Patience. Celle-ci va alors faire le choix de basculer du côté obscur…
C’est en lisant le roman éponyme (élu meilleur polar 2017 par le magazine Lire) d’Hannelore Cayre que le réalisateur Jean-Paul Salomé est tombé sous le charme de Patience Portefeux. Et surtout qu’il y a vu une belle occasion de brosser un portrait, à la fois drôle et mélancolique, de femme… Mais, dans un premier temps, La daronne apparaît d’abord comme une comédie policière. Se trouvant soudain à la tête d’une tonne et demi de shit, l’interprète, titulaire d’un doctorat de langue, va se muer en patronne d’une fructueuse petite start-up. Du côté de Barbès, entre Tati et le cinéma Louxor, elle fait turbiner Scotch et Chocapic, deux petites frappes, qui alimentent le marché, lui versent de grosses sommes en liquide et mettent en colère les frères Cherkaoui qui voient le business leur échapper…
Alors que, la semaine dernière, Anne Fontaine se penchait, avec Police (voir la critique sur ce site), sur les états d’âme et les affres existentiels d’un trio de gardiens de la paix confrontés à la reconduite à la frontière d’un Tadjik probablement promis à la mort dans son pays, Salomé livre une comédie au scénario astucieux mais où les agissements de la police ne semblent avoir que de lointains rapports avec la réalité…
Il va de soi que ce n’est pas là l’essentiel puisque le réalisateur des Femmes de l’ombre (2008), un drame sur des résistantes courageuses pendant la Seconde Guerre mondiale, se propose surtout de nous embarquer dans la vie, pas si simple, de Patience Portefeux. On rencontre ainsi une femme solitaire qui a connu un deuil brutal (elle le raconte joliment, voire crument, dans une scène avec Philippe, le commandant de police nouvellement promu (Hippolyte Girardot qu’on se plaît à retrouver ici) avec lequel elle partage, de temps en temps, des moments d’intimité. Depuis ce deuil, Patience continue d’éponger les dettes de son défunt mari, un escroc notable, et élève seule ses deux filles tout en s’occupant d’une mère, rescapée des camps de la mort, qu’elle voit lentement s’éloigner… Alors quand une manne inattendue lui tombe dessus, Patience ne se pose pas beaucoup de questions. Elle se jette dans l’aventure et tant pis si elle est amorale puisqu’elle lui procure à la fois des moyens, des frissons et probablement la perspective de renouer avec une magnificence envolée à l’image du hors-bord Riva qu’elle pilote sur les eaux du sultanat d’Oman…
La daronne commence comme un polar, s’engage dans la comédie avant de quêter l’émotion au fur et à mesure que le personnage se libère de ce qui l’entrave, se défait de tout ce qui lui pèse depuis des années… Scotch résume la situation à sa manière : « La galérance, c’est fini, là ! » Exit donc un boulot stable mais pas très rémunérateur lorsque la belle occasion se présente pour l’interprète. Comme le dit Salomé, « Patience, c’est un peu Thelma et Louise, sauf qu’elle ne saute pas… »
Même si, sur la fin, le film semble traîner un peu, le réalisateur réussit de beaux moments de cinéma comme ce mariage chinois auquel Patience et ses filles sont invitées et qui tourne au jeu de massacre, le tout commenté par la secrète Madame Fo, syndic de l’immeuble dans lequel vit Patience : « Nous réglons les problèmes tout seuls entre honnêtes gens ». Ou encore cette séquence où Patience et ses filles dispersent les cendres de leur mère et mamie dans les rayons favoris de cette dernière aux Galeries Lafayette !
Enfin La daronne est un film qui repose complètement sur les épaules d’Isabelle Huppert. On sait depuis Loulou de Pialat, Une affaire de femmes de Chabrol, La pianiste d’Haneke, Huit femmes d’Ozon, Villa Amalia de Jacquot ou Elle de Verhoeven que la comédienne sait tout jouer. Dans La daronne, elle est omniprésente à l’écran (entourée de ces deux femmes fortes que sont Khadidja et Madame Fo) et campe une « petite souris », faussement effacée dans un monde d’hommes. Huppert joue, avec brio, la force à partir de la fragilité, la fourberie à partir de la candeur et s’amuse à incarner une super-héroïne à partir d’une Patience qui n’en a pas vraiment l’air ! Et c’est tout à fait amusant. A l’une de ses filles qui lui dit : « Tu pourrais refaire ta vie », elle répond : « Et si j’ai décidé de me morfondre ? » On n’est pas obligé de croire cette Patience qui jubile à distiller de savoureux mensonges.
LA DARONNE Comédie dramatique (France – 1h46) de Jean-Paul Salomé avec Isabelle Huppert, Hippolyte Girardot, Farida Ouchani, Liliane Rovère, Jade Nadja Nguyen, Rachid Guellaz, Mourad Boudaoud, Iris Bry, Rebecca Marder, Youssef Sahraoui, Kamel Guenfoud. Dans les salles le 9 septembre.