Judy jusqu’au bout de l’arc-en-ciel
« C’est ton boulot de faire rêver ! » lui lance le célèbre tycoon Louis B. Mayer. En bon petit soldat d’Hollywood, elle aura fait le job, Judy Garland… Mais, à quel prix ? C’est en effet une star au bout du rouleau que met en scène ce Judy qui a valu récemment à Renée Zellweger un bel et juste Oscar de la meilleure actrice.
A l’hôtel où elle débarque un soir, tard, avec ses jeunes enfants et quelques valises, le portier est plutôt gêné. Il sait parfaitement que la femme fatiguée qui se tient devant lui est une icône du 7e art. Mais il est pourtant contraint de lui dire que sa suite a été relouée parce que la facture n’a pas été réglée… Alors, la comédienne, carrément SDF, repart dans la nuit et n’a d’autre ressource que d’aller frapper à la porte de Sid Luft, son ex-mari, qui l’accueille surtout parce qu’il a le projet d’obtenir la garde de leurs deux enfants…
A l’origine de Judy, on trouve End of the Rainbow, une comédie musicale écrite par Peter Quilter en 2005 dont le producteur David Linvingstone a choisi de faire un film qui se concentre sur l’ultime période londonienne de Judy Garland. A l’hiver 1968, ayant laissé ses enfants à la garde de de Sid Luft, la star débarque à Londres pour se produire à guichets fermés (et moyennant un cachet conséquent) dans une série de concerts au Talk of the Town, un grand cabaret de la capitale britannique. Mais il est loin le temps de la splendeur de Judy Garland. Voilà plus de trente ans qu’elle est devenue une vedette planétaire avec Le Magicien d’Oz (1939). Le film de Victor Fleming fera d’elle, en 1940, une des dix vedettes les plus populaires au box-office américain. Elle n’a que 17 ans mais été complètement « formatée » à l’école des enfants-stars de la fameuse Metro-Goldwyn-Mayer…
Directeur du Talk of the Town, Bernard Delfont n’est pas dupe de la situation chaotique de Judy Garland et il confie le soin à la jeune assistante Rosalyn Wilder de coacher une chanteuse très vite incontrôlable. Rosalyn Wilder a d’ailleurs confié de précieuses informations aux auteurs du film sur « une femme toute menue, très fragile, plutôt discrète et qui, d’une certaine façon, avait besoin qu’on la protège, Elle voulait pouvoir vous parler directement et vous faire confiance… » Mais, malgré son indéniable aura de star, Judy Garland est alors quasiment incapable de rentrer dans un emploi du temps serré…
Le Britannique Rupert Goold qui signe, ici, son second long-métrage de cinéma après une imposante carrière de directeur de théâtre, a d’ailleurs pris soin d’évoquer, à travers l’ultime séjour de la star, un parcours certes glorieux d’enfant star –elle a commencé à se produire en scène avec ses parents et ses sœurs à l’âge de 3 ans- mais qui sera aussi humainement très difficile à supporter. Plutôt gourmande, la jeune Judy est mise à la diète par Mayer qui ordonne qu’on lui serve un bouillon clair sur le plateau et qu’on la bourre de coupe-faim. On fouillera même systématiquement les poches de ses partenaires pour y confisquer toute friandise. La Dorothy Gale de Wizard of Oz ne devait pas être une petite boulette mais bien un objet de rêve…
Grande vedette de la MGM, Judy Garland deviendra toxicomane aux amphétamines prescrits pour tenir le coup sur les tournages et aux barbituriques nécessaires pour dormir. L’alcool n’arrangera rien dans ses sautes d’humeur, ses absences, son manque de ponctualité (Mayer la menace : « Ne retarde plus jamais un de mes films ! ») et ses dépressions nerveuses de plus en plus fréquentes. A Londres, c’est un Judy Garland depuis longtemps ingérable qui débarque pour un dernier tour de piste.
Au-delà du gros travail de reconstitution, de décors et de costumes, c’est évidemment la performance de Renée Zellweger qui fait le charme de ce biopic romanesque. Après avoir connu, elle aussi, un passage à vide, l’actrice s’investit pleinement dans un personnage qui lui permet de composer une personnalité complexe… Battante chétive qui tombe le masque dans la coulisse et s’y montre sans apprêts, la Judy de Renée Zellweger renaît instantanément dans la lumière de la scène, boostée par cette adrénaline que connaissent sans doute tous ceux qui s’exposent dans les sunlights…
Maquillée, transformée, Renée Zellweger réussit à rendre touchante cette petite bonne femme (elle mesurait 1,51 m) qui risque toujours de s’effondrer mais qui se relève encore une dernière fois pour accrocher le pied de l’arc-en-ciel…
Bien sûr, aux premières images du film en voyant les pincements de lèvres et la bouche en cul-de-poule de Renée Zellweger, on a craint brièvement qu’elle nous la joue Bridget Jones mais cela ne dure pas. Alors, forcément, les Oscars qui n’aiment rien tant que les personnages bien cabossés, ne pouvaient pas laisser passer cette occasion de couronner un beau travail de comédienne.
Si, du point de vue formel, Judy ne bouleverse pas l’histoire du cinéma, le film contient cependant quelques belles séquences. Les flash-back sur le plateau du Magicien d’Oz présentent des décors qui rendent bien l’esprit, au moins en apparence magique, du travail dans les studios de l’âge d’or. Quant à la rencontre nocturne de la star avec deux admirateurs éperdus qu’elle invite à dîner avant qu’ils ne se retrouvent tous les trois dans le petit appartement de ce couple gay à se faire une omelette ratée, elle est à la fois drôle et pathétique par la solitude qu’elle implique, même si Judy chante Get Happy.
Enfin la séquence qui clôture Judy est une réussite d’émotion puisqu’enfin Miss Garland entonne sa chanson-signature. Et alors qu’elle a du mal à aller au bout de son Somewhere Over the Rainbow, c’est la salle –comble- qui, à l’initiative de ses ses deux amis londoniens, entonne ce tube absolu… « Vous ne m’oublierez pas ? Promettez-le moi ! » lance Judy.
Une poignée de mois plus tard, toujours à Londres, Judy Garland succombe, à l’âge de 47 ans, le 22 juin 1969, à une overdose de barbituriques…
JUDY Comédie dramatique (USA – 1h58) de Rupert Goold avec Renée Zellweger, Jessie Buckley, Finn Wittrock, Rufus Sewell, Michael Gambon, Richard Cordery, Roy Pierreson, Darci Shaw, Andy Nyman, Daniel Cerqueira, Bella Ramsey, Lewin Lloyd. Dans les salles le 26 février.