Bob le pugnace et Buck le valeureux
COMBAT.- Avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques, Robert Bilott vient, pour sa plus grande satisfaction, d’intégrer le puissant cabinet Taft Stettinius & Hollister de Cincinnati où il est appelé, en tant qu’associé, à traiter de gros dossiers… Alors qu’il est en réunion avec son patron (Tim Robbins) et ses collègues, Bilott voit débarquer Wilbur Tennant, un fermier de Virginie-Occidentale. Cet homme s’est recommandé de la grand-mère de l’avocat, sa voisine dans la campagne où il jouait, petit…
D’abord prêt à éconduire le fermier, Bilott, en souvenir de sa jeunesse, fera le voyage vers Parkersburg. Il découvre, consterné, que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par l’usine Washington Works appartenant à l’énorme groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l’usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie dans un immense combat juridique qui durera une vingtaine d’années. Car DuPont est prêt à tout pour nier être un pollueur au long cours…
Tout commence le 6 janvier 2016 lorsque le New York Times Magazine publie, sous la plume de Nathaniel Rich, le récit sidérant, en forme de film d’honneur, de la famille Tennant qui commence à perdre son bétail dans des circonstances obscures… En effet, les bêtes, qui étaient auparavant douces et dociles, deviennent extrêmement agressives. Leur pelage est couvert de lésions, leurs yeux sont cerclés de rouge, leurs dents sont noircies et une bave blanche coule de leur mufle. Wilbur Tennant est bientôt convaincu que tous ces phénomènes sont liés aux fuites toxiques du Centre d’enfouissement des déchets de Dry Run, où l’usine Washington Works déverse ses déchets. Pendant des années, il cherche des réponses, sans résultat. En désespoir de cause, il fera appel à Robert Bilott…
En s’attachant, avec Dark Waters (USA – 2h06. Dans les salles le 26 février), au (vrai) combat quasiment sans fin d’un homme pour la justice et à une quête d’un environnement plus juste, le réalisateur Todd Haynes a trouvé un matériau assez complexe à fictionnaliser. Les piles de dossiers que charrie Bob Bilott ne sont pas, en effet, très « excitantes »… Cependant, Todd Haynes a choisi de s’inscrire dans ce genre qui connu de belles réussites (Les hommes du président d’Alan Pakula, Le mystère Silkwood de Mike Nichols, Révélations de Michael Mann) qu’est le cinéma de dénonciation. « Certes, dit le metteur en scène, ces films dénoncent les abus de pouvoir, les intimidations et les manœuvres des puissants pour étouffer des affaires – qu’elles soient liées au monde de l’entreprise, aux grandes industries ou à l’État. D’ailleurs, c’est ce que le spectateur attend de ces films et la notoriété des affaires qu’ils fustigent les précède souvent. Mais en réalité, le cinéma de dénonciation s’attache surtout à monsieur ou à madame- tout-le-monde, à sa trajectoire et aux dangers – d’ordre psychique, émotionnel, voire mortel – que ces individus affrontent quand ils se battent pour faire éclater la vérité. »
Dans Dark Waters , ce « petit homme »-là, c’est Robert Bilott que Mark Ruffalo, également producteur du film, incarne avec une forte conviction…
De Todd Haynes, on a aimé, par le passé, Loin du paradis (2002) ou encore ce beau mélodrame sentimental sur les amours d’une modeste vendeuse (Rooney Mara, meilleure actrice à Cannes 2015) et d’une élégante bourgeoise mal mariée (Cate Blanchett) qu’est Carol. On est plus surpris de le retrouver dans le registre du film de dénonciation mais il s’en sort à son avantage. Au-delà même du long combat de Bilott contre le Teflon de DuPont, Dark Waters est intéressant et salubre parce qu’il atteste d’un certain délabrement de l’état du monde.
AVENTURE.- A la fin du 19e siècle, Buck, un gros chien domestique et sympathique mais maladroit et surtout bien trop gâté, vit tranquillement dans la belle demeure de ses maîtres… Une nuit pourtant, la vie de Buck bascule… Il est enlevé, vendu à un chercheur d’or avant d’être envoyé dans une petite bourgade d’Alaska où la ruée vers l’or bat son plein. Après avoir croisé la route de John Thornton (il lui rapporte son harmonica tombé à terre), Buck est choisi par Perrault, un robuste Canadien, qui transporte le courrier sur son traineau à travers les grands espaces enneigés. Perrault va découvrir les qualités exceptionnelles de Buck face à mille dangers. Lorsque Perrault perd son travail, Buck est à nouveau vendu, cette fois à Hal, jeune chercheur d’or arriviste… Heureusement pour Buck, Thornton arrachera le chien des mains d’un Hal incompétent et brutal… Ensemble, le vieil homme et son chien accompliront un grand voyage à destination de nouvelles terres sauvages.
C’est en 1903 que Jack London couche sur le papier son Call of the Wild pour entraîner ses nombreux lecteurs (le roman a été traduit en 47 langues) dans les rudes territoires du Yukon où Buck lutte pour pour sa survie dans un milieu hostile. Le cinéma n’a pas tardé à s’emparer de cette aventure puisque, dès 1908, le grand David W. Griffith adapte le roman. Il sera suivi par Wiliam Wellman en 1935 et Ken Annakin en 1972. C’est maintenant Chris Sanders qui s’y colle pour le compte de Disney…
L’appel de la forêt (USA – 1h40. Dans les salles le 19 février) entend s’inscrire dans la grande tradition, entre voyage et aventure, du grand roman américain. Et Sanders adapte, ici, l’œuvre de London dans son intégralité, en relatant les événements, non pas du point de vue des humains mais de celui de Buck… Du coup, les pensées, les frayeurs, les désirs, les émotions de Buck prennent un tour évidemment anthropomorphique. Mais le public des jeunes spectateurs n’y prête guère attention, pris qu’il est par les courses de Buck, les glaces qui se brisent ou les dangers multiples qui surgissent partout.
Si, chez London, Buck est décrit comme le croisement d’un « gigantesque saint-bernard » et d’une « chienne colley de pure race écossaise », c’est finalement un croisement entre un saint-bernard et un berger qui a été retenu et scanné… Prévu pour être réalisé en images de synthèse, le film mêle finalement prises de vue réelles et numériques. Plutôt que de créer totalement le chien, l’équipe a fait appel à l’acteur, cascadeur et gymnaste Terry Notary qui a été filmé et par la suite remplacé par de l’animation. Vu dans The Square, ce spécialiste de la gestuelle et de la chorégraphie des mouvements au cinéma a étudié les chiens et leurs comportements. S’il ne devait servir que pour les gros plans afin d’avoir une référence pour le regard et l’expression des émotions de Buck, Notary a fini par prendre en charge toute l’action du chien… Autour du chien, on trouve, côté humains, Omar Sy pour incarner Perrault et le vétéran Harrison –Indiana- Ford dans le rôle de Thornton, le vieil homme détruit par la mort de son fils, auquel Buck permettra d’accomplir un ultime voyage rédempteur avant de rejoindre une meute de loups dont il deviendra le chef… L’appel de la forêt est une ode à la liberté et aux grands espaces sauvages et inviolés, une manière généreuse et enlevée d’appeler au respect de la nature.