Voyage jusqu’au bout d’une nuit
Tous les réveils au petit matin ne se ressemblent pas… Celui de Tohirov, le réfugié tadjik emprisonné dans un centre de rétention parisien, est plutôt angoissant parce qu’il signifie reconduite à la frontière. Celui de la blonde Virginie est placé sous le signe de la fatigue et d’un certain ennui dans son couple… Dans Police, les trajectoires du Tadjik et de celle que l’on découvre, dans un vestiaire gris, ramenant ses cheveux en chignon et enfilant sa veste bleue de flic, vont se croiser le temps d’une nuit et de quelques heures de trajet entre le centre de rétention et l’aéroport Roissy Charles de Gaulle…
Virginie est gardien de la paix à Paris et sa blondeur lui vaut de se faire chambrer par son collègue Aristide qui lui donne du « Miss Norvège ». Mais ce jour-là, Virginie n’a pas franchement le cœur à rire. Elle a découvert qu’elle est enceinte et a décidé de ne pas garder l’enfant… A leurs côtés, Erik est un policier plutôt taiseux, constamment préoccupé par le souci de faire bien son boulot mais c’est aussi un homme en détresse malmené par une épouse qui lui reproche de ne pas lui avoir fait d’enfant. Alors Erik s’arrête parfois dans un bar pour humer un verre de cognac…
Ce sont avec ces trois personnages que l’on entre dans le quotidien ordinaire de la police française. Pour planter, en somme, le décor, Anne Fontaine accompagne ce trio dans des missions banales. Il s’agit ainsi de ramener chez elle une femme frappée par son mari pour lui permettre de récupérer des affaires, de se rendre sur les lieux d’une rixe entre des bandes ou encore d’aller au domicile d’une mère maltraitante qui affirme, devant le corps sans vie d’un garçonnet, qu’elle voulait juste lui donner une leçon… Ces temps de la vie policière, la cinéaste (on songe au traitement appliqué par Gus van Sant à Elephant) va, avec subtilité, les traiter sous différents points de vue, que ce soit ceux de Virginie, d’Aristide ou d’Erik mais aussi, par exemple, de la femme battue. Alors que son mari insulte copieusement Virginie, l’épouse en pleurs, le visage marqué, finira par dire qu’il n’est pas méchant…
A l’heure où la police en France est au cœur d’un imposant débat sur le racisme et la violence dans l’institution, le film d’Anne Fontaine vient, à l’exacte bonne distance, éclairer quelques existences au sein de ce milieu. Loin du polar ou de l’analyse psychologique, Police apparaît comme un voyage au bout de la nuit où surgissent constamment doutes, questionnements et souffrances. La cinéaste ne présente pas des archétypes mais bien des personnalités différentes qui partagent cependant des traits communs. Il en va ainsi de cette odeur de mort que tous ont le sentiment de porter sur eux. C’est Aristide qui explique ainsi que lorsqu’il rentre chez lui, le soir, il se dévêt devant sa porte et compte jusqu’à soixante avant d’entrer. Pour (tenter) de laisser la saleté dehors…
En adaptant Police, le livre d’Hugo Boris (paru chez Grasset en 2016), Anne Fontaine ajoute une nouvelle page, disons-le, passionnante, à une filmographie riche de dix-sept titres qui ont souvent surpris par la diversité des genres et volontiers captivé le public. On avait découvert la réalisatrice en 1997 avec Nettoyage à sec tourné à Belfort et on l’avait suivi avec des romances atypiques (Mon pire cauchemar, Gemma Bovery, Perfect Mothers), des comédies (La fille de Monaco, Blanche comme neige), un biopic (Coco avant Chanel) ou des drames, qu’il soit social (Marvin) ou historique (Les innocentes)…
Dans Police, après une première partie « quotidienne », le film bascule lorsque Virginie, Erik et Aristide acceptent une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. « Ca ne me plaît pas », grogne Erik qui ne tient pas à faire le boulot de ses collègues de la COTEP, la Compagnie des transferts, escortes et protections. Hélas, un incendie a fait du centre de rétention un solide chaos aussi réaliste qu’impressionniste… C’est donc trois agents lambda qui prennent en charge un certain Tohirov pour le transférer vers l’avion qui doit le ramener au Tadjikistan. Plus vulnérable que d’habitude à cause d’une tempête personnelle, Virginie, sans doute frappée par les mots d’une militante des droits de l’Homme (« On va le tuer là-bas ! »), commence à cogiter et à douter. Elle ose transgresser une règle du métier en prenant connaissance d’un document qui ne lui était pas destiné. « Fallait pas ouvrir l’enveloppe ! » dira Erik. Trop tard. Dans le véhicule de service qui roule dans la nuit parisienne, le silence devient vite pesant. Et si le mutique Tohirov sautait de la voiture, ce que semble espérer Virginie…
Dans ce huis-clos en mouvement (les scènes à l’intérieur de la voiture ont été tournées en studio), Anne Fontaine va saisir, avec brio, ce qui prend la forme d’une quête intérieure distillant des questions métaphysiques autour de personnages dont les certitudes explosent. Dans cette odyssée urbaine (ponctuée de flash-backs plus sensoriels que narratifs et qui éclairent notamment les relations de Virginie et Aristide), tous vont être confrontés à leur conscience et à leur morale. Et l’enveloppe ouverte devient une brèche dans un système qui se lézarde.
Sur une fine bande-son où des chansons de Balavoine et de Marc Lavoine se mêlent à une sonate de Bach, on admire aussi le travail de comédiens parfaitement dirigés. Virginie Efira a une dureté douloureuse inattendue et Omar Sy, auquel Anne Fontaine a interdit de rire, la capacité sensible de faire affleurer ses zones d’ombre. Vu dans A propos d’Elly et Une séparation d’Asghar Faradi, le comédien iranien Payman Maadi est formidable dans sa manière de concentrer l’intensité dans le regard de Tohirov.
Mais c’est Gregory Gadebois, acteur dont on ne se lasse pas, qui est exceptionnel. Son Eric peut bien s’insurger contre les « délires » de ses coéquipiers, c’est bien lui qui est le plus bouleversé. Il ricane de ces « humanistes au grand cœur » alors que lui pense qu’obéir aux ordres, c’est son boulot et qu’il s’agit de le finir… Gadebois est pathétique lorsqu’il dit : « Vingt ans de service sans une tache. Je me sens sale… » Cet homme qui porte véritablement le poids de son uniforme, ne peut déroger à la souffrance d’être dans l’irrégularité et il vit comme un cauchemar de voir Virginie et Aristide dériver vers la transgression… Mais peut-être que la souffrance de cette situation sans retour l’aura transformé…
Alors qu’ils préparaient Police, Anne Fontaine disait, en plaisantant à Yves Angelo, l’excellent directeur de la photo du film, que Police, c’était « Bergman chez les flics ». On n’ira peut-être pas jusque là. Mais enfin…
POLICE Drame (France – 1h38) d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy, Gregory Gadebois, Payman Maadi, Elisa Lasowski, Emmanuel Barrouyer, Anne-Pascale Clairembourg, Anne-Gaëlle Jourdain, Aurore Boutin, Cécile Rebboah, Cédric Vieira. Dans les salles le 2 septembre.