Le général au début d’un destin
Avril 1940, à Colombey-les-Deux-Eglises, au petit matin, Charles de Gaulle, en pyjama, dépose de tendres caresses sur les bras et les jambes de son épouse Yvonne… Ouvrir un film sur De Gaulle, à fortiori le premier à avoir jamais été réalisé au cinéma, par une scène d’amour, certes parfaitement chaste, ne manque pas de piquant. Surtout eu égard à cette légendaire statue du Commandeur que l’homme du 18 juin incarne toujours dans le bon pays de France. Il n’y a pas si longtemps, en 2016, à l’occasion de la primaire à droite, l’ancien premier ministre François Fillon (qui le regretta plus tard) attaqua, sans le nommer, Nicolas Sarkozy sur ses déboires judiciaires, par un « Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen? » qui réveillait d’emblée les mannes du général…
Si l’on a souvent vu le général de Gaulle de profil, de dos ou en amorce dans des films français, jamais on ne l’avait vu en héros d’une production cinématographique à lui entièrement dédiée…
C’est donc Gabriel Le Bomin, auteur de nombreux documentaires pour France Télévisions et de téléfilms pour Arte qui s’y colle, 50 ans tout rond après la disparition du général… « De Gaulle, précise le cinéaste, était présent dans mes documentaires sur la collaboration, sur la guerre d’Algérie, sur la Ve République dernièrement et quand nous avons commencé à réfléchir à un sujet de film sur ce personnage historique avec Valérie Ranson-Enguiale ma coscénariste, nous sommes vite tombés d’accord sur le fait que nous ne pouvions pas raconter toute sa vie car il y a plusieurs De Gaulle en un. Alors, par où l’aborder ? Ce qui nous a intéressé c’est le De Gaulle « illégitime » : l’homme de juin 1940, celui qui dit « non ». C’est sans doute le moment de sa vie où il est le plus fragile, le plus intéressant donc le plus humain… Car sous tendu à ce projet, il y avait l’ambition d’accéder à l’intime. »
En mai 1940, fraichement nommé général de brigade par le gouvernement de Paul Reynaud, De Gaulle est confronté à l’effondrement militaire et politique de la France. Quelques jours plus tôt, encore colonel au 507e régiment de chars de combat, il réussissait la contre-attaque de Montcornet dans l’Aisne, l’une des rarissimes victoires françaises de l’époque… De Gaulle s’oppose alors au défaitisme ambiant, notamment incarné par le maréchal Pétain et par le général Weygand. Après avoir accepté de partir à Bordeaux avec certains membres du gouvernement, De Gaulle rejoint Londres pour demander de l’aide à Winston Churchill et tenter de maintenir la lutte.
La cigarette toujours fichée au bec, le De Gaulle parti en Angleterre est un homme complètement seul même si le fidèle Chaudron de Courcel ne le lâche pas d’une semelle. Le Bomin va le suivre, pas à pas, bataillant d’abord avec le faible Reynaud, tentant d’entraîner Georges Mandel dans la lutte tout en mesurant le mépris, probablement la haine que lui voue Pétain, le héros de Verdun dont De Gaulle pense qu’il a toujours voulu la fin de la République… Et puis, il y a les échanges, souvent énergiques, avec un Winston Churchill, soucieux du sort d’une Grande Bretagne en grand péril mais qui sent confusément que ce grand général à petite moustache a l’étoffe d’un personnage d’Histoire avec lequel il partage l’idée qu’il faut défendre la démocratie et la liberté face à la barbarie. « Personne, dit De Gaulle, ne veut résister à la disparition de la France. Je ne m’y résous pas ! » Le fameux Appel du 18 juin à la BBC ne tardera plus. Le début d’un destin est en marche…
Si De Gaulle n’a pas d’ambitions formelles (on pouvait déjà s’inquiéter de l’affiche au look bien vieillot), le film vaut par sa dimension intime et familiale. Exit la petite tante Yvonne, mémère à chapeau! Yvonne de Gaulle est, ici, une jeune femme belle et déterminée, quasiment « tête de mule » dit sa mère, qui aime son Charles qui le lui rend bien, partageant la souffrance d’avoir eu Anne, fillette trisomique, très chérie par ses parents. C’est cette courageuse Yvonne que l’on retrouve sur les terribles routes de l’Exode tentant, du Loiret à la Bretagne, de rejoindre Londres. Isabelle Carré s’empare aisément de cette femme dont la comédienne dit : « Je crois que si De Gaulle a eu cette audace, cette conviction et cette force de dire « non », quitte à tout remettre en question y compris sa vie et sa carrière, c’est aussi parce que sa femme l’a encouragé à le faire… »
Après l’abbé Pierre (Hiver 54 en 1989) et le commandant Cousteau (L’odyssée en 2016), Lambert Wilson pouvait bien se frotter encore à une figure tutélaire majeure. Avec quelques prothèses, une coiffure, un uniforme mais sans forcer sur le fameux timbre gaullien, le comédien propose un jeu dépouillé qui le rend très crédible… Autour d’eux, parmi de nombreux acteurs, on remarque Olivier Gourmet (Paul Reynaud) ou encore la toujours émouvante Catherine Mouchet qui incarne Marguerite Potel, la gouvernante qui s’occupe de la petite Anne…
Quand on a été nourri, enfant des années soixante, au (bon) lait du Canard enchaîné et que Mongénéral ressemblait à Louis XIV dans la chronique de La Cour, on observe De Gaulle-le film avec un rien de tendresse. Comme si une silhouette familière venait reprendre vie dans la salle obscure. Un personnage qui nous a accompagné au fil du temps, entre les conférences de presse à l’Elysée, les troubles de Mai 68, la fuite à Baden Baden ou les mots choisis, de la chienlit au quarteron de généraux en retraite en passant par le « Je vous ai compris » d’Alger sans oublier le « Paris outragé, Paris brisé, Paris martyrisé mais Paris libéré ! » qui viendra clore les années de guerre dont Le Bomin évoque, ici, les premiers moments…
DE GAULLE Biopic historique (France – 1h48) de Gabriel Le Bomin avec Lambert Wilson, Isabelle Carré, Olivier Gourmet, Catherine Mouchet, Pierre Hancisse, Sophie Quinton, Gilles Cohen, Laurent Stocker, Alain Lenglet, Philippe Leroy-Beaulieu, Tim Hudson, Nicolas Vaude, Philippe Laudenbach, Clémence Hittin. Dans les salles le 4 mars.