Entre passé et futur, un monde à sauver
Dire qu’on attendait Tenet au tournant est un doux euphémisme ! D’abord, bien sûr, parce que Christopher Nolan s’est taillé une place de choix parmi les cinéastes de ce temps. Depuis Memento (2000) jusqu’à Dunkerque (2017) en passant par la trilogie Batman (2005-2012) puis Inception (2010) et Interstellar (2014), le réalisateur britannique de 50 ans a enchaîné les succès et souvent fait vibrer la critique, séduite autant par l’ingéniosité des scénarios que par la virtuosité de sa mise en scène…
Ensuite, on attendait Tenet parce qu’il devait donner le coup de gong du retour du public dans les salles obscures. Disney s’étant déballonné en refusant son Mulan aux cinémas, Nolan devenait, de fait, en cette fin août, le chevalier blanc d’une industrie malmenée par la crise sanitaire et très sérieusement inquiète pour son avenir… Or il semblerait que Tenet ait provoqué un (bon) frémissement dans les salles…
Il faut dire que Nolan a mis le paquet ! Presque trop ? C’est une question légitime. Force est de constater qu’on ne souffle pas une minute pendant les 150 que dure ce mix pétaradant d’action et de science-fiction. On n’a pas le temps de reprendre son souffle tant les péripéties s’enchaînent et lorsque ça se calme un peu, on peut se prendre la tête entre les mains (attention à ne pas trop tripoter son masque…) pour capter une intrigue à base d’inversion du temps et d’entropie, que le philosophe définit comme la tendance au chaos, la mesure du degré de désordre d’un système, une transformation d’énergie disponible en énergie non-disponible…
Que l’on se rassure, il n’est pas nécessaire de posséder un master en philosophie pour se glisser dans l’univers de Tenet. Simplement, on a parfois l’impression que Christopher Nolan, personnage clairement cultivé (le mot tenet est une référence au carré magique Sator contenant le palindrome latin SATOR AREPO TENET OPERA ROTA), éprouve, ici, un certain mal à conjuguer un discours complexe, voire abscons avec les ingrédients du film d’action et de science-fiction poussés à un degré de virtuosité impressionnant. Si l’on voulait être taquin, on dirait : tout ça pour quoi ? Pour en prendre plein la vue…
Avec Tenet, on part donc dans les pas du « Protagoniste » (il n’aura pas d’autre nom), un agent de la CIA participant à une opération clandestine russe, pour récupérer un mystérieux objet, durant une prise d’otage à l’Opéra national de Kiev. En pleine panade, l’agent est sauvé par un grand type masqué dont on remarque qu’il porte une lanière rouge sur son sac à dos. Malmené par les Russes qui ont compris ses objectifs, le « Protagoniste » se suicide en avalant une capsule de cyanure… Bienvenue dans la vie d’après… L’agent se réveille, apprend que la capsule était fausse et qu’il vient de réussir un test pour mener à bien une opération spéciale. Et pas des moindres puisqu’il s’agit de sauver le monde en évitant une troisième guerre mondiale, pire que l’holocauste nucléaire !
Avec un tournage de six mois à travers le monde et un budget estimé à 224 millions de dollars (qui fait de lui le second film le plus cher de Nolan après The Dark Knight Rises), Tenet met les petits plats dans les grands. On songe parfois aux sagas 007 ou Mission impossible dans la multiplication des sites où le « Protagoniste » affronte ses adversaires mais Nolan, profitant des possibilités scénaristiques offertes par l’inversion du temps, peut peaufiner avec brio ses scènes d’action, voire mener les servir une seconde fois… dans le sens inverse.
Avec pour maigre viatique le mot Tenet, le « Protagoniste » va partir en quête de celui qui est à l’origine de la menace… Ce faisant, il croisera Laura, une scientifique, qui lui révèle comment une balle revient dans le pistolet avant de rencontrer Neil, un autre agent allié puis du côté de Mumbaï, une certaine Priya, mêlée à divers trafics, qui le met sur la piste de Sator, un oligarque russe, trafiquant d’armes… C’est par le biais de Kat, experte et arts et épouse délaissée de Sator, que le « Protagoniste » va pouvoir approcher son redoutable ennemi et tenter de l’empêcher de réaliser ses affreux desseins…
On l’a dit, Tenet joue la carte du spectacle. La séquence où Neil organise, sur l’aéroport d’Oslo, un accident où un avion-cargo défonce violemment un hangar, vaut assurément le coup d’œil tout comme les cascades automobiles sur une autoroute de Tallinn où des poids lourds s’enchevêtrent tandis que le héros essaye à la fois de récupérer une valise bourrée de plutonium et de sauver Kat menacée par son mari…
Christopher Nolan a composé, pour Tenet, un casting « deluxe ». Si John David Washington, le fils aîné de Denzel, découvert dans le BlacKkKlansman (2018) de Spike Lee, paraît parfois un peu terne dans le rôle du « Protagoniste », Robert Pattinson tire bien son épingle du jeu avec le mystérieux Neil. Autour d’eux, la gracile Elizabeth Debicki (vue dans Les veuves en 2018) est Kat, épouse de Sator et mère inquiète pour son petit Max. D’autres comédiens font juste une apparition. C’est le cas de Clémence Poesy (la Fleur Delacour d’Harry Potter) en Laura et plus encore du vétéran Michael Caine, complice au long cours de Nolan, qui incarne, à 87 ans, un parfait aristocrate so british dans une unique scène de déjeuner. Enfin, on sait depuis Hitchcock, que la réussite d’un film repose sur la qualité de son méchant. Nolan a confié Sator à son compatriote Kenneth Branagh qui donne joliment des accents shakespeariens à ce nouveau Russe sauvage mais gravement malade qui semble se prendre pour Dieu et lance à Kat : « Tu ne négocies pas avec un tigre. Tu l’admires jusqu’à ce qu’il t’attaque… »
Alors, on prend en compte le tourniquet à deux sorties séparées pour passer d’un temps à l’autre, les failles ou l’étau temporel ou encore les neuf pièces de l’algorithme contenant la formule de l’inversion. On comprend même que le « Protagoniste » se battait contre lui-même. Dans ce « monde clair-obscur », Nolan glisse aussi une réflexion comme « Chaque génération gère sa survie ».
Mais le « Protagoniste » et Neil peuvent, in fine, se réjouir : « On vient de sauver le monde ». Ce n’est pas rien.
TENET Action (USA – 2h30) de Christopher Nolan avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Kenneth Branagh, Clémence Poesy, Aaron Taylor-Johnson, Michael Caine, Dimple Kapadia, Himesh Patel, Fiona Dourif, Andrew Howard. Dans les salles le 26 août.