Louise prise au piège du mensonge
Il y a des jours comme ça, où rien ne va… Le genre de réflexion qu’aurait pu se faire le capitaine Edward John Smith lorsqu’au soir du 14 avril 1912, son Titanic tutoie méchamment un iceberg. Pour le personnage de Marc dans Belle Fille, le jour ne sera pas bien clément non plus. Déjà, il se réveille en retard et constate que Louise, son épouse, ne répond pas à ses appels. Dame, il doit partir d’urgence faire un reportage sur la misère des bergers de Corse. En fait, c’est juste un plan, pas bien brillant, pour filer en week-end avec sa maîtresse. Pas bien brillant parce que Louise, lasse d’avaler des couleuvres, a pris les devants. Le week-end sur l’île de beauté, c’est pour elle. Et comme elle a « emprunté » la carte bleue de Marc, elle pourra s’en donner à gogo sur les suppléments non inclus dans la chambre nuptiale de son hôtel de charme…
Les jours où rien ne va alimentent volontiers (et avec plus ou moins de bonheur, évidemment) l’imaginaire des scénaristes. Ceux de Belle Fille – Christophe Duthuron et Clément Michel qui entourent la réalisatrice- ont choisi d’offrir une nuit de folie à Louise. Alcool, cocaïne, sexe et fiesta ! Las, dans la suite complètement ravagée, Louise se réveille avec une bouche en carton-pâte. Mais, pire, sous la couette, le séduisant Florent (Thomas Dutronc) ne donne plus signe de vie. Le cœur a cédé, les pompiers ne peuvent que constater le décès et les policiers se gratter la tête devant les déclarations passablement embrouillées de Louise…
En ayant découvert l’histoire d’une femme qui s’était attachée plus que de raison à la dernière conquête de son fils décédé et dont l’attachement avait paru excessif à son entourage puisqu’avant le drame, elle n’avait jamais rencontré cette « petite amie », Méliane Marcaggi avait trouvé le point de départ de son projet. « Cette histoire, précise la cinéaste, qui disait le bouleversement affectif d’une mère devenue « orpheline » de son enfant m’a beaucoup interpellée. J’ai appris plus tard qu’il était très courant que des parents cherchent à créer le lien avec les dernières personnes qui ont croisé l’enfant qu’ils ont perdu, comme s’ils conservaient en eux une parcelle de sa vie ou qu’ils prolongeaient un peu sa présence. »
C’est cependant sur le ton d’une comédie d’imposture que commence Belle Fille. Les séquences parisiennes du début fonctionnent sur un rythme rapide qui convient à une construction où quelqu’un est là où il ne devrait pas être. Où on le prend pour un autre, sans qu’il puisse se dépatouiller de la méprise. Il reste alors à montrer la machine qui s’emballe et la mécanique qui s’accélère pour générer de plus en plus de quiproquos, de malentendus et de rencontres inopportunes.
Mais, dès lors que l’action se transporte en Corse, le tempo s’apaise puisque le récit se concentre désormais sur le chagrin d’une mère endeuillée qui déplace son trop plein d’amour et d’affection sur une fille dont elle présume qu’elle aurait dû devenir sa bru… Face à cette Andréa Lucciani, la malheureuse Louise est coincée entre sa maladresse, ses doutes, son empathie maladive et son incapacité à dire non. Elle cherche pourtant le moyen de prendre la poudre d’escampette. C’est sans compter avec Anto (Jonathan Zaccaï, très bien), policier de son état et frère aîné du défunt Florent, qui ne l’entend pas de cette oreille. Il est persuadé que Louise peut mettre du baume au cœur de sa mère. Alors Louise n’aura d’autre choix que de jouer le jeu, même si les dés sont pipés. Et qu’elle ne sait vraiment plus quoi dire quand Andréa, les yeux embués, lui présente une bague trouvée sur Florent en disant : « Louise, acceptes-tu d’être ma belle fille ? »…
Parce que ses racines sont en Corse même si elle n’y a jamais vécu et n’y a plus de famille, Méliane Marcaggi a voulu, avec son premier long-métrage de cinéma (qui vient après une carrière au théâtre), renoué avec ses origines. Belle Fille lui offre l’occasion de montrer les superbes paysages corses mais aussi des rituels comme ceux qui entourent la mort. Mais la comédie n’est cependant jamais loin et Belle Fille s’amuse des tortueuses routes de l’île, de l’omerta qui autorise tous les mensonges ou des cafés, du côté de Speluncatu, où le silence se fait instantanément quand un pinzutu passe par la porte… Et le clin d’œil au prêtre, détenu pour raisons politiques, que l’on sort de prison, pour dire la messe de funérailles, est amusant…
Depuis sa révélation dans Un gars, une fille -c’était il y a déjà un bout de temps- Alexandra Lamy a forgé une carrière de comédie au grand écran qui ne manque pas de bons moments reposant sur une énergie solaire. On songe ainsi à Tout le monde debout (2018) ou encore à Retour chez ma mère (2016). Face à Miou-Miou, dans le rôle en noir d’Andréa Lucciani, elle apporte à la fois gouaille et émotion. Les deux comédiennes réussissent d’ailleurs une paire de duos sensibles où, sans paroles, elles se retrouvent dans des rôles de mères qui reconnaissent avoir été « trop » avec leurs enfants.
Au total, Belle Fille (titre plus vendeur sans doute que Belle-mère), est une comédie sympathique qui constitue un agréable petit moment de cinéma. Et, par les temps qui courent, il importe d’aller dans les salles obscures. Sous peine de les voir dépérir. Mais ceci est une autre histoire.
BELLE FILLE Comédie dramatique (France – 1h36) de Méliane Marcaggi avec Alexandra Lamy, Miou-Miou, Jonathan Zaccaï, Thomas Dutronc, Patrick Mille, Guillaume Bouchède, Léa Leviant, Sébastien Castro, Michel Ferracci. Dans les salles le 19 août.